Les libertés fondamentales dans la hiérarchie des normes

LES DROITS ET LIBERTÉS DANS L’ORDRE JURIDIQUE

Les droits et libertés fondamentaux, inscrits dans des textes de haut rang, bénéficient d’une protection renforcée (&1). Leur application implique une coopération entre pouvoirs constituant, législatif et exécutif. Les juges jouent un rôle clé dans leur conciliation face aux conflits entre deux libertés (&2), s’appuyant sur des principes comme la hiérarchie des normes et la proportionnalité. Les tensions récentes liées aux évolutions technologiques et sociales enrichissent ces enjeux complexes.

&1 – LES DROITS ET LIBERTÉS DANS LA HIERARCHIE DES NORMES

Les droits et libertés fondamentaux occupent une place centrale dans l’ordre juridique, se distinguant par leur inscription dans des textes de haut rang normatif, qu’il s’agisse de la Constitution, des conventions internationales ou des lois. Cette élévation dans la hiérarchie des normes garantit une protection renforcée, limitant les risques d’atteintes arbitraires ou disproportionnées. Ces droits et libertés sont le fruit d’une articulation complexe entre les pouvoirs constituant, législatif et exécutif, chacun jouant un rôle spécifique dans leur élaboration, leur mise en œuvre et leur protection.

Le pouvoir constituant, par exemple, consacre des principes fondamentaux qui sont ensuite déclinés par les lois. À l’inverse, l’exécutif intervient principalement dans l’application concrète de ces règles, notamment dans le domaine des relations internationales ou des mesures de police administrative. Ainsi, cette coopération entre institutions reflète l’importance des droits et libertés comme piliers de l’État de droit, tout en permettant une adaptation à des contextes changeants.

Cependant, la hiérarchie des normes implique également une distinction entre les textes en fonction de leur valeur juridique et de leur efficacité. Certains instruments juridiques, comme ceux inscrits dans le bloc de constitutionnalité ou les conventions internationales, jouissent d’une force contraignante supérieure. D’autres, bien qu’exprimant des principes ou des droits, n’ont pas la même portée en termes de justiciabilité. Ces nuances montrent que la protection des droits et libertés dépend non seulement de leur inscription formelle dans la hiérarchie des normes, mais aussi de leur application effective dans la pratique.

 

A) UNE PROTECTION JURIDIQUE DE HAUT NIVEAU : CONSTITUTIONNELLE ET LÉGALE

Pour être qualifiées de libertés publiques, les droits et libertés doivent être protégés par le droit. Mais tous les textes affirmant des droits et libertés n’ont pas la même valeur ni la même efficacité juridique.

 

1 – Des textes de rang élevé

Les droits et libertés sont consacrés et protégés par des textes situés au sommet de la hiérarchie des normes. Ces textes bénéficient d’une reconnaissance spécifique dans le bloc de constitutionnalité ou dans des instruments internationaux de premier plan. Tous les textes affirmant des droits et libertés n’ont cependant pas la même valeur ni la même efficacité juridique.

  • Bloc de constitutionnalité : inclut des textes comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), le Préambule de la Constitution de 1946, les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République (PFRLR) et la Charte de l’environnement de 2005. Ces textes sont invoqués pour censurer les lois contraires à ces principes, notamment par le Conseil constitutionnel, saisi à a priori ou via une QPC (question prioritaire de constitutionnalité).
  • Jurisprudence récente :
    • Conseil constitutionnel, 2022 : Annulation d’un article portant atteinte à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux en raison de son manque de proportionnalité.
    • Conseil constitutionnel, 2023 : Confirmation de l’interdiction des traitements dégradants pour les personnes incarcérées, renforçant l’application de la dignité humaine.

Instruments internationaux :

  • Pactes des Nations Unies (1966, ratifiés par la France en 1980) :
    • Pacte international relatif aux droits civils et politiques : Inclut le droit à la vie, la liberté d’expression et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
    • Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : Consacre les droits au logement, à l’éducation et à la santé.
  • Conventions spécialisées :
    • Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
    • Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination raciale (1965).
    • Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (1980).

Textes régionaux :

  • Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) : Adoptée en 1951 et constamment interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH). Exemple récent : CrEDH, 2023, condamnation de la France pour sa gestion des mineurs isolés étrangers.
  • Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) : Depuis le Traité de Lisbonne (2009), elle a une valeur normative. Elle s’applique directement dans les États membres. Exemple : CJUE, 2021, invalidation d’un règlement français sur la rétention administrative des demandeurs d’asile.

Textes non européens :

  • Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981).
  • Charte arabe des droits de l’homme (2008) : Influence religieuse notable, intégrant des perspectives islamiques.

 

2 – La compétence des pouvoirs constituants et législatifs.

 

Constitutionnalisation : Conférer une valeur constitutionnelle à un droit ou une liberté garantit sa protection maximale. Cela empêche une révision par une simple loi, renforçant son intangibilité.

Exemple emblématique : Le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) :

  • En 1975, il fut instauré par la loi Simone Veil. Bien que longtemps limité à une protection législative, des propositions récentes visent à l’inscrire dans la Constitution pour le protéger durablement.
  • En 2023, une réforme constitutionnelle a été envisagée pour inclure le droit à l’IVG, en réponse aux évolutions internationales (notamment l’invalidation de Roe v. Wade aux États-Unis).

Encadrement législatif :

  • Article 34 de la Constitution : Confère au législateur la compétence pour fixer « les garanties fondamentales accordées aux citoyens dans l’exercice des libertés publiques ».
  • Procédure législative accélérée : Critiquée pour son impact négatif sur la qualité des lois. Sous Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, son utilisation fréquente a parfois nui à la protection des libertés en limitant le débat parlementaire.
    • Exemple récent : Loi Sécurité Globale (2021), dont plusieurs dispositions sur la vidéosurveillance ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour leur atteinte disproportionnée aux libertés individuelles.

Inflation législative : La multiplication des lois mal appliquées ou non accompagnées de décrets d’application peut limiter la portée effective des droits et libertés.

  • Exemple : Les dispositifs relatifs à la loi DALO (Droit au logement opposable, 2007) restent insuffisamment appliqués, avec des milliers de ménages non relogés malgré des injonctions judiciaires.

 

  1. B) L’IMPORTANCE DE L’ACTION DE L’EXÉCUTIF

1. L’exécutif, garant de l’ordre public et des libertés

L’exécutif, via son pouvoir réglementaire, joue un rôle central dans l’encadrement et la protection des libertés publiques, tout en veillant à préserver l’ordre public.

  • Article 21 de la Constitution : Le Premier ministre exerce le pouvoir général de police administrative au niveau national. Ce pouvoir est essentiel pour réguler des situations concrètes touchant à la coexistence entre libertés individuelles et sécurité publique.
  • Définition des contraventions : Les contraventions sont fixées par voie réglementaire (décrets ou arrêtés), ce qui permet à l’exécutif d’ajuster rapidement les mesures aux enjeux concrets de terrain.

2. Les missions de la police administrative

L’objectif principal des autorités de police administrative est d’assurer une prévention efficace des atteintes à l’ordre public, condition sine qua non pour garantir l’exercice des libertés publiques.

  • Libertés concernées :
    • Liberté d’aller et venir ;
    • Liberté d’expression ;
    • Droit de réunion ;
    • Droit de manifester.
  • Composantes de l’ordre public :
    Selon la jurisprudence (notamment l’arrêt CE, 1959, Société des films Lutétia), l’ordre public ne se limite pas à la sécurité et à la tranquillité publiques. Il inclut aussi :

    • La moralité publique (ex : interdiction de spectacles jugés obscènes) ;
    • La dignité humaine (ex : interdiction de spectacles portant atteinte à la dignité, CE 1995 Morsang-sur-Orge).

3. Le contrôle juridictionnel de l’action policière

L’action de l’exécutif et des autorités de police est soumise à un contrôle juridictionnel strict, visant à éviter les abus et à garantir que les mesures prises respectent les libertés fondamentales.

A) Le principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité est une pierre angulaire du contrôle juridictionnel. Il impose que les mesures de police soient :

  • Nécessaires : Une restriction à une liberté n’est justifiée que si aucune autre mesure moins contraignante n’est envisageable.
  • Adaptées : Les moyens utilisés doivent correspondre à la gravité de la menace pour l’ordre public.
  • Proportionnées : L’impact sur les libertés doit être minimal au regard des enjeux de sécurité.

Exemples récents :

  • CE, ord., 2021, Ligue des droits de l’Homme : Suspension d’un arrêté préfectoral interdisant une manifestation en raison d’un risque de trouble à l’ordre public insuffisamment établi.
  • CE, 2022, Ville de Paris : Annulation d’une interdiction générale de regroupements en soirée, jugée disproportionnée par rapport au risque sanitaire.

B) L’évolution vers un contrôle « normal »

Le contrôle de la légalité des décisions de police a progressivement évolué d’un contrôle restreint à un contrôle normal, plus protecteur des libertés publiques :

  • Contrôle restreint : Historiquement, le juge administratif se limitait à vérifier si les autorités de police avaient respecté les conditions légales de leur pouvoir discrétionnaire.
  • Contrôle normal : Aujourd’hui, le juge évalue également l’opportunité des mesures prises. Cela inclut un examen approfondi de la nécessité et de la proportionnalité des restrictions imposées.
    • Exemple : CE, 1933 Benjamin : Premier arrêt consacrant le principe de proportionnalité dans les mesures de police.

4. Exemples illustratifs

A) Interdictions et restrictions spécifiques

  • Interdictions de manifester :
    • CE, 2023, Association Extinction Rebellion : Annulation d’une interdiction préfectorale généralisée de manifestations climatiques, jugée excessive par rapport aux risques invoqués.
    • Décision relative aux Gilets Jaunes (2021) : Suspension d’interdictions globales sur les manifestations, faute de preuves suffisantes de troubles imminents.

B) Usage de la force

L’intervention policière doit être adaptée aux circonstances et respecter les droits fondamentaux :

  • LBD et gaz lacrymogène : Contrôle renforcé des conditions d’utilisation pour limiter les risques d’abus.
  • CE, 2020, Ligue des Droits de l’Homme : Condamnation de mesures jugées disproportionnées lors de manifestations.

C) Mesures sanitaires

  • Restrictions liées au Covid-19 :
    • CE, ord., 2021 : Annulation d’un arrêté municipal imposant un couvre-feu général, jugé excessif au regard des données sanitaires locales.
    • Décision Conseil constitutionnel, 2020 : Validation du confinement, mais obligation pour le gouvernement de respecter le principe de proportionnalité dans ses décisions

C) PANORAMA DES DROITS ET LIBERTÉS CONSACRES PAR LE JUGE

Ce panorama se fonde sur les jurisprudences françaises du CONSEIL CONSTITUTIONNEL et du Conseil d’État.

1 – Le principe de dignité

Le principe de dignité est un fondement du droit français, régulièrement affirmé par le législateur et les juges pour encadrer les droits fondamentaux.

  • Loi bioéthique de 2004 : encadrement des pratiques médicales et scientifiques pour protéger la dignité humaine.
  • CAA Douai, 12 novembre 2009 : condamne des conditions de détention portant atteinte à la dignité humaine.
  • Loi pénitentiaire de 2009 : renforce les droits des détenus, notamment par des mesures destinées à assurer des conditions de détention conformes à la dignité.
  • Décision Conseil constitutionnel, 2022 (loi séparatisme) : protection renforcée contre les discours incitant à la haine ou à la violence, justifiée par la sauvegarde de la dignité humaine.
  • Loi bioéthique (2004) : Garantie de respect des valeurs humaines fondamentales dans les pratiques médicales et scientifiques.
  • Cour administrative d’appel de Douai (2009) : Jugement sur les conditions de détention, en lien avec la dignité humaine.
  • Loi pénitentiaire (2009) : Encadrement législatif visant à protéger la dignité des personnes détenues.

2 – Le principe d’égalité et ses déclinaisons

Le principe d’égalité est appliqué à travers des décisions emblématiques qui touchent divers aspects de la vie sociale.

  • CE, 1954, Barel : droit d’accès à la fonction publique garanti indépendamment des opinions politiques.
  • Conseil constitutionnel, 1973, Taxation d’office : affirme l’égalité devant la loi fiscale.
  • CE, 1974, Denoyez et Chorques : fixe les conditions de création de tarifs différenciés dans les services publics.
  • Conseil constitutionnel, 2000 : garantit l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux.
  • Conseil constitutionnel, 2023 (loi sur les retraites) : contrôle de l’égalité face à la réforme des régimes spéciaux de retraite.

3 – Les droits créances

Ces droits imposent une intervention active de l’État pour garantir les conditions nécessaires à une vie digne.

  • Droit au travail :
    • Conseil constitutionnel, 2006 : encadre les exceptions au repos dominical pour protéger les travailleurs.
    • CE, 2023, Uber France : qualification des chauffeurs comme travailleurs salariés pour garantir leurs droits sociaux.
  • Droit à la santé :
    • Conseil constitutionnel, 1990 : valide le financement solidaire de la sécurité sociale.
    • CE, 2021, Vaccination COVID : obligation vaccinale des soignants jugée proportionnée à la protection de la santé publique.
  • Droit au logement :
    • TA Paris, 2010, Mme B et M.D. : injonction de loger des requérants sur la base de la loi DALO.
    • CE, 2022, Droit au logement opposable : condamne l’État pour insuffisance des hébergements d’urgence disponibles.

4 – La sûreté

La sûreté regroupe les droits relatifs à la protection contre l’arbitraire, y compris les garanties procédurales.

  • Droits de la défense et présomption d’innocence :
    • Conseil constitutionnel, 2009 : protection contre la présomption de culpabilité dans la lutte contre le piratage numérique (loi HADOPI).
    • QPC, 2022, Loi sur les délits de presse : extension des garanties de défense aux infractions commises en ligne.
  • Principe de légalité des peines :
    • Conseil constitutionnel, 1981 : exige une définition claire des infractions pour prévenir l’arbitraire.
    • Conseil constitutionnel, 2021 : contrôle de proportionnalité sur les sanctions liées aux infractions environnementales.

5 – Le droit de grève

Le droit de grève, consacré par le préambule de la Constitution de 1946, est encadré pour éviter les atteintes disproportionnées à l’ordre public.

  • CE, 1950, Dehaene : affirme la nécessité de concilier droit de grève et continuité du service public.
  • CE, 2023, SNCF Réseau : limite les grèves pour garantir un service minimum dans les transports.

6 – Propriété et vie privée

A) La protection de la vie privée

  • Conseil constitutionnel, 1995 : valide les dispositifs de vidéosurveillance sous réserve de garanties suffisantes pour les libertés individuelles.
  • CE, 2022, Reconnaissance faciale dans les stades : encadrement strict de l’utilisation de technologies de surveillance.
  • Loi LOPSI (2010) : Encadrement de la vidéosurveillance pour respecter la vie privée.

B) Le droit de propriété

  • Conseil constitutionnel, 1989 : protection de la propriété immobilière par le juge judiciaire.
  • CE, 2023, Loi ZAN (zéro artificialisation nette) : conciliation entre droit de propriété et objectifs environnementaux.

C) L’inviolabilité du domicile

  • Conseil constitutionnel, 1983 : limite les perquisitions fiscales pour protéger le domicile.
  • CE, 2021, Occupations illicites : validation des expulsions sous réserve du respect des délais légaux.

7 – La liberté et ses multiples déclinaisons

Liberté d’aller et venir
  • CE, 1919, Dames Dol et Laurent : valide une restriction d’accès à un quartier pour des prostituées, en raison de circonstances exceptionnelles liées à l’ordre public.
  • TC, 1945, Dame de la Murette : reconnaît la légalité d’une détention arbitraire en période exceptionnelle.
  • Conseil constitutionnel, 1995, LOPSI : contrôle de la proportionnalité des mesures de vidéosurveillance.
  • CE, 2001, Deperthes : sanctionne une atteinte disproportionnée au droit de quitter le territoire français.
  • Conseil constitutionnel, 2011, Loi immigration et nationalité : confirme que la lutte contre l’immigration illégale est une exigence à valeur constitutionnelle.
  • CE, 2021, Confinement sanitaire : contrôle des mesures de restriction de circulation en période de crise sanitaire (Covid-19).

Liberté de mener une vie familiale normale

  • CE, 1978, GISTI : pose les bases du droit au regroupement familial et du droit des membres de famille d’étrangers à occuper un emploi.
  • CE, 2001, Ministre de l’Intérieur c/ Mme Tliba : approfondit les garanties liées à la vie familiale normale.
  • CE, 2023, Mariage pour tous : précise que le droit à une vie familiale normale inclut les couples de même sexe.

Liberté d’association

  • CE, 1956, Amicale des Anamites de Paris : reconnaît la liberté d’association comme un PFRLR.
  • Conseil constitutionnel, 1971, Liberté d’association : élève cette liberté au rang constitutionnel.

Liberté du culte

  • CE, 1909, Abbé Olivier : encadre l’interdiction de processions religieuses, exigeant une atteinte réelle à l’ordre public.
  • Conseil constitutionnel, 1977, Liberté d’enseignement : réaffirme la valeur constitutionnelle de la liberté religieuse.
  • Conseil constitutionnel, 2010, Dissimulation du visage dans l’espace public : valide une restriction liée à l’ordre public et au vivre-ensemble.
  • CE, 2021, Fermeture de lieux de culte en période de pandémie : contrôle de proportionnalité des restrictions.

Liberté de réunion

  • CE, 1933, Benjamin : établit le principe de proportionnalité entre la restriction et la menace à l’ordre public.
  • CE, 2022, Manifestations écologistes : limite les interdictions générales et absolues à des cas de menace avérée.

Liberté de l’enseignement

  • Conseil constitutionnel, 1977, Loi Guermeur : garantit l’indépendance des établissements privés sous contrat.
  • Conseil constitutionnel, 1984, Libertés universitaires : protège l’indépendance académique des enseignants-chercheurs.
  • CE, 2023, Réforme Parcoursup : contrôle des mesures touchant à l’accès équitable à l’enseignement supérieur.

Liberté du suffrage

  • CE, 2001, Commune de Pointe-à-Pitre : préserve l’exercice du droit de vote dans des conditions équitables.
  • Conseil constitutionnel, 2022, Déontologie des candidats : impose des règles renforcées sur la transparence financière des candidats.

Liberté des médias

  • CE, 1959, Société Les Films Lutétia : autorise l’interdiction locale d’un film pour des motifs liés à la moralité publique.
  • CE, 1960, Société Frampar : limite les saisies de journaux à titre préventif.
  • Conseil constitutionnel, 1986, Liberté de communication : introduit l’obligation de garantir le pluralisme des médias.
  • Conseil constitutionnel, 2009, HADOPI : valide les sanctions numériques sous réserve du respect de la présomption d’innocence.
  • CE, 2022, Contenus haineux sur les réseaux sociaux : renforce les obligations des plateformes tout en respectant la liberté d’expression.

Droit d’asile

  • CE, 2001, Hyacinthe : garantit une protection minimale aux demandeurs d’asile, même en situation irrégulière.
  • CE, 2022, Lois sur l’immigration : renforce les exigences procédurales pour le traitement des demandes d’asile.

Libre administration des collectivités locales

  • CE, 2001, Commune de Venelles : réaffirme l’autonomie des collectivités dans leur gestion.
  • CE, 2023, ZFE (zones à faibles émissions) : contrôle des mesures environnementales imposées aux collectivités locales.

Liberté du commerce et de l’industrie

  • CE, 1919, Dames Dol et Laurent : valide des restrictions temporaires pour des motifs d’ordre public.
  • CE, 1951, Daudignac : interdit aux autorités administratives d’imposer des autorisations sans base législative.
  • CE, 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers : encadre la création de services publics économiques pour éviter une concurrence déloyale.
  • CE, 2023, Régulation des plateformes numériques : garantit un équilibre entre liberté d’entreprendre et protection des consommateurs

 

&2 – LA COEXISTENCE DES DROITS ET LIBERTÉS ENTRE EUX ET AVEC LES AUTRES NORMES

Les droits et libertés fondamentaux, issus de sources diverses et étalés dans le temps, peuvent parfois se retrouver en conflit. Leur coexistence implique donc une tâche délicate pour les juges : celle de concilier des intérêts divergents tout en respectant l’esprit des textes.

1. Conflits entre droits et libertés

A) Conflits classiques

Certaines libertés ou droits, bien qu’essentiels, peuvent entrer en contradiction :

  • Droit de grève vs droit de travailler :
    • La grève, bien que constitutionnellement protégée (Préambule de 1946), peut empêcher certains citoyens d’exercer leur droit au travail.
    • Exemple : Conseil constitutionnel, 1979, décision relative au droit de grève dans les services publics. Le Conseil a posé la nécessité d’un équilibre entre le droit de grève et le principe de continuité du service public, justifiant ainsi l’instauration d’un service minimum dans certains secteurs essentiels (notamment les transports).
  • Droit de propriété vs droit au logement :
    • Les expulsions locatives peuvent être limitées pour garantir le droit au logement, mais cela restreint la jouissance par les propriétaires de leur bien.
    • Exemple récent : La loi anti-squat (2023) vise à renforcer les droits des propriétaires contre les occupations illégales, tout en prévoyant des garanties pour les occupants en situation de précarité.
  • Droit de propriété et liberté de jouissance vs droit à un environnement sain :
    • Les exploitations agricoles ou industrielles qui génèrent des nuisances doivent concilier la liberté de production et la protection de l’environnement.
    • Exemple : CE, 2021, arrêt concernant l’épandage de pesticides à proximité des habitations. Le Conseil d’État a confirmé des restrictions pour protéger la santé publique, tout en respectant les droits des exploitants.
  • Liberté du commerce et de l’industrie vs droit à un environnement sain :
    • Les activités économiques doivent respecter les normes environnementales.
    • Exemple : Décision du Conseil constitutionnel, 2020, validant l’interdiction progressive de certains plastiques à usage unique, malgré les arguments économiques des industriels.

B) Nouvelles tensions émergentes

Des conflits plus récents reflètent les évolutions technologiques et sociales :

  • Droit à la vie privée vs sécurité publique :
    • Les dispositifs de vidéosurveillance ou de reconnaissance faciale sont souvent justifiés pour des raisons de sécurité, mais ils posent la question du respect de la vie privée.
    • Exemple : Loi Sécurité Globale (2021), certaines dispositions sur la vidéosurveillance ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour atteinte disproportionnée à la vie privée.
  • Liberté d’expression vs lutte contre les discriminations et discours haineux :
    • Les plateformes numériques doivent trouver un équilibre entre laisser s’exprimer les utilisateurs et modérer les propos discriminatoires ou incitant à la haine.
    • Exemple : La loi Avia (2020), partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, qui imposait des obligations excessives de retrait de contenus sur les réseaux sociaux.

2. Le rôle de la conciliation par le juge

A) La conciliation entre droits concurrents

Le juge, qu’il soit constitutionnel, administratif ou judiciaire, doit interpréter et concilier les textes pour dégager des solutions équilibrées :

  • Continuité du service public vs droit de grève :
    • Conseil constitutionnel, 1979, décision sur le droit de grève :
      Pose le principe de continuité dans les services publics essentiels (transports, énergie, santé). Cette jurisprudence a inspiré des dispositifs comme le service minimum dans les écoles primaires, instauré sous le gouvernement Fillon (2008).
  • Proportionnalité des atteintes :
    • Conseil d’État, 1933 Benjamin, a consacré le principe de proportionnalité dans l’encadrement des libertés publiques. Les atteintes à une liberté ne sont justifiées que si elles sont strictement nécessaires pour protéger un autre droit ou l’ordre public.
    • Exemple : En 2023, le Conseil d’État a annulé un arrêté préfectoral interdisant une manifestation en raison d’un risque de trouble à l’ordre public jugé insuffisamment démontré.

B) La hiérarchie des normes comme outil

Pour opérer cette conciliation, les juges s’appuient sur la hiérarchie des normes :

  • Constitution > lois > règlements : Les textes de rang inférieur doivent respecter ceux de rang supérieur.
  • Droits fondamentaux européens : Les juges français intègrent les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
    • Exemple : CrEDH, 2021, B.B. c. France, concernant la protection des personnes migrantes. La Cour a jugé que les mesures de rétention administrative doivent toujours respecter le droit à la dignité humaine.

En résumé : Les droits et libertés fondamentaux, bien que protégés, entrent parfois en conflit les uns avec les autres ou avec d’autres normes. Le juge, garant de leur coexistence, joue un rôle central dans la conciliation, s’appuyant sur des principes tels que la proportionnalité et la hiérarchie des normes. Les évolutions récentes montrent que ces tensions s’adaptent aux nouvelles réalités technologiques et sociales.

Laisser un commentaire