L’évolution du droit de la famille
Le droit de la famille est une branche du droit privé, plus précisément du droit civil, qui régit les relations juridiques entre les différents membres d’une même famille. Depuis la révolution, cette évolution est marqué par deux traits. Le progrès de la liberté et de l’égalité.
Le Code Napoléon a marqué durablement le droit familial en France, privilégiant un modèle institutionnel rigide et patriarcal. Si certaines dispositions de la Révolution française, comme la laïcisation du mariage, ont été conservées, la liberté et l’égalité au sein de la famille ont été largement sacrifiées. Ce modèle a perduré tout au long du XIXᵉ siècle et au-delà, malgré quelques ajustements progressifs visant à moderniser les relations familiales. Il faudra attendre les réformes de la seconde moitié du XXᵉ siècle pour que le droit de la famille se détache véritablement des principes fondateurs de 1804.
I. le code napoléon
Le Code Napoléon de 1804 constitue une pierre angulaire du droit civil français, organisant de manière rigoureuse la vie familiale. Il s’inscrit dans une volonté de stabilisation sociale après les bouleversements révolutionnaires, en adoptant une structure rigide et hiérarchisée pour la famille. Si le Code maintient certaines avancées révolutionnaires, comme la laïcisation du mariage, il marque un recul net en matière de liberté et d’égalité.
- Cours de droit de la famille
- L’obligation des parents d’entretenir, nourrir, élever les enfants
- L’adoption simple : définition, conditions, effets
- L’adoption plénière : définition, conditions, effets
- L’assistance médicale à la procréation (PMA ou AMP)
- La preuve contentieuse de la filiation et action en justice
- Les modes de preuves non contentieux de la filiation
A. Une volonté de structurer la famille après la Révolution
De 1789 à 1804, la législation révolutionnaire avait profondément transformé la vie familiale :
- Libéralisation du mariage : La législation avait laïcisé le mariage, réduit les formalités, et introduit le divorce par consentement mutuel ou même par volonté unilatérale.
- Égalité successorale : Elle avait consacré l’égalité entre tous les enfants, qu’ils soient légitimes ou adultérins.
- Volonté de briser l’intermédiation familiale : La Révolution cherchait à affaiblir la famille, perçue comme un contre-pouvoir à l’État.
En réaction, Napoléon Bonaparte, soucieux de restaurer l’ordre et de structurer la société, fit du Code civil un outil de consolidation de la famille en la rendant plus stable et hiérarchisée.
B. Les inégalités institutionnalisées par le Code Napoléon
Le Code Napoléon entérine une triple inégalité, consolidant une hiérarchie rigide au sein de la famille :
a. Entre le mari et la femme
- Autorité patriarcale : Le mari dirige sa femme, qui doit lui obéissance. Les articles 213 et 214 du Code stipulent que la femme doit suivre son mari là où il juge bon d’habiter.
- Incapacité juridique de la femme mariée : La femme est frappée d’incapacité légale et doit être représentée par son mari. En cas de mariage sous le régime de la communauté, le mari administre seul les biens communs.
- Assimilation à une propriété : La vision dominante de l’époque assimile la femme à une possession de son mari, renforçant son rôle subordonné.
b. Entre le père et les enfants
- Puissance paternelle : L’autorité parentale appartient exclusivement au père, qui détient le droit de correction. Cette autorité s’étend jusqu’à 21 ans et jusqu’à 25 ans pour l’autorisation de mariage.
- Nom patronymique : L’enfant hérite uniquement du nom de son père, renforçant la centralité du patriarche.
c. Entre enfants légitimes et naturels
- Les enfants naturels (nés hors mariage) subissent une discrimination sévère :
- Droits successoraux restreints : Ils n’héritent que de leurs parents directs, et leur part est réduite de moitié par rapport à celle des enfants légitimes.
- Exclusion des enfants adultérins : Ces derniers n’ont aucun droit successoral, car leur filiation ne peut être juridiquement établie.
C. Une réduction drastique des libertés familiales
Le Code Napoléon limite significativement les libertés individuelles au sein de la famille :
- Formalités alourdies pour le mariage : Les conditions de mariage deviennent plus contraignantes.
- Non-reconnaissance du concubinage : Les unions hors mariage sont exclues du droit et qualifiées de « non-droit ».
- Divorce restreint : Bien que maintenu, le divorce est soumis à des conditions très restrictives.
- Adoption limitée : L’adoption est autorisée uniquement dans des cas exceptionnels (sauvetage de vie) et ne crée pas de rupture avec la famille d’origine.
- Pouvoirs étendus du père : Le droit de correction permet aux pères de faire emprisonner leurs enfants sous certaines conditions.
Le Code impose ainsi un modèle unique de famille, basé sur l’autorité patriarcale et une hiérarchie rigide, laissant peu de place à la négociation ou à des alternatives.
D. Un modèle familial durable, mais en évolution lente
a. Maintien du modèle jusqu’au milieu du XXᵉ siècle
- Suppression temporaire du divorce : De 1816 à 1884, le divorce est aboli sous l’influence de la Restauration monarchique.
- Sévère répression des concubins : La jurisprudence qualifie souvent les unions hors mariage d’immorales et annule les donations ou libéralités entre concubins. Les concubines n’ont aucun droit à réparation en cas de décès de leur partenaire.
b. Émergence de la famille « foyer »
- Une lente évolution conduit à une redéfinition de la famille. Les liens du sang perdent progressivement de leur primauté au profit des liens conjugaux :
- En 1891, le conjoint survivant acquiert un droit successoral en l’absence d’enfants.
- En 1917, les successions entre parents sont limitées au 6ᵉ degré.
Malgré ces évolutions, jusqu’aux années 1950, le droit de la famille demeure largement fidèle au modèle de 1804 : une cellule fondée sur le mariage, dominée par le mari et rigoureusement encadrée par la loi.
II. le droit contemporain
Les transformations du droit de la famille, amorcées dès les années 1960, ont été portées par une succession de lois, une jurisprudence novatrice et un contexte international propice aux revendications d’égalité et de liberté. Les progrès scientifiques et les mutations sociologiques ont favorisé l’affirmation de l’égalité entre époux, entre mères et entre enfants, ainsi qu’une diversification des modèles familiaux (concubinage, PACS, mariage pour tous). Cette évolution s’est accompagnée d’un renforcement du rôle du juge pour garantir l’intérêt de l’enfant et résoudre les éventuels conflits, tandis que le législateur s’efforce d’adapter en permanence les règles à la réalité plurielle des familles contemporaines.
A) Les sources
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La loi
Dès le début des années 1960, le droit de la famille a fait l’objet de réformes successives qui ont profondément transformé la vie juridique des couples et des enfants. Parmi les textes les plus marquants, on peut rappeler :- La loi du 14 décembre 1964, révisant le statut des mineurs.
- La loi du 13 juillet 1965, qui constitue une première grande réforme des régimes matrimoniaux, elle-même remaniée plus tard par la loi du 23 décembre 1985.
- La loi du 11 juillet 1966, véritable révolution dans le domaine de l’adoption.
- La loi du 3 juillet 1968, initialement vouée à organiser la protection des majeurs incapables, domaine continuellement révisé, notamment par les réformes introduites par la suite.
- La loi du 4 juillet 1970, qui a rénové l’autorité parentale et fait l’objet de modifications supplémentaires ultérieures.
- La loi du 3 janvier 1972, refonte essentielle de la filiation, remaniée en profondeur par l’ordonnance du 4 juillet 2005.
- La loi du 11 juillet 1975 sur le divorce, qu’une réforme ambitieuse du 26 mai 2004 a complétée pour simplifier encore les procédures.
- La loi du 15 novembre 1999, introduisant le PACS et reconnaissant juridiquement le concubinage, ensuite enrichie par la loi du 23 juin 2006.
- La loi du 3 décembre 2001, qui a modernisé le droit des successions.
- La loi du 4 mars 2002, réformant l’attribution et le choix du nom de famille.
- La loi du 23 juin 2006, poursuivant la révision du droit successoral et du régime des libéralités.
Ces dernières décennies ont également vu émerger de nouveaux textes majeurs. Ainsi, la loi du 18 mai 2013 (dite « mariage pour tous ») a introduit le mariage entre personnes de même sexe et a élargi le cadre de la filiation et de l’adoption. Par la suite, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a ouvert l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, y compris aux femmes célibataires et aux couples de femmes, bouleversant une nouvelle fois le paysage familial.
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La jurisprudence
À côté des textes législatifs, la jurisprudence a souvent joué un rôle novateur. Les tribunaux ont parfois adopté des solutions audacieuses, par exemple en reconnaissant certaines formes de libéralités ou de contrats entre concubins, en élargissant progressivement le champ du droit familial, ou encore en facilitant l’adoption par les couples non mariés. Les décisions des juridictions européennes, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme, sont également venues influencer l’interprétation des dispositions nationales et garantir le respect des principes fondamentaux (vie privée, égalité, non-discrimination, etc.). -
Les conventions internationales
Enfin, des traités et conventions supranationaux (la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention de La Haye sur l’adoption internationale, la Convention relative aux droits de l’enfant, etc.) imposent aux États signataires, dont la France, un certain nombre d’obligations. Ces instruments internationaux peuvent conduire le législateur à réviser régulièrement sa législation interne afin de garantir la conformité aux engagements internationaux.
B) Les causes
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Les causes sociologiques
- L’exode rural et la mobilité géographique ont provoqué la dispersion des familles élargies et la transition vers la famille nucléaire. Les solidarités familiales traditionnelles se sont transformées, les générations ne vivant plus nécessairement sous le même toit.
- Le travail des femmes s’est généralisé, leur permettant d’acquérir une autonomie financière et de réclamer davantage de droits. Cet accès à l’indépendance économique s’est accompagné d’une revendication d’égalité dans le couple et d’une remise en cause du chef de famille unique.
- Le déclin du sentiment religieux a également réduit le poids des prescriptions morales ou confessionnelles sur la structure familiale. Les obligations et les interdits d’ordre religieux se sont affaiblis, laissant place à une conception plus séculière de la famille et du mariage.
- La contestation de l’autorité s’est manifestée à plusieurs reprises dans l’histoire récente : dans les années 1960-1970, l’esprit de libération sexuelle et la remise en cause de toutes les formes de hiérarchie se sont traduits par un refus des cadres juridiques trop stricts. Les concubins rejetaient souvent l’idée de se marier, préférant une vie de couple sans contrainte légale. Dans les années 1980-1990, marquées par le chômage et l’apparition du sida, la contestation a pris la forme d’une demande de « démocratisation » du droit, portant à la création de nouveaux contrats (contrat de concubinage, PACS, etc.) permettant de négocier les termes de la vie de couple.
- Les revendications des minorités (couples de même sexe, célibataires, personnes stériles souhaitant recourir à l’adoption ou à des techniques de procréation assistée) ont peu à peu obtenu la reconnaissance d’un droit à la différence et la possibilité de fonder une famille selon des modalités auparavant exclues (adoption par des célibataires ou des couples homosexuels, PMA pour les femmes seules).
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Les causes biologiques
Le développement de la génétique et de la médecine a profondément fait évoluer le droit de la filiation. La possibilité d’identifier le père biologique par des tests ADN et la mise en œuvre des procréations médicalement assistées (PMA, GPA dans certains pays) ont introduit des situations que la législation a dû prendre en compte : filiation génétique, gestation pour autrui (même si interdite en France), reconnaissance légale de la filiation d’intention, etc.
C) L’accomplissement de l’égalité
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L’accomplissement
- Entre époux : L’autorité maritale a disparu, remplacée en 1942 par la notion de « chef de famille », avant que celle-ci ne soit elle-même abolie au profit de la co-direction (réforme de 1970), accordant à chaque conjoint des droits égaux sur la gestion des affaires familiales.
- Au plan patrimonial : La réforme de 1965 a accordé à la femme mariée la gestion de ses biens propres, alors qu’auparavant ceux-ci étaient traditionnellement administrés par le mari. Cette égalité a été renforcée en 1985, donnant aux deux époux la même capacité à gérer la communauté (article 1421 du Code civil).
- Entre mères : Les différentes réformes intervenues depuis 1970 ont garanti l’égalité des droits entre la mère et le père, même lorsqu’ils ne sont pas mariés. L’attribution du nom de famille à l’enfant a longtemps favorisé le père, mais la loi du 4 mars 2002 a permis de choisir entre le nom du père, celui de la mère ou un double nom.
- Entre enfants : Les enfants dits « naturels » (nés hors mariage) et « adultérins » (nés d’une relation extraconjugale) ont progressivement acquis les mêmes droits successoraux que les enfants « légitimes ». Les lois du 11 juillet 1966 et du 3 janvier 1972 ont fait tomber une grande partie des discriminations, tandis que la loi du 3 décembre 2001 et l’ordonnance du 4 juillet 2005 ont achevé de supprimer les dernières inégalités, unifiant la filiation et n’employant plus la terminologie « enfant naturel » ou « enfant légitime ».
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Les modalités de l’égalité
- L’association ou la cogestion : Les époux ou les parents exercent certains droits ensemble, en particulier pour les actes les plus graves (par exemple la vente d’un bien immobilier dépendant de la communauté).
- L’égalité dans l’indépendance : Chacun dispose de domaines réservés qu’il gère seul. Sous le régime de la communauté légale, chaque conjoint administre ses biens propres et ses revenus professionnels comme il l’entend.
- L’égalité dans l’interdépendance : Pour certains biens communs, la gestion concurrente permet à chacun d’agir seul, même si l’autre conjoint dispose de la même prérogative. Cette organisation requiert un consensus implicite pour éviter des décisions contradictoires.
Dans les faits, cette égalité accrue a multiplié les interventions judiciaires. Les époux ou les parents en désaccord peuvent saisir le juge aux affaires familiales, spécialisé dans les conflits liés au divorce, à l’autorité parentale ou au partage des biens. Les questions plus lourdes (état des personnes, changement de filiation) restent toutefois du ressort du tribunal judiciaire siégeant en formation collégiale.
D) L’épanouissement de la liberté
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L’affaiblissement des contraintes
- Entre époux : De nombreuses restrictions ont disparu. L’immutabilité du régime matrimonial a été levée par une réforme intervenue en 2006, permettant aux conjoints de modifier plus facilement leur régime patrimonial. Les contrats interdits entre époux autrefois (contrat de société, contrat de travail, etc.) sont aujourd’hui reconnus, sous réserve du respect de certaines règles. Par ailleurs, la libéralisation progressive du divorce fait qu’il est désormais possible de rompre le lien matrimonial même lorsque l’un des époux est « coupable », ce qui n’était pas le cas auparavant.
- À l’égard des enfants : L’âge de la majorité a été abaissé à 18 ans en 1974, accordant plus rapidement aux jeunes la pleine capacité juridique. Les règles de tutelle ou de curatelle ont également évolué, offrant des mesures plus souples et adaptées en fonction du discernement de chacun.
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Le contrôle des autorités
- Entre époux : La notion d’autorité maritale ou de chef de famille a totalement disparu. Chacun est considéré comme un individu autonome et responsable, jouissant de droits identiques.
- Sur les enfants : Contrairement à la sphère conjugale, le contrôle du juge s’est accru pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Aujourd’hui, tout enfant capable de discernement peut être entendu par le juge dans une procédure le concernant (garde, changement de nom, etc.). Dès 13 ans, il doit consentir au changement de son nom de famille.
III. L’apparition d’une famille à la carte et l’ouverture du mariage pour tous
- Multiplicité de modèles familiaux : À l’origine, seule la famille légitime, issue du mariage, était reconnue. Peu à peu, le concubinage a acquis une certaine reconnaissance légale ou jurisprudentielle. Le PACS instauré en 1999 a offert une forme d’union civile aux couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, avec des droits et devoirs intermédiaires entre le concubinage et le mariage.
- Mariage pour tous : La loi du 18 mai 2013 a ouvert la voie au mariage des couples de même sexe, faisant de la France le 9e pays européen à franchir ce pas. Les couples homosexuels bénéficient désormais de tous les droits attachés à l’union matrimoniale : adoption, droits successoraux, possibilité de filiation conjointe, etc. Dès l’année 2014, les mariages de personnes de même sexe ont représenté environ 4 % de l’ensemble des unions célébrées sur le territoire.
- Adoption par les couples de même sexe : Sur le plan jurisprudentiel, la haute juridiction a validé l’adoption de l’enfant de sa conjointe pour une femme mariée, lorsque l’enfant est issu d’une PMA réalisée à l’étranger. Malgré quelques refus ponctuels, la tendance majoritaire des tribunaux est d’accepter l’adoption lorsque les conditions légales de consentement et de protection de l’enfant sont respectées. De ce fait, l’adoption est nettement ouverte, sous toutes ses formes (plénière ou simple), à tous les couples mariés, en cohérence avec la loi du 17 mai 2013.
Face à ces évolutions, la famille se décline sous plusieurs versions :
- Concubinage : peu d’effets juridiques, mais grande souplesse.
- PACS : davantage de droits et d’obligations partagées, tout en restant plus simple à rompre qu’un mariage.
- Mariage : la forme la plus complète, donnant accès aux régimes matrimoniaux, à l’adoption et à l’ensemble des droits de la famille.
Les enfants peuvent naître à l’intérieur ou hors mariage sans subir de discriminations en matière de nom, de filiation ou d’héritage. L’adoption est possible pour une personne seule ou un couple. Enfin, la PMA est désormais accessible à toutes les femmes, élargissant davantage le modèle familial et ouvrant la porte à des questionnements futurs sur l’évolution du cadre légal (par exemple concernant la reconnaissance automatique de la filiation pour la conjointe de la mère ayant recouru à la PMA).