LES RÈGLES DE COMPÉTENCES ORDINAIRES ISSUES DU DROIT COMMUN FRANÇAIS
— Au départ, il n’y avait pas de textes, à l’exception des articles 14 et 15 du Code civil
- — L’article 14 du Code civil : « Les tribunaux francais sont compétents, lorsque le demandeur est francais. »
- — L’article 15 du Code civil : « Les tribunaux francais sont compétents, lorsque le défendeur est francais. »
— Très tôt, les juges ont considéré, à partir d’une interprétation a contrario de ces articles (qui visent seulement les litiges où au moins une partie est francaise) que, lorsque les 2 parties sont étrangères, il y a incompétence des juridictions françaises
— Or, cette jurisprudence n’est pas très opportune, surtout lorsque les 2 parties de nationalité étrangère sont domiciliées en France : dans ce cas, la logique voudrait que le litige puisse être résolu devant les juridictions françaises
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— 1ère conséquence : la paix publique est nécessairement troublée en France (et non à l’étranger)
— 2nde conséquence : cette solution pose nécessairement des inconvénients aux 2 parties, qui devront tous les 2 plaider dans leur pays d’origine
— Pendant longtemps, la Cour de cassation va fermement maintenir le principe, en l’assouplissant seulement légèrement
— 30 octobre 1962 : l’arrêt « SCHEFFEL » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation renverse totalement le principe, en déclarant que « les juridictions françaises ne sont pas incompétentes du fait de la nationalité étrangère des 2 parties »
— La Cour de cassation va, pour fonder la compétence francaise, extrapoler les solutions internes au niveau international : on est donc face à 2 systèmes de compétence
— Un système fondé sur la nationalité
— Un système fondé sur les règles de compétence objectives : ex. le lieu d’exécution du contrat, le lieu du délit, etc.
— Pendant longtemps, il n’y avait pas un système qui l’emportait sur l’autre
— Au bout d’un moment, on s’est rendu compte que le système fondé sur la nationalité était critiquable, puisque les litiges peuvent n’avoir aucun critère objectif de rattachement à la France : ex. un francais, domicilié en Australie, pourrait saisir les juridictions françaises dans un litige contre un australien
— De plus, si une juridiction francaise fonde sa compétence sur l’article 14 du Code civil, il y a peu de chance que sa décision soit reconnue dans d’autres systèmes de droit
— 19 novembre 1985 : l’arrêt « ORLIAC » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation met en place une hiérarchie entre les 2 systèmes, en privilégiant le système objectif de compétence (pour que la règle de compétence ait plus de chance d’être reconnue à l’étranger)
— La jurisprudence a considéré que le système des articles 14 et 15 du Code civil n’était pas exhaustif
— Par conséquent, on effectue donc une transposition des articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile au niveau international : ces règles ont l’avantage d’être bien connues par les juges
— Toutefois, certaines situations ne peuvent être résolues par une telle transposition : on a donc également mis en place des règles propres à l’ordre international
— En outre, la jurisprudence a estimé que, dans un litige à caractère international, les clauses attributives de compétence prorogeant la compétence des juridictions étaient possibles
a) L’application des règles de compétences territoriales internes : l’application des règles du Code de Procédure Civile
— La jurisprudence a puisé dans les articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile pour consacrer les règles objectives de compétence internationale
— Toutefois, certains auteurs (ex. Étienne BARTIN) ont contesté cette transposition : ils objectent l’opposition fondamentale entre les règles internes et internationales
— Les règles internes de compétence sont destinées uniquement à classer les tribunaux francais : l’enjeu n’est donc pas très important
— Les règles internationales de compétence sont destinées à régler un problème de souveraineté (et non seulement un problème de répartition) : l’enjeu est beaucoup plus important
— Or, cette objection n’est pas prise en compte, car il n’existe pas d’autre solution satisfaisante : en effet, on se rabat souvent en droit international privé sur la règle la moins mauvaise
— 19 octobre 1959 : l’arrêt « PELASSA » de la chambre civile de la Cour de cassation affirme, d’une manière plus ou moins timide, l’extension des règles internes au niveau international
— 30 octobre 1962 : l’arrêt « SCHEFFEL » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare fermement que « la compétence internationale se détermine par l’extension des règles de compétence territoriale internes (càd, les articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile) »
— Ex. l’article 42 du Code de Procédure Civile consacre le principe de la compétence du tribunal du domicile du défendeur : la jurisprudence considère, de manière classique, que le domicile au niveau international représente la même notion que celle au niveau national
— Aujourd’hui, on trouve plus en plus de dispositions, qui sont étendues au niveau international, en dehors des articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile (liste non exhaustive)
— L’article 1070 du Code de Procédure Civile relatif au divorce
— Certaines articles du Code de l’assurance
— L’article R517-1 du Code du travail
b) Les règles de compétence purement internationales
— Les règles de compétence purement internationales ne peuvent répartir que les compétences entre les États au niveau international
— Ces règles, au nombre de 4, sont exclusivement fondées par la jurisprudence : il n’y a aucun support textuel
— Or, il n’existe aucune ligne directrice (qui regrouperait ces règles) : on va donc étudier ces 4 règles, au cas par cas, en essayant des les justifier
— En matière de succession immobilière, il y a une règle de compétence spécifique à l’ordre international : celle-ci est admise dans la plupart des ordres juridiques
— En droit interne, l’article 45 du Code de Procédure Civile désigne le tribunal du lieu d’ouverture de la succession : or, le lieu de succession est déterminé en fonction du dernier domicile du défunt
— En droit international, la jurisprudence a considère que, même si le défunt a son dernier domicile à l’étranger, les juridictions françaises sont toujours compétentes pour les immeubles situés en France et inclus dans l’héritage
— En matière d’actions qui mettent en cause le service public francais, les juridictions françaises sont compétentes (alors qu’aucun texte ne permet de le corroborer) : ex. une demande de rectification du registre d’état civil francais relève toujours de la compétence des juridictions françaises
— En matière de mesures conservatoires ou urgentes, les juridictions françaises sont compétentes, afin d’assurer la sauvegarde des personnes ou des biens : ex. les juridictions françaises peuvent désigner un tuteur pour un étranger qui se trouve en France
— Cette règle est communément admise dans les différents ordres juridiques par un ancien adage : « La nécessité fait loi. »
— Afin d’éviter le déni de justice, les juridictions françaises sont compétentes de manière résiduelle si aucune autre juridiction ne peut connaître de l’affaire
— Avant 1962, lorsque l’on connaissait que le système de répartition des compétences fondé sur la nationalité, ce principe était très utilisé, afin que les 2 parties, de nationalité étrangère, mais domiciliées en France puissent saisir les tribunaux francais
— 2 personnes, de nationalité argentine, sont domiciliées en France ; elles sont mariées, mais souhaitent divorcer ; or, ces 2 personnes ne peuvent en principe avoir recours aux tribunaux francais ; elles devraient donc saisir les juridictions argentines ; or, les juridictions argentines ne sont pas compétentes, car la règle de compétence argentine prévoit que les juridictions argentines ne sont compétentes que si l’une des parties est domiciliée en Argentine
— La Cour de cassation a donc considéré que les tribunaux francais sont compétents, afin d’éviter le déni de justice
— Au fil du temps, la jurisprudence a posé 3 conditions pour que le déni de justice soit constitué
— 1ère condition : le demandeur doit prouver qu’aucune autre juridiction ne peut être saisie, en invoquant des raisons de droit ou de fait
— L’argument de droit : ex. aucun tribunal étranger ne se reconnaît compétent
— L’argument de fait : ex. le pays où se situe le tribunal compétent est en guerre civile
— 2e condition : le litige doit présenter des éléments de rattachement suffisants avec la France
— 3e condition : le déni de justice suppose nécessairement qu’aucun tribunal n’admet d’entendre les parties (qu’il faut distinguer de la 1ère condition)
— 10 novembre 1959 : l’arrêt de la Cour d’appel de Paris consacre cette condition
— L’actrice américaine ADAMS s’est mariée avec le prince italien MASSIMO ; or, la situation se dégrade entre les 2 époux ; l’actrice veut se séparer du prince ; les 2 époux étaient installés à Rome ; les juridictions italiennes acceptent de recevoir la demande de l’actrice, mais celles-ci appliqueront la loi italienne, en vertu de la règle de conflit italienne ; or, le droit italien ne connaît pas le divorce ; c’est pourquoi l’épouse voulait saisir les juridictions françaises
— La Cour d’appel de Paris déclare que « les juridictions françaises ne sont compétentes que si aucune autre juridiction n’accepte d’entendre les parties » : ainsi, le déni de justice n’est constitué que si la possibilité de soumettre la demande devant un tribunal étranger n’existe pas (et non la possibilité pour le demandeur d’obtenir gain de cause)
— 1er février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme la compétence des juridictions françaises en cas de déni de justice
— L’État d’Israël a passé un contrat, qui a pour objet un accord de participation à des opérations pétrolières, avec une société irakienne ; une clause particulière prévoit qu’en cas de litige une juridiction arbitrale sera compétente ; la clause prévoit des modalités très classiques en droit de comme international ; en effet, chaque partie doit nommer un arbitre, le 3e arbitre étant nommé d’un commun accord par les 2 arbitres précédents ; or, l’État d’Israël refuse de nommer un arbitre ; ainsi, l’ensemble du montage est paralysé ; or, la société iranienne saisit le Tribunal de grande instance de Paris, car la clause d’arbitrage prévoyait aussi que si les 2 arbitres n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le 3e arbitre, le Président de la chambre de la Cour de commerce internationale (se trouvant à Paris) devrait le nommer
— Le Tribunal de grande instance de Paris décline sa compétence
— La Cour d’appel de Paris donne tort au TGI de Paris, en considérant que la notion de déni de justice peut intervenir, puisque toutes les conditions sont remplies
— La 1ère condition et la 3e condition sont remplies, puisque aucun des autres tribunaux étrangers ne pouvait rendre justice
— En ce qui concerne les tribunaux d’Israël, aucun ressortissant irakien ne peut les saisir, car l’Irak est un État ennemi de l’Israël
— En ce qui concerne les tribunaux irakiens, leur saisine est possible, mais leur décision ne pourrait être reconnue par les autorités israélites, puisque l’Irak est un État ennemi de l’Israël
— La 2e condition est remplie : il y a un lien de rattachement (ténu) avec la France en raison de la clause d’arbitrage visant le Président de la chambre de la Cour de commerce internationale
— La Cour de cassation va viser expressément l’article 6 de la CEDH, qui consacre le droit au juge, pour renforcer la solution de la Cour d’appel, en précisant « que la disposition fait partie de l’ordre public international consacré par les principes de l’arbitrage international »
c) La prorogation de compétence : les clauses attributives de compétence
— Les clauses attributives de compétence permettent à des personnes privées de déterminer le tribunal qui va trancher leur litige, alors qu’autrement il n’aurait pas été compétent : il y a donc une opposition entre les règles internes et la volonté des personnes
— Or, est-ce que les règles de compétence internes (articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile) sont impératives ou est-ce que les parties peuvent en disposer librement ?
— Ces clauses sont très importantes, car elles permettent de renforcer la prévisibilité et la sécurité juridique : ainsi, la jurisprudence francaise a toujours était favorable à celles-ci
— Il existe 2 types de clauses
— 1er type : les clauses qui donnent compétence à un tribunal francais qui n’aurait, en temps normal, pas été compétent
— 2nd type : les clauses qui désignent un tribunal étranger, alors que la juridiction francaise aurait été, en temps normal, compétente
— Toutefois, l’article 48 du Code de Procédure Civile interdit en principe la prorogation de compétence au niveau interne : « Toute clause attributive de compétence est réputée non-écrite, sauf s’il elle a été conclue entre des personnes qui ont toutes contractées en tant que commerçants. »
— Or, toutes les règles des articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile sont étendues à l’ordre international par la jurisprudence « PELASSA » et « SCHEFFEL » : la doctrine a mis en évidence les inconvénients de cette extension, puisqu’on pénalise les parties à un contrat, qui de plus est un contrat international, ce qui va inciter tout simplement les parties à tourner vers d’autres systèmes juridiques plus satisfaisants
— 17 décembre 1985 : l’arrêt fondamental « COMPAGNIE DES SIGNAUX » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
— La Cour de cassation renverse l’ancien principe
— En principe, les clauses attributives de compétence sont licites dans l’ordre international
— Lorsque la clause fait échec à une compétence territoriale impérative d’une juridiction francaise, la clause est illicite
— 3 problèmes demeurent néanmoins
— 1er problème : la détermination de la notion de compétence territoriale impérative d’une juridiction francaise (liste non exhaustive)
— L’état des personnes
— Les règles de compétence protectrice d’une partie faible
— 2e problème : les parties déterminent directement le droit matériel applicable (sans passer par une règle de conflit)
— 3e problème : la Cour de cassation considère que l’article 48 du Code de Procédure Civile retrouve son empire concernant la forme de la clause
— 30 juin 1992 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation reprend l’article 48 du Code de Procédure Civile qui précise de manière très claire que « la clause doit avoir été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée »