La Condition des Personnes Morales Etrangères
On s’intéressera à la condition des personnes morales de droit privé. Dans ces personnes morales, on abordera les sociétés autour de trois questions :
– la question de la nationalité de la société,
– de la condition des sociétés étrangères en France – celle de la loi applicable à la société.
Chapitre 1 : La Nationalité de la Société
- Le droit de la nationalité
- La nationalité des sociétés ou des personnes morales
- Les droits des étrangers en France
- L’éloignement des étrangers (expulsion, reconduite à la frontière…)
- Le séjour des étrangers en France
- L’entrée des étrangers sur le territoire français
- Le contentieux et la preuve de la nationalité française
—> La nationalité intéresse-t-elle que des personnes physiques ?
Non mais tout dépend de ce que l’on appelle nationalité :
– si on entend par nationalité, la nationalité des personnes physiques c’est-à-dire le même concept alors il n’y a pas de nationalité des personnes morales, ce qui écarte l’allégeance des personnes morales et personne n’a soutenu que la population d’un Etat se compose des personnes physiques et des personnes morales qui auraient sa nationalité. De plus, les dispositions du Code civil ne concernent que les personnes physiques.
– si on admet qu’il peut y avoir différents concepts de nationalité, plus ou moins riches ou denses, alors on peut admettre qu’il y ait une nationalité des personnes morales moins substantielles que celle des personnes physiques mais utile pour régler un certain nombre de problèmes juridiques et pratiques. C’est la position de la majorité de la doctrine en France et sans doute celle du législateur français même s’il n’use pas explicitement le terme de nationalité des personnes morales.
—> S’il y a une nationalité des sociétés, autonome par rapport à celle des personnes physiques, quels sont les critères de détermination de cette nationalité ?
Le droit français donne la préférence au critère du « siège social » c’est-à-dire que la société à la nationalité du pays où se trouve le siège de ses organes centraux.
Le droit français se distingue des droits anglo-saxons qui donnent préférence au critère dit de l’incorporation c’est-à-dire au critère selon lequel, la société a la nationalité du pays où elle s’est constituée.
De même, le droit français se démarque par le critère de contrôle qui donnerait à la société la nationalité des personnes ou des intérêts qui le contrôle en réalité. Mais les distinctions entre siège social – incorporation et siège social – contrôle ne sont pas aussi étanches qu’elles le paraissent.
Section 1 : Siège Social et Incorporation
Dans le critère du siège social, la société a la nationalité du pays où siègent ses organes centraux alors que le dans critère de l’incorporation, la nationalité est celle du pays où elle a pris corps.
Il faut noter que le critère de l’incorporation a deux avantages car il est facile à déterminer :
– On peut savoir très vite où une société s’est constituée.
– Puis il est stable pendant toute la vie de la société. Mais ce critère tend à favoriser les pays dans lesquels se constituent de nombreuses sociétés et ce sont les pays anglo-saxons.
En revanche, le critère du siège social a des inconvénients et des avantages opposés :
—> il n’est pas facile à déterminer surtout quand le siège social réel ne correspond pas au siège social statutaire et dans ce cas, il faut donner la préférence au siège social réel mais il y a une incertitude dans ce type d’hypothèses.
—> Puis le second inconvénient est que la société peut changer de siège social y compris réel et passer d’un pays à un autre : dans cette hypothèse, elle peut changer de nationalité. Or, le changement de nationalité pour une personne morale est plus fâcheux que pour une personne physique et ce changement créé un élément de trouble chez les partenaires de la société. Mais si on peut déterminer, le critère du siège social est plus réaliste que le critère de l’incorporation : lorsqu’il y a unité du siège social statutaire et de celui réel, la nationalité de la société correspond plus à la réalité de cette société que ce que donnerait le critère de l’incorporation.
Cependant au-delà des divergences évidentes qui les opposent, le critère du siège social et le critère de l’incorporation sont en pratique moins éloignés l’un de l’autre que l’on pourrait le croire.
Ces distinctions sont plus apparente que réelles car ces deux critères désignent la même nationalité dans le cas concret : pour quelles raisons ?
Dans la majorité des cas, le siège social statutaire c’est-à-dire celui qui figure dans les statuts de la société : le premier siège statutaire est fixé dans le pays de la constitution de la société c’est-à-dire de son incorporation. Il parait en effet peu vraisemblable que les fondateurs de la société la constituent dans un pays tout en fixant comme premier siège statutaire, un autre lieu dans un autre pays. De même, il est fréquent que ce premier siège social statutaire corresponde dans les débuts de la société à son siège social réel : il est fréquent qu’il y ait coïncidence des deux sièges sociaux c’est-à-dire statutaire et réel. Par conséquent, dans la majorité des cas, le critère de l’incorporation et le critère du siège social désignent la même nationalité, au moins dans les débuts de la société.
Par la suite, la société peut changer de siège social alors qu’elle ne changera jamais de pays d’incorporation donc dans la vie de la société, il peut arriver que le critère du siège social désigne un autre pays que le critère de l’incorporation. Mais les hypothèses de changement de siège social ne sont pas les plus nombreuses, de même que les hypothèses de dissociation entre siège social statutaire et siège social réel : hypothèses qui sont marginales.
On peut alors penser que dans la majorité des situations, le critère du siège social et le critère de l’incorporation parviennent au même résultat.
Cette analyse doit conduire à minimiser la portée du débat sur le choix du critère et peut être aussi, à ne pas donner plus d’importance que nécessaire à la constatation que dans le cadre de l’UE, certains pays sont attachés au critère du siège social (pays du continent sauf les Pays-Bas) alors que d’autres sont attachés au critère de l’incorporation (Royaume-Uni et Pays-Bas). Certains textes de l’UE paraissent donner un rôle significatif au critère de l’incorporation mais ce critère ne doit pas être exagéré non plus.
Section 2: Siège Social et Contrôle
Le critère du contrôle est apparu en France pendant la Première Guerre Mondiale comme une sorte de correctif lorsque le critère du siège social emporte des conséquences paradoxales voire contraires à l’intérêt national.
Dans les premiers jours de la guerre 1914 – 1918, le gouvernement français pris des mesures de séquestre des biens situés en France appartenant à des ressortissants de pays ennemis (empire allemand, hongrois, royaume de bulgare..). Ces mesures de séquestre ne posèrent pas de problèmes juridiques particuliers pour les étrangers, personnes physiques. Mais ils en posèrent pour les sociétés étrangères car le gouvernement décida que les biens situés en France et appartenant à des sociétés de nationalité ennemie seraient aussi séquestrés.
Or, un problème se posait en la matière car c’est le critère du siège social qui était utilisé et qu’il fallait tenir pour française, toutes les sociétés ayant leur siège en France. Or, parmi ces sociétés qui avaient leur siège en France et qui étaient alors de nationalité française, il y avait des sociétés dirigées par des ressortissants allemands ou des ressortissants austro-hongrois. Ce n’était pas une fraude.
Pour les sociétés, il fallait un autre critère que celui du siège social. En 1914, le législateur a décidé que seraient soumises à séquestre toutes les sociétés qui ont leur siège dans un pays ennemi et les sociétés qui ont leur siège en France mais contrôlées par des ressortissants ennemis : apparition du critère de contrôle.
A la fin de la 1ère Guerre Mondiale, disparition du critère du contrôle avec les mesures de séquestre mais il réapparu pour les mêmes raisons, pendant la seconde Guerre Mondiale et depuis, il a eu quelques applications très isolées mais toujours assez significatives.
Exemple : fin de la guerre d’Algérie, les sociétés qui ont leur siège en Algérie et qui jusque là étaient françaises, perdraient la nationalité française si elles conservaient leur siège en Algérie après l’indépendance de ce pays. Mais certaines sociétés ne purent pour certaines raisons transférer leur siège en France avant l’indépendance de l’Algérie et ne furent en mesure de le faire que quelques semaines après l’indépendance. Ces sociétés avaient perdu la nationalité française sur le papier au jour même de
l’indépendance de l’Algérie. En 1971 et selon la Cour de cassation, une société dans une telle situation était restée française parce qu’elle était contrôlée par les intérêts française.
Le critère du contrôle qui reste original est un critère de guerre et d’hostilité. Dans la pratique du législateur et des gouvernements, ceci est vrai. Mais dans la doctrine, c’est moins vrai car il est arrivé que sous des formes diverses et parfois avec des appellations différentes que ce critère soit proposé dans tel ou tel cas. Il en a été ainsi pour les groupes de sociétés, groupes qui n’ont pas la personnalité morale en France. La société mère et les filiales sont alors des personnes juridiques différentes et donc elles ont une nationalité différente si leur siège social respectif est établi dans des pays différents.
Pour certains auteurs, cette solution ne serait pas réaliste et ils ont proposé que soit les sociétés du groupe aient la même nationalité que la société mère, soit qu’elles aient toute la nationalité du pays où se trouve le vrai et principal centre de décision du groupe. Dans les deux cas, ces propositions
reviendraient à appliquer le critère du contrôle, soit parce que l’on peut considérer que la société mère contrôle ses filiales, soit parce que l’on peut considérer que le vrai contrôle du groupe est au lieu du centre principal de décision du groupe.
Ces propositions n’ont pas eu de succès véritable mais elles montrent la tentation qui revient régulièrement d’utiliser un critère qui serait plus réaliste que le critère du siège social. En effet, le critère du siège social peut ne pas correspondre véritablement à ce qu’est la société. Ainsi le critère de contrôle est plus réaliste.
Mais il présente des inconvénients, notamment celui d’une insécurité juridique quasi-totale, dans la mesure où il est difficile dans de nombreux cas, de déterminer qui contrôle véritablement une société et dans la mesure aussi où dans les grandes sociétés, le contrôle peut changer de main rapidement. Il n’est alors pas envisageable que le critère du contrôle concurrence véritablement le critère du siège social sur le terrain des principes.
Cela dit, on peut envisager que le critère d contrôle soit utilisé dans certains cas très particuliers, en complément du critère du siège social, notamment pour la jouissance de certains droits spécifiques.
Exemple : le législateur peut réserver la jouissance d’un droit particulier aux sociétés françaises mais en précisant que par société française, on entendra une société ayant son siège en France et contrôlée par des intérêts français.
Chapitre 2 : La Condition des Sociétés Étrangères en France
C’est la même que celle des personnes physiques étrangères, tout au moins pour ce qui est des droits privés. Les sociétés étrangères relèvent aussi de l’article 11 du Code civil dans son interprétation actuelle (théorie de Demangeat et Valette).
Elles jouissent en principe de tous les droits privés sauf ceux qui sont expressément réservés par le législateur aux sociétés françaises. Pour ces derniers, les sociétés étrangères peuvent en jouir s’il y a entre leur pays et la France un traité de réciprocité diplomatique.
La seule différence véritable avec les personnes physiques étrangères est que lorsque le législateur français réserve certains droits aux sociétés françaises, il est assez fréquent qu’il ajoute que ne sera dans ce cas considérée comme française, qu’une société ayant à la fois son siège en France et se trouvant sous contrôle français.
Jusqu’en 2007, il y avait une autre différence assez significative : la personnalité juridique des sociétés étrangères n’était reconnue de plein droit que si ces sociétés n’étaient pas des sociétés anonymes. Si ces sociétés étaient des Sociétés Anonymes alors leur personnalité juridique n’était reconnue que s’il y avait en ce sens un traité entre leur pays et la France ou si toutes les sociétés de ce pays bénéficiaient en ce sens d’un décret collectif français.
Cette règle curieuse est par certain coté, aberrante car elle ne faisait de difficultés pour la reconnaissance de la personnalité juridique ou morale, qu’aux sociétés dont la personnalité est incontestable. Cette règle remontait à une loi du 1857, loi consécutive à un incident juridique entre la France et la Belgique (incident en 1849) : les SA de tous les pays se voyaient priver de la personnalité juridique automatique.
Cette histoire a durée 150ans et en 2007, les sociétés étrangères quel quelles soient, voient leur personnalité juridique reconnue automatiquement en France mais sous deux limites :
– la personnalité juridique donne la capacité juridique mais étant entendu qu’elles ne peuvent avoir en France une capacité juridique plus importante que celle qu’elles n’ont dans leur pays
– étant entendu qu’elles ne peuvent pas avoir en France une capacité juridique plus importante que celle qu’ont les sociétés françaises du même type.
La personnalité juridique des sociétés n’est pas considérée comme aussi naturelle, évidente que la personnalité juridique des personnes physiques.
Chapitre 3 : La Loi Applicable sur les Sociétés
L’article 1837 du Code Civil sur les sociétés en générale énonce que « toute société dont le siège est situé sut le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française ».
Cette règle est d’apparence unilatérale car elle semble ne s’intéressait qu’à la compétence de la loi française. Or, cette règle est facilement bilatéralisable car on peut en déduire que puisqu’une société située en France relève de la loi française alors les sociétés dont le siège se trouve à l’étranger relèvent de la loi étrangère de leur siège.
Pour le droit international privé français, la loi applicable à une société est celle de son siège social dit « lex societatis » : application à la constitution, fonctionnement et à la dissolution de la société.
Mais cet article, à son alinéa 1 amène à s’interroger sur l’hypothèse de dissociation entre le siège social statutaire et celui réel de la société, donc quelle loi appliquer ?
La doctrine française répond que dans l’hypothèse d’une telle dissociation, il faudrait faire une préférence au siège social réel mais ce n’est pas exactement ce qu’énonce l’alinéa 2 de l’article du Code civil car selon ce dernier, « les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire mais celui-ci ne leur est opposable par la société si le siège réel est situé en un autre lieu ». Lorsqu’il y a dissociation entre les deux sièges sociaux, les tiers ont une option car ils peuvent dire qu’ils s’en tiennent à la loi du siège statutaire ou au contraire, ils disent que la loi française est compétente car le siège social serait fictif. L’article reconnait une option de législation qui est une incitation forte faite aux sociétés de ne pas dissocier le siège : si dissociation, la société donne une arme de législation contre elle, au tiers.
Cet article 1837 comme l’article L210-3 du nouveau code de commerce qui reprend la même règle, se gardent bien d’évoquer la nationalité de la société. La formulation des deux articles n’exclut pas cependant le recours à la nationalité des sociétés car on peut considérer que dans la mesure où en France la nationalité d’une société dépend de son siège social, la loi applicable est alors celle de sa nationalité car c’est la loi de son siège social.
Cette « lex societatis » a une compétence large car elle couvre quasiment toute la vie de la société, et dans ce qui concerne la vie de la société, elle n’est réellement concurrencée que par les lois de police c’est-à-dire par les règles tenues pour aussi importante qu’elles déterminent elles même leur champ dans l’espace indépendamment des règles de conflits.
En revanche les contrats conclus par la société relèvent de la loi d’autonomie, règle de conflit en matière de contrat et les dommages causés par la société à des tiers ou subis par la société du fait de tiers, relèvent de la loi du lieu du dommage c’est-à-dire la loi du lieu du délit.