La Réforme grégorienne

La réforme grégorienne et ses conséquences sur le droit canonique

Après l’an 1000, l’Europe occidentale est en pleine féodalité. Les évêques ont remplacé les princes dépassés en matière institutionnelle, et stimulent les mouvements de paix. Un redressement démographique, accompagné de certaines découvertes technologiques, initient un relèvement économique : le monde change. Une nouvelle renaissance s’annonce et elle intervient des siècles après la renaissance carolingienne. Pour la France, cette renaissance est celle des capétiens. Comme au temps de Charlemagne, l’Eglise va accompagner le mouvement, en adoptant une attitude différente. Le pouvoir temporel est plus fragile qu’aux temps carolingiens et l’Eglise va ainsi imposer une théocratie différente. La papauté s’affirme face au pouvoir temporel, lutte pour s’affranchir de ces pouvoirs temporels. Dans ce combat, la papauté a besoin de moyens juridiques. Les juristes vont ainsi travailler sur des sources nouvelles, notamment sur le droit de Justinien redécouvert. Les juristes de l’entourage des Papes ne se contentent pas de redécouvrir les sources anciennes, et décident aussi d’améliorer les textes canoniques épars, en composant finalement ce qui sera le Corpus iuris canonici. L’étude de se Corpus va rejoindre celle du Corpus iuris civilis, et la rencontre de ces deux études donnera naissance à ce qu’on finira par appelé le ius commune (droit commun de l’Europe), c’est à dire le préalable indispensable à l’émergence d’un droit proprement français.

Malgré la chute des carolingiens, l’idée d’empire ne disparait pas. L’empire d’Occident, en dépit de cette chute ne disparait pas et renait de ses cendres en Germanie. Les rois de Germanie deviennent empereur à partir de 962 et à partir de la, ils relèvent l’héritage carolingiens. Apparait ainsi une nouvelle dynastie impériale, la dynastie otonienne, du nom du premier empereur germanique et fondateur de cette dynastie, Otton Ier. Cette dynastie s’impose comme une dynastie puissante autour de l’an 1000, mais elle finit par s’effacer. Pour autant, l’empire ne s’efface pas et renait dans une nouvelle famille. Au XIème siècle, la dynastie impériale se transmet dans la dynastie des Saliens. L’empereur germanique continue le césaropapisme carolingien, intervient dans l’élection des papes et comme tous les rois francs, il choisit les évêques de Germanie. La papauté décide alors d’en terminer avec la tutelle impériale, elle s’enhardie car le XIème siècle est une période propice au changement, et en pleine féodalité, les empereurs sont plus vulnérables. Commence alors la réforme grégorienne, qui commence avec le pape Léon IX (1049-1054). Dans l’entourage du pape, les clercs favorables à Léon IX trouvent des textes, qui sont rassemblés, et qui permettent de défendre la primauté de Rome sur toutes les Eglises. Un moine se charge notamment avec l’équipe qu’il constitue de rassembler une collection canonique de combat, Humbert de Moyenmoutier. Il fait une collection en 74 Titres dont le but est d’affirmer la primauté romaine sur toute les Eglises. En s’appuyant sur cette collection, la papauté va assoir sa primauté. La primauté romaine réaffirmée conduit au schisme, l’Eglise romaine se sépare définitivement de l’Eglise d’Orient (qui deviendra l’Eglise Orthodoxe). La défense de la primauté aboutit donc premièrement à un schisme. Rome ensuite va être assez forcée de s’affranchir de la tutelle impériale. Ce n’est pas Léon IX qui va mener ce combat, Léon IX s’est distingué par la collection des textes. Celui qui va s’affranchir de cette tutelle c’est le Pape Nicolas II. En 1059, il réforme la procédure d’élection du Pape. Dorénavant, à compter de cette réforme, le Pape est élu par les cardinaux de l’Eglise romaine. Ce sont les cardinaux de l’Eglise romaine qui préparent l’élection, et ce sont ces mêmes cardinaux qui font l’élection et pour cela ils se constituent en Sacré Collège.

L’empereur germanique est exclu de la procédure d’élection. Il est toujours envisagé dans la procédure mais seulement dans un rôle symbolique. La réforme, dite grégorienne prend une tournure plus conflictuelle encore en 1073. A cette date, le Pape élu, Grégoire VII, va donner à la réforme initiée par la papauté, tout son contenu.

  • A) Grégoire VII.

Son véritable nom était Hildebrand, moine d’origine germanique. Il devient Pape en 1073 et va rester sur le siège de Pierre jusqu’en 1085. Pendant son pontificat, il va accentuer les effets de la réforme, réforme commencée avant lui mais qui va porter son nom. Grégoire VII est un intransigeant, il a conscience que l’Eglise connait de grande difficulté. L’église d’occident connait une période trouble. Nombre de clercs paraissent corrompus. Il est bien décidé à régler les difficultés de l’Eglise. Pour cela il décide de lutter contre l’influence laïque. Selon lui, les mots sont causés par l’interférence des laïques dans les affaires de l’Eglise. Il est déterminé à rompre l’influence des laïcs sur l’Eglise. Il provoque une querelle qu’on appelle la querelle des investitures. Cette querelle en apparence purement politique va néanmoins modifier considérablement les contours de la théocratie. Elle va également modifier durablement la hiérarchie ecclésiastique. Une querelle qui va placer l’Eglise toute entière sous l’autorité absolue sans partage du Pape.

1- Les difficultés de l’Eglise d’Occident au XIème siècle.

En pleine féodalité, Humbert de Moyenmoutier fait le constat que nombres d’évêques et nombres de prêtres dans tout l’occident sont indignes de leurs fonctions. Pour beaucoup, ces clercs corrompus mènent une mauvaise vie. Il est donc vital pour la légitimité de l’Eglise et pour honorer la mission ecclésiastique de restaurer la discipline et pour cela, corriger la mauvaise vie des prêtres et des évêques, il faut affronter directement l’adversaire. C’est celui, qui en théorie devrait montrer l’exemple, surveiller l’Eglise et ses mœurs. L’adversaire c’est celui qui n’honore pas son ministère : l’empereur germanique.

  • a) Discipline et investiture.

Au XIème siècle, à l’intérieur du Royaume de France et comme partout en Occident, les évêques ne sont plus élus par le clergé ou par le peuple. A partir du Xème siècle, de façon généralisée, les princes territoriaux et les anciens comptes de l’administration carolingienne se sont emparés des biens et des fonctions des institutions ecclésiastiques. Ces princes et ces comptes utilisent les fonctions épiscopales notamment, ils utilisent aussi les charges d’abbé dans le but de récompenser leurs vassaux ou leurs proches parents. Princes et comptes gratifient ainsi leurs vassaux. Cet accaparement au XIème siècle devient intolérable puisqu’on constate que les princes et les comptes confient des fonctions épiscopales à de simples châtelains. De cette investiture laïque, systématique, découlent tous les maux qui accablent l’Eglise d’occident. D’abord, on constate le nicolaïsme. C’est le mode de vie des clercs qui n’est plus respectueux de la religion. Ils commettent trop volontiers les péchés de la chaire, et les conséquences sont dramatiques au niveau institutionnel, beaucoup d’évêques sont mariés ou entretiennent une ou plusieurs concubines. De plus, le fils succède au père dans l’épiscopal. Le Nicolaïsme n’est pas le seul péché grave pour l’époque, on trouve aussi la Simonie. Il s’agit du trafic des biens spirituels, échangés des faveurs spirituelles contre de l’argent. L’empereur, les rois en occident, les évêques, les abbés, les ducs et les comptes, tous, se permettent de vendre des charges d’évêques ou d’abbé pour remplir les caisses de leurs trésors. Ce qui est inadmissible, c’est que les charges épiscopales deviennent vénales. Il importe donc de lutter à tout prix contre ces dérives, contre les dérives du mode de vie des clercs. Il faut empêcher les puissants de placer leurs fidèles, leurs créateurs, leurs proches à la tête des diocèses occidentaux. Le Pape depuis 1051, est devenu indépendant et est en mesure d’entreprendre la lutte contre les usurpations laïques. Il est en mesure de lutter contre les rois, les ducs et les comptes. Il va s’en prendre directement à l’empereur germanique.

  • b) Le Pape et l’Empereur germanique.

Avant Grégoire VII a eu lieu un concile, le concile du Latran, daté de 1059. Ce concile édite un canon important, qui est le canon 6. Ce dernier est la première pierre dans l’édifice de la réforme grégorienne. Il interdit « qu’aucun clerc ou prêtre ne reçoivent d’aucune façon une Eglise des mains d’un laïc ni gratuitement ni pour de l’argent ». La règle interdit à l’évidence la simonie. Plus largement, l’interdiction vise le principe même de la désignation d’un clerc par un laïc.

En 1073, le souverain germanique se nomme Henri IV et il fait partie de la dynastie des empereurs Saliens. C’est contre cet Henri IV que Grégoire VII tourne tous ses efforts. En 1075, Grégoire VII prend un décret qui énonce que «quiconque recevra d’un laïc, un évêché ou une charge d’abbé ne sera considéré ni comme évêque, ni comme abbé». Il décide d’interdire ici l’investiture laïque, c’est une attaque frontale. Grégoire VII fait part de sa vision de l’Eglise à Henri IV. Dans ces lettres Grégoire VII prétend ne pas innover, mais ce qu’il veut simplement, c’est revenir à la règle première et unique de la discipline de l’Eglise. L’Empereur ne peut accepter ces ambitions grégoriennes pour deux raisons. Première raison, les empereurs germaniques sont les héritiers des carolingiens, or d’après la tradition carolingienne, le sacre fait du roi un quasi-prêtre. Donc, lorsque le Pape condamne l’investiture par un laïc, en réalité, il ne peut rien reprocher à l’empereur germanique puisque celui-ci, devenu empereur par le sacre n’est pas un laïc. Ce que revendique Grégoire VII est donc inapplicable à l’empereur germanique. Seconde raison, les souverains germaniques comme les carolingiens avant eux, se sont appuyés sur les évêques, sur les abbés pour dominer le monde féodal. Depuis le Xème siècle, les ottoniens, les saliens ensuite, se sont appuyer pour discipliner les ducs et les comptes de Germanie. Les saliens comme les ottoniens ont fortifié les Eglises majeures au sein propre (par la pierre) comme au sens figuré (par le droit). Ils ont conféré aux principaux évêques et aux principaux abbés des droits de puissances publiques. Evêques et abbés en Germanie peuvent selon les privilèges accorder : battre monnaie, lever l’impôt, lever une armée. Ils disposent de droit de puissance publique, de compétence régalienne. L’investiture des clercs, pour les empereurs germaniques et donc absolument indispensable. Les clercs sont devenus si puissant qu’ils participent dorénavant de la souveraineté de l’empereur germanique. L’entente est impossible, nécessairement la querelle est inévitable.

2- Les dictatus papae.

Grégoire VII porte la querelle sur le terrain politique. La querelle commence comme une querelle sur la discipline ecclésiastique, quand Grégoire VII décide d’affirmer sa suprématie et va imposer la suprématie du Pape sur l’empereur et sur les rois dans tout l’Occident. A ce moment-là, le rapport spirituel temporel change de nature et à compter de Grégoire VII ce rapport ne peut plus être envisagé comme une alliance. Il considère l’empereur comme un laïc contenu, l’Eglise ne peut plus avoir qu’un seul chef : le pape qui sera titulaire d’un pouvoir central et sans partage.

  • a) Principes et formulations.

En 1075, Grégoire VII ne se contente pas seulement de son décret d’interdiction. Il décide aussi de mener une offensive juridique de grande envergure. Politiquement, le pape est faible, l’armée impériale pourrait anéantir les prétentions pontificales. Grégoire VII craint qu’Henri IV marche sur Rome. Grégoire VII va alors déployer un arsenal de 27 propositions que l’on appelle dictatus papae.

Elles fixent la position officielle de l’Eglise romaine selon trois axes : le pape prime l’empereur (proposition 1 et 2), le pape peut déposer l’empereur (proposition 12), le pape peut délier les sujets de leurs serments de fidélité aux injustes (proposition 27). Cette dernière proposition est dévastatrice parce qu’elle s’insère dans un contexte féodal. Dans la société féodale, le serment de fidélité est essentiel pour structurer la confiance et l’obéissance. L’empereur germanique a des vassaux et ces vassaux lui obéissent en vertu du serment de fidélité. Grégoire VII affirme qu’il peut délier les vassaux de l’empereur, de leur serment de fidélité si l’empereur se montre injuste, c’est-à-dire si jamais il refuse de plier devant lui. Certains vassaux n’attendaient que ce prétexte pour se retourner contre l’empereur. Les dictatus papae sèment donc le trouble dans l’organisation féodale. Les 27 propositions sont le fruit d’une réflexion juridique et d’une réflexion séculaire. Elles trouvent leur inspiration dans les canons de l’Eglise. Dans les décrétales des papes et les juristes de Grégoire VII sont allés trouver tout cela dans les collections canoniques du passé. Notamment les juristes se sont inspirées de la collection en 74 Titres. Au-delà de cette collection, les juristes ont consulté aussi la donation de Constantin.

Au XIème siècle, les juristes impériaux qui défendent Henri IV n’ont aucun mal à dénoncer cette donation de Constantin comme un faux. Ainsi, malgré la donation de Constantin, les juristes impériaux nient la faculté que revendique le Pape de pouvoir déposer les empereurs. Henri IV décide de résister et malgré les dictatus papae, et en 1075, il décide de nommer des évêques de Germanie, ce sont les évêques de Spire, Liège et Cologne. En janvier 1076, Henri IV réunit un concile d’évêques germaniques dans la ville de Worms. Et il fait déposer le Pape par les évêques de Germanie, «déposition du faux moine Hildebrand». Grégoire VII riposte en février 1076, et excommunie l’empereur, et ensuite se servant de la proposition 27, il délit les vassaux de l’empereur de leur serment de fidélité. Certains vassaux font alors ouvertement défection, ils abandonnent Henri IV. Les évêques de Germanie commencent beaucoup à douter. Henri IV va perdre trop de soutien, il est obligé d’abandonner la lutte et en janvier 1077, il accepte de rencontrer Grégoire VII. On appelle cette rencontre l’entrevue de Canossa. Henri IV se rend auprès de Grégoire VII, il lui demande audience, et le Pape le fait attendre trois jours. Le Pape finalement accueille les excuses de l’empereur mais selon la légende, à genoux et dans la neige. Dans la querelle des investitures, Grégoire VII sort vainqueur. Les dictatus papae l’ont emporté sur la puissance brutale de l’empereur. Trois ans plus tard pourtant, Henri IV prendra sa revanche. Il va envahir Rome et va contraindre Grégoire VII à l’exil. Mais contrairement à l’empereur, malgré la contrainte, Grégoire VII va rester ferme sur ses principes. Quand il rentre à Rome en 1085 pour mourir, Grégoire VII n’a renoncé à aucune de ces 27 propositions et l’empereur n’a obtenu aucun renoncement sur quelque disposition que ce soit sur les dictatus papae. La papauté triomphe et l’empire fléchit. Les conséquences sur l’empire sont à moyen terme considérables. Elles le sont tout autant pour la hiérarchie ecclésiastique et les sources du droit canonique.

  • b) La centralisation pontificale.

Avec la réforme grégorienne, l’Eglise d’occident resserre ses structures. Le Pape voulait gagner le combat institutionnel contre l’Empereur, et donc la réforme a impliqué une centralisation administrative. Au sein de l’Eglise, la hiérarchie se développe, c’est une hiérarchie ecclésiastique et politique. Au XIème siècle, le pape impose son autorité à ses vassaux. Le pape reçoit l’hommage des princes territoriaux qui entrent dans sa dépendance. Certains vassaux viennent des principautés normandes de l’Italie du Sud. Ce sont des vassaux traditionnels, mais on en trouve d’autres situés en dehors de l’Italie, par exemple dans la vallée du Rhône. Ces princes féodaux se plient à la théocratie nouvelle et signe de leur soumission, ces princes acquittent en cens, une contribution annuelle à ce que l’on appelle la curia romana. Ce terme désigne l’ensemble des services qui contribuent au gouvernement de l’Eglise. Ce gouvernement prend progressivement, à compter de Grégoire VII, les traits d’une monarchie administrative. Le gouvernement de la curie dominé par les services de la curie romaine s’installe dans un palais. Les services de la curie élisent ainsi domicile dans le palais du Latran. La centralisation s’accompagne aussi d’un renforcement de la hiérarchie ecclésiastique. Pour commencer, le pape discipline les archevêques, et à l’initiative de Grégoire VII notamment, un concile de l’an 1080 place l’élection des évêques sous la surveillance du Pape. A compter de ce concile de 1080, chaque fois qu’il faut élire un évêque, le Pape envoie un évêque visiteur. Ce dernier valide l’élection du nouvel évêque et il appartient à l’archevêque de consacrer l’élu. Le contentieux électoral en matière épiscopale relève aussi dorénavant de la compétence de la curie romaine. Le pape veut surveiller convenablement les provinces ecclésiastiques d’occident. Il ne se contente donc pas d’évêques visiteur, mais se sert d’une institution renforcée, les légats pontificaux. Ils sont chargés de la surveillance des archevêques, et les legati sont les instruments de la centralisation pontificale. Ils sont nommés et révoqués par le Pape, ils ne sont que représentants de son autorité. Ils remplissent une mission déterminée, strictement définie, et donc limitée. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, les légats peuvent mettre en oeuvre des pouvoirs considérables. Ils détiennent notamment un pouvoir de juridiction. Lorsqu’ils sont envoyés en mission, ils sont chargés de juger en appel les décisions des évêques et des archevêques. Ces légats utilisent à cette fin des preuves rationnelles : l’écrit et le témoignage. La réforme grégorienne n’a donc pas seulement discipliner les institutions séculières, mais les a aussi conforté.

Ainsi, les compétences des évêques en matière de nomination est restaurée, il est davantage respecté par les archevêques. Les droits de l’évêque sont protégés des empiétements laïcs et et des empiétements des clercs subalternes. La réforme s’attache aussi aux droits paroissiaux pour conforter la place des évêques. Globalement, la réforme grégorienne se traduit par une meilleure précision juridique. Le droit est en effet au coeur des préoccupations pontificales.

  • B) La théocratie pontificale et ses conséquences normatives.

Pour lutter contre l’empereur germanique et pour orchestrer la centralisation romaine, les canonistes ont besoin de textes. Ils les accumulent afin d’appuyer toutes les thèses grégoriennes dans la querelle des investitures et dans la conduite de la centralisation romaine. Grace à ces textes, l’Eglise retrouve sa dignité et le goût de la règle canonique. La législation pontificale, nouvelle ou retrouvée, contribue dans son ensemble à la vitalité de l’Eglise. La théocratie pontificale n’exclue pas pour autant d’autres initiatives législatives et d’autres instances continuent de légiférer. Le renouveau de l’Eglise s’effectue aussi par le renouveau de la législation conciliaire en plus de la législation pontificale.

1- La législation pontificale.

Les dictatus papae sont formels : ils confèrent au Pape «la plénitude du pouvoir». Avec la réforme grégorienne, l’Eglise d’occident gagne en cohérence, et ainsi, elle est groupée autour du pape qui devient le centre de l’impulsion de l’activité juridique. L’Eglise devient plus spirituelle, elle s’affranchit des influences féodales, et obtient ainsi sur le plan judiciaire une extension de sa compétence. En conséquence, au XIIème siècle notamment, sur le plan social et pas seulement disciplinaire, la création normative pontificale se multiplie.

  • a) La iuris dictio pontificale.

L’évêque de Rome détient la toute puissance pontificale, «il a le droit dans sa poitrine», selon un adage de l’époque. Il doit formuler la loi et veiller à son observation. Souverain législateur, le pape est aussi le juge suprême. Dire le droit s’exprime par la législation, par le gouvernement et aussi par la juridiction. Les lettres pontificales, expression du pouvoir législatif, sont aussi des actes administratifs et permettent l’organisation de la justice ecclésiastique. La réforme grégorienne se traduit donc par une omniprésence du pape en raison d’une mission de justice indissociable de sa toute puissance législative. Pour agir, le pape utilise les légats qui lui permettent de réformer la justice d’Eglise. Les légats, par les degré d’appel, lui permettent de contrôler la justice d’Eglise. La justice ecclésiastique sanctionne les empiètements laïcs, mais aussi les désordres moraux des clercs et des simples fidèles. L’Eglise étend sa compétence au XIIème siècle en ce qui concerne les causes matrimoniales, les questions morales connexes du mariages. Dans ces domaines, le pape ne légifère pas souvent directement, l’Eglise en la matière précise ses attributions juridictionnelles par la législation conciliaire.

  • b) Acte et chancellerie.

La réforme grégorienne se traduit naturellement par une réforme de la chancellerie. On constate alors une augmentation du nombre de bureau, elle expédie un nombre d’actes toujours plus importants. Sur un siècle, avant 1048, le nombre d’actes ayant émané de la chancellerie était de 4,6 actes par an. Sous Grégoire VII, ce nombre d’actes passent à 45 par an. Les décrétales interviennent dans de nombreux domaines, notamment pour l’élection pontificale, le serment des clercs, de la poursuite des hérésies et à l’occasion dans la matière matrimoniale. Avec le temps, la terminologie juridique se précise et les juristes romains réfléchissent plus exactement à la terminologie juridique. Ils engagent une réflexion sur la loi, et en dégagent le caractère majeur de la loi, sa généralité. La loi générale s’impose dans l’Eglise, et elle est désormais qualifiée de «constitutio». Cette loi générale est opposée au rescrit, qui dans la nomenclature de la chancellerie, répond dorénavant simplement à une question posée pour un cas particulier. Cette classification nouvelle en ce qui concerne la production de l’Eglise est tirée du droit romain.

Elle sert à résoudre les conflits de loi et les canonistes romains posent une règle évidente : une constitutio plus récente déroge à une plus ancienne. C’est l’application d’une règle qui devient bientôt un adage : «lex posterior derogat priori». L’adage s’impose au Moyen Age, en droit canonique, mais aussi parmi les laïcs. Cette règle finira par s’imposer en France notamment à la législation royale. C’est donc une règle structurée par les canonistes qui est appelée à structurer le droit public français dans les siècles à venir. Cette règle est la encore tirée du droit romain. La loi générale qui s’impose dorénavant pour le gouvernement de l’Eglise peut être aussi bien une décrétale qu’une décision conciliaire.

2- Le sort de la législation conciliaire et synodale.

La réforme grégorienne ne produit pas seulement le redressement de l’Eglise romaine, mais provoque aussi un renouveau de l’activité conciliaire. Les conciles réunit fréquemment de nouveau édictent de nombreux canons. En France, on recense 140 conciles entre 1074 et 1215. Un tel élan s’explique par les liens très étroits qui unissent l’institution conciliaire et le siège pontificale. Ce n’est pas l’unique raison, l’élan conciliaire s’explique aussi par le fait que le concile est l’occasion de légiférer en général et pas seulement pour des questions ecclésiastiques.

  • a) Autonomie et subordination.

Pendant la réforme grégorienne le concile reste un cadre d’expression privilégié : celui de la collégialité épiscopale. Au XIème et XIIème siècle, les conciles occidentaux accompagnent l’oeuvre réformatrice. Le concile est indispensable, il faut cadrer son action, et pour cela, les canonistes réunissent des textes. Anselme de Lucques réunit des collections canoniques pour essayer de clarifier le statut juridique du concile. Comme les juristes favorables au Pape, il s’appuie sur les fausses décrétales pour essayer de clarifier ce statut juridique.

S’appuyant sur ces textes, ils enseignent la supériorité du Pape sur les conciles et sur les assemblées de prélats en général. Le dictatus pape numéro 16 poursuit la même perspective : il interdit à tout synode de se dire général sans le praeceptum du pontife. En théorie, seul le pape peut réunir un concile universel. Les dispositions législatives doivent aussi être ratifiées par le pape pour obtenir force obligatoire. Au XIIème et XIIIème siècle, six conciles dits oecuméniques sont réunis et obéissent à cette règle de la supériorité du Pape sur le synode. Quatre de ces conciles sont des conciles du Latran (entre 1123 et 1215) et deux sont des conciles lyonnais. Lorsque le Pape ne préside pas le concile, il les fait assembler par ces légats, qui sont aussi chargés de le présider. Une fois le concile terminé, les légats doivent rapporter les conciles votés pour les soumettre à la ratification pontificale. La supériorité du Pape n’est cependant qu’une supériorité théorique. Cette doctrine de la supériorité ne se conçoit que pour les conciles romains et pour les conciles français. Entre 1107 et 1147, le Pape a présidé cinq fois au moins un concile général dans le royaume de France. En dehors de la France et de Rome, dans l’immense majorité des cas, les conciles sont provoqués par des convocations qui ne sont pas pontificales. La présidence est souvent assurée par un archevêque ou par des membres de la hiérarchie locale. La législation conciliaire reste donc une source autonome du droit au delà des principes. Elle est subordonnée à la législation pontificale sur un point : les canons conciliaires ne peuvent pas aller contre les décrétales pontificales. Le rôle du concile est de compléter la législation pontificale, de l’expliciter et surtout de l’adapter aux considérations locales.

  • b) Le concile, source de droit.

Au Moyen Age, le concile se trouve au coeur des questions de discipline, celle des clercs. Il est toujours question dans les conciles de sanctionner la simonie, toutes les dérives qui menacent l’Eglise d’Occident. Avec le succès de la réforme, ces questions ont tendance à occuper moins de place dans la législation conciliaire. De plus en plus, les canons adaptent la réforme aux réalités locales. Pour adapter la réforme, selon que l’on s’adresse à l’empereur germanique ou au roi de France, il faut passer par les conciles. Les conciles sont donc aussi au coeur de l’activité politique médiévale.

Ainsi, lorsque se réunissent des conciles importants, des laïcs, des princes féodaux, des rois éventuellement se joignent aux évêques. Il s’agit en effet dans le concile de prendre des décisions religieuses et politiques. Par exemple, un concile se tient à Soissons en 1155 présidé par le roi capétien Louis VII dit le Jeune, à l’occasion duquel barons et prélats, comtes et évêques, jurent une paix de dix ans dans le royaume de France. Cette législation royale tentée n’a une chance d’aboutir que dans le cadre du concile. Les canons servent non seulement les clercs mais aussi à la société toute entière. Parfois même, les canons vont au delà des considérations de droit public. Les canons accompagnent ainsi l’extension de la compétence juridictionnelle de l’Eglise. C’est au temps des grégoriens que l’Eglise conquiert dans le royaume de France, la juridiction exclusive en matière de mariage. Le concile de Reims de 1049 présidé par le Pape Léon IX a fait progressé en son temps la compétence ecclésiastique en ce qui concerne les cas de nullité du mariage et les cas de séparation des époux. Le principe de la juridiction exclusive sur ces affaires est posé par le concile de Tours de 1060. Entre 1059 et 1065, des conciles romains interviennent aussi pour réglementer les cas d’empêchements de parenté. Ces conciles romains interdisent les mariages jusqu’au septième degré canonique, ce qui signifie qu’il faut être séparé du futur conjoint de sept personnes. A la fin du XIème siècle, les nécessités féodales sont très présentes et imposent des unions entre proches. Ces unions entre parents sont nuisibles pour des raisons de santé physique et mentale. Seulement, bien que nocives en termes de santé publique, ces unions étaient très utiles pour des raisons patrimoniales et politiques. Les juristes romains et la législation ecclésiastique s’efforcent génération après génération d’empêcher des unions entre proches pour le bien physique des personnes et pour le bien social, afin de favoriser la transmission du patrimoine. Ces règles canoniques plus qu’indispensables, décrétales ou canons, deviennent rapidement pléthoriques et nécessitent une remise en ordre qui intervient dans le courant du XIIème siècle, qui entretient l’effort de la renaissance juridique, initiée par le redécouverte du droit romain et la réforme grégorienne.