La qualification juridique en droit international privé
La qualification consiste à traduire un objet de connaissance en termes juridiques. La qualification juridique consiste à donner aux faits concernés la traduction juridique qui leur convient et qui doit permettre l’application de la règle de droit. En droit international privé, la qualification a une place particulière, puisqu’elle permet de choisir la règle de conflit.
Savigny n’avait pas vu le problème de la qualification : on commence à voir cette notion de conflit de qualification en France et en Allemagne par Kahn (1891 en Allemagne) et par Bartin (en 1897 en France) à travers des affaires sur lesquelles la doctrine a réfléchi :
-La « quarte du conjoint survivant pauvre » : cette affaire fut présentée devant la Cour d’appel d’Alger le 24 décembre 1889(Cluney 1891, page 1171). Dans cette affaire, il s’agissait de deux personnes mariées, toutes deux de nationalité Anglo-Maltaise. Ils sont allés s’installer en Algérie, et le mari va y acquérir des immeubles. Après le décès du mari, sa veuve réclame contre les enfants une institution maltaise qui voudrait que la veuve puisse récupérer un quart de la succession.
En l’espèce, on a consacré la loi française, mais sans expliquer pourquoi (tout simplement car le juge voulait voir la loi française appliquée).
- Droit international privé L3
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-Affaire du « testament olographe Hollandais » : un Hollandais a son domicile en France, et il fait un testament Olographe. Puis, il décès. Mais ce testament olographe est-il valable ou pas ?
On a fait jouer la loi française, mais sans explication.
ðLe premier arrêt qui a vraiment réfléchi et qui pose la règle de la qualification, c’est l’arrêt « Caraslanis » (Cour de cassation du 22 juin 1955 : Dalloz 1956, page 73).
Il s’agit du mariage d’un Grec et d’une Française, et ce mariage est célébré en France.
Or, à l’époque, le mariage en France était un mariage laïc, alors qu’en Grèce, il était religieux (à défaut, il n’était pas reconnu comme valable).
C’est pour cela que la célébration de ce mariage peut revêtir plusieurs qualifications : cela peut être un problème de forme (loi française compétente), mais on peut également avoir la qualification suivante : le caractère religieux et laïc touche au statut personnel des individus. C’est donc la loi nationale du mari qui doit l’emporter (car en général, on préfère prendre le statut personnel inférieur).
Pour la première fois, la jurisprudence française a dit qu’il fallait qualifier « lege fori » (loi du for).
On s’interroge toujours sur deux questions : la question du moment de la qualification et sur l’objet réel de cette qualification).
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1 : Le ou les moments de qualification
Dans une approche classique, la qualification est une opération préalable au choix de la règle de conflit. Il n’y a pas un seul moment de qualification, mais deux : un moment où on s’interroge sur la règle de conflit, et un autre pour qualifier la loi étrangère.
Vis à vis de la loi étrangère, c’est un problème d’interprétation de la loi étrangère.
Bartin avait parlé de qualification en sous ordre. La doctrine a ensuite abandonné cette expression et a voulu voir un seul moment de qualification (C’est la position de nombreux auteurs tels que Batiffole), et le terme de qualification doit être réservé au choix de la règle de conflit.
Quand on interroge le droit étranger, on parle de Lege Causae.
L’idée est qu’il faut laisser une place au droit étranger.
Dans la phase de délimitation et d’application du droit étranger, c’est au droit étranger de déterminer la nature, la classification et même l’étendue dans l’espace de ses règles.
On trouve l’explication en deux moments dans la doctrine classique : lege fori et lege Causae (détermine la règle de conflit ; détermine le champ d’application voulu par la loi étrangère), car il faut une coordination des systèmes.
Cette réflexion en deux temps a du mal a s’imposer, il existe effectivement une phase qui est une vraie qualification, mais aussi une autre phase qui est plutôt l’interprétation.
C’est une démarche unilatéraliste (loi fixe elle-même son champ d’application).
Il y a un article à ce sujet : dans le Cluney 2005, page 281 : « Retour sur la qualification lege causae en droit international privé de Jean Louis Elhoueiss ». Cet article revient sur le fait qu’il faut donner une place au droit étranger dans le processus conflictuel, mais qui ne dit pas qu’on revient à un système unilatéraliste. En fait, ce moment de qualification doit se doubler d’une autre question : l’objet de la qualification.
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2 : L’objet de la qualification
La doctrine est aussi divisée sur cette question.
S’agit-il de qualifier du fait ou du droit ?
Le droit allemand (Kahn ou Rabel) considère que ce qui doit être qualifié, c’est du droit.
La qualification serait « une mise dans les tiroirs du for ».
Les auteurs français ou italiens disent que la qualification est une opération qui appréhende le fait. Et la qualification va faire entrer le fait dans le système du for. C’est « une tranche de vie ».
Par exemple, les conjoints Anglo-Maltais : le mari a acquis des immeubles, et sa veuve réclame la quarte du conjoint pauvre. Il faut donc choisir entre la qualification de la succession, et celle du régime matrimonial.
De la qualification va dépendre la succession. On peut raisonner en terme de droit. En prenant la quarte comme du droit, on va respecter le droit étranger.
En fait, aujourd’hui, on a une autre vision des choses : on analyse le processus intellectuel suivi par le juge.
Exemple, la veuve en question n’a pas demandé l’application du droit étranger, elle a émis une prétention dont il va falloir juger du bien fondé.
Il s’avère que cette prétention s’appuie sur une institution anglo-Maltaise. Mais au départ, ce n’est pas ce qu’elle demande. À ce moment, il faudra classer l’objet de sa prétention dans une catégorie du for. D’où l’interrogation vue ci-dessus entre la qualification de régime matrimonial ou de succession.
Il faut donc analyser les faits, mais en même temps, ce qu’est la quarte du conjoint pauvre. C’est une opération complexe qui mélange droit et fait.
Il faudra donc analyser les faits et en même temps l’institution juridique qui est à l’origine de la prétention.
Seulement, après tout ça, on pourra dire qu’il s’agit d’un problème de régime matrimonial ou de succession.
En fait, nous nous posons toujours la même question : comment arriver à articuler le droit étranger et le droit du for ? Et on bute toujours sur cette question de la place du droit étranger.
Si on essaye après cette analyse de faire le point sur le choix de la règle de conflit, on s’aperçoit d’un certain nombre de choses :
-L’universalisme n’est pas constaté (c’était donc une utopie).
La qualification est une faille dans la théorie de Savigny qui était persuadé qu’en unifiant les règles de conflit, on aurait un système parfait.
-On ne s’entend pas vraiment sur le degré d’abstraction du mécanisme mis en place.
En effet, ce qui a séduit le monde entier, c’est un système abstrait. On s’aperçoit avec la qualification que dans ces deux moments de la qualification, il y a la place pour l’appréciation du contenu des lois applicables, et on a aussi une façon indirecte d’une forme de réflexion unilatéraliste.
L’articulation entre la loi du for et la loi étrangère est difficile à effectuer, et très souvent, est de type idéologique.
L’opération de qualification met l’accent sur les difficultés de mise en œuvre d’un vrai droit international privé.