Les diverses catégories de faute
§1. Gravité des fautes :
En matière délictuelle, la responsabilité est indépendante de la gravité de la faute, l’indemnisation est plus grande car elle dépend du préjudice. Il n’y a pas de différence de régime entre la faute intentionnelle (délit) et la faute non-intentionnelle (quasi-délit).
Cependant, il y a des exceptions :
En matière d’assurance, la faute intentionnelle obéit à un régime particulier. Il est interdit de s’assurer contre les conséquences de ses fautes intentionnelles.
Dans certains régimes spéciaux d’indemnisation, il y a une faute particulière : la faute inexcusable. Ex : en matière d’accident du travail et de la circulation (loi Badinter de 1985.)
- Cours de Responsabilité Civile Délictuelle
- Responsabilité du fait d’un produit défectueux
- Accidents de la circulation : Indemnisation et procédures
- Accident de la circulation : conditions d’indemnisation
- La responsabilité du fait d’autrui : conditions et régime
- La responsabilité des enseignants du fait de leurs élèves
- La responsabilité des artisans du fait de leur apprenti
— La victime d’un accident du travail a normalement droit à une indemnisation forfaitaire par la sécurité sociale. S’il y a une faute inexcusable de l’employeur, le salarié peut bénéficier d’indemnités complémentaires prévues par l’art L 452-1 et s Code de la sécurité sociale. Il bénéficie d’abord d’une majoration d’indemnité payée par la caisse de sécurité sociale mais il retrouve également son droit d’agir contre l’employeur pour demander réparation de certains préjudices :
– Préjudice causé par les souffrances physiques et morales qu’elle endure,
– Préjudice esthétique et d’agrément,
– Préjudice résultant de la perte ou diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
— En matière d’accident de la circulation, pour les victimes conductrices et pour les non conductrices surtout (indemnisation facilité) : causes d’exonérations du responsable très limitées mais il y a quand même une cause qui tient à une faute inexcusable de la victime qui la prive de toute indemnisation si elle a été la cause exclusive de l’accident (jurisprudence très stricte pour l’adoption de cette faute).
§2. La faute par action et par omission :
La faute de commission suppose un acte positif. Est-ce que ne rien faire peut constituer une faute ? Cela peut porter préjudice et on peut tout de même estimer de l’abstention est aussi grave. Loisel disait « Qui peut et n’empêche, pèche ! ». En droit positif, la jurisprudence accepte de retenir la faute par abstention ou omission mais elle n’opère pas d’admission générale.
La faute par omission est reconnue quand elle consiste en une inexécution d’une obligation légale ou réglementaire. Une personne qui s’abstient volontairement de porter assistance à personne en péril alors qu’il n’y avait aucun risque pour elle ou pour les tiers (article 223-6 du Code Pénal : faute pénale mais faute civile aussi). Il y a aussi des obligations professionnelles : si elles ne sont pas remplies, la Cour de cassation juge parfois une faute par omission.
Dans un autre cas, même en l’absence de textes imposant d’agir, la jurisprudence admet que ce que la doctrine appelle « l’omission dans l’action » constitue une faute. C’est une abstention qui se situe dans une série d’actes positifs avec lesquels elle fait corps. Ex : un automobiliste ne freine pas à temps. La jurisprudence prend donc en compte le comportement de l’automobiliste dans son ensemble. Il va être apprécié par rapport au comportement qu’aurait eu une personne raisonnable. Ne pas freiner revient à conduire imprudemment ce qui se rapporte à une commission : omission dans l’action.
Un 3e cas existe : la faute est reconnue quand il s’agit d’une abstention résultant d’une intention de nuire. Dans ce cas, la jurisprudence retient l’abstention comme faute. Il est rare que l’abstention sot retenue comme faute.
§3. La faute dans l’exercice d’un droit :
Peut-on, en exerçant nos droits, commettre une faute ?
A. Abus des libertés :
L’exercice d’une liberté peut être tout de même sanctionné quand il en est fait un usage abusif. Ce problème se pose plus spécialement pour la liberté d’expression et de communication de la pensée. On assiste cependant à un refoulement de l’article 1382 Code Civil Il y a un recul de la faute. Ce mouvement de refoulement se manifeste de deux manières. Ces manifestations concernent :
— Les atteintes à la personne :
La Cour de cassation décide depuis des arrêts de l’Ass Plén, 12 juin 2000, que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent pas être réparés sur le fondement de l’article 1382 Code Civil Cette loi prévoit quelques incriminations pénales : La diffamation (article 29 de cette loi : toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne), L’injure (toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait), L’incitation à la haine raciale. La diffamation ou l’injure dirigée contre la mémoire des morts (article 34 de la loi) n’est punissable que dans les cas où les diffamateurs auraient voulu porter atteinte à l’honneur où à la considération des héritiers, de l’époux ou des légataires de la personne décédée. Il y a une prescription de 3 mois (article 65 de la loi). Ainsi, cela a des conséquences :
– Dès lors qu’un fait peu entrer dans l’une des catégories des infractions prévues par la loi de 1881, l’action en responsabilité civile ne peut pas être détachée de l’action publique. Ainsi, si le court délai de prescription de l’action publique est dépassé, la victime ne peut pas se rabattre sur une action fondée sur l’article 1382 Code Civil
– Si des propos peuvent s’analyser comme une diffamation contre la mémoire d’un mort, la responsabilité de l’auteur de ces propos ne peut pas être recherchée sur le fondement de l’article 1382 Code civil, et ce même si cette diffamation n’est pas punissable sur le fondement de la loi de 1881, faute des conditions requises. Il faut non seulement des propos diffamatoires, mais aussi l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des proches du défunt.
Il y a une immunité en matière de presse : la jurisprudence a étendu le champ de cette immunité dans deux arrêts : Cour de cassation, 1ère civ, 27 sept 2005 et Cour de cassation, 1ère civ, 25 janvier 2007. La Cour de cassation considère que les abus de la liberté d’expression ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l’article 1382 Code Civil
Quelle différence avec les décisions de juin 2000 ? On parle ici d’abus de la liberté d’expression mais sans parler « des cas prévus et réprimés par la loi de 1881 ». La portée de cette décision est considérablement augmentée. Les propos litigieux doivent avoir été publiés par un organe de presse. L’extension de cette immunité n’est pas illimitée. En 2007, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’article 1382 Code civil et non de la loi de 1881. Revirement de jurisprudence. On redonne à la victime le droit d’agir sur l’article 1382 car on observe une nouvelle évolution de la jurisprudence qui examine d’un point de vue strict de l’infraction de presse. Cour de cassation, 1ère civ, 6 décembre 2007 et Cour de cassation 1ère civ, 30 octobre 2008 : un locataire a envoyé des lettres à l’employeur de la gardienne qui porte atteinte à celle-ci. Elle veut agir contre le locataire sur le fondement de l’article 1382. La Cour de cassation dit que c’est possible parce que selon la cour, les agissements d’une personne portant atteinte à la réputation et à la dignité d’une autre par le biais de lettres adressées à l’employeur de celle-ci, ne relèvent pas de la loi de 1881. Ceci est de la dénonciation calomnieuse et non de la diffamation : conception stricte que l’infraction de presse.
— Les atteintes à des produits et à des services commerciaux :
L’article 1382 Code civil n’est pas écarté par principe mais on observe un recul du seuil de la faute. Dans quels cas ? Lorsque le fait litigieux relève d’un comportement humoristique, parodique car par nature elle contient une certaine intention de nuire. La parodie est admise en France et donc la faute ne peut pas être constituée que par celle-ci. La Cour de cassation, le 12 juillet 2000 a refusé de qualifier de fautifs des propos de Canal + attaqués par la société Citroën car ils s’inscrivaient dans le cadre d’une émission satirique diffusée dans un cadre audiovisuel et ne pouvaient pas être dissociés de la caricature faite de M. Calvet. Ces propos relevaient de la liberté d’expression puisqu’ici il n’y avait pas de risque de confusion entre la réalité et l’œuvre satirique. Un autre Cour de cassation, 18 octobre 2006, lors d’une campagne anti tabac s’étant manifesté par un détournement humoristique du décor des paquets de cigarette Camel. — Pas de faute.
B. Abus des droits :
Ce problème est beaucoup plus ancien. Il faut savoir que le droit positif et plus particulièrement la jurisprudence consacre certains droits dit discrétionnaires ou absolus qui ne sont pas susceptibles d’abus. Pourquoi ? Parce que l’exercice de certains droits relève d’une appréciation purement personnelle qu’un juge ne pourrait contrôler.
Ces droits sont quand même rares et cette catégorie est assez hétéroclite : Droit des parents de s’opposer aux mariages de leurs enfants, droit de ne pas consentir au mariage d’un enfant mineur, défense du droit de propriété contre un empiétement,… — pas de dégénérescence en abus. Le principe est le suivant : l’exercice d’un droit subjectif peut donner lieu à abus, sauf ces droits discrétionnaires.
Quel est le critère de l’abus de droit ? Le principe est le libre exercice des droits (thèse des individualistes). Cependant, pour des raisons morales, on sanctionne l’intention de nuire à autrui. L’abus de droit se limite à l’exercice d’un droit en vue de causer un préjudice à autrui (thèse de Ripert). Selon la thèse sociale, les droits subjectifs sont accordés à l’individu moins dans l’intérêt propre de l’individu que pour servir certains fins sociales. Dans ce cadre, il y a abus de droit quand il est détourné de la fonction pour laquelle il a été institué (thèse de Josserand).
En jurisprudence, aucune thèse n’a été choisie, la jurisprudence reste pragmatique : elle utilise le mécanisme de la faute : il y a abus dès lors qu’un individu raisonnable n’aurait pas agit de la sorte. Dans certaines affaires, l’abus résulte d’une intention de nuire — Affaire Clément Baillard, 3 Août 1915 : un propriétaire d’un terrain avait planté des piquets avec des pointes en fer. Cela a été jugé comme un abus de droit car cela était fait pour nuire à son voisin, amateur de ballon dirigeable. En droit du travail, cela est reconnu aussi par exemple, quand il y a utilisation abusive d’une période d’essai.