Le conflit entre la loi et la Constitution

Conflit hiérarchique de normes : entre la loi et la constitution

La hiérarchie des normes en droit français est une construction qui vise à maintenir la cohérence de l’ordre juridique malgré la diversité croissante des sources. Bien que la théorie kelsénienne de la pyramide des normes fournisse un cadre général, elle est aujourd’hui confrontée aux défis posés par la multiplication des sources supranationales et l’intégration des droits fondamentaux. La nécessité de maintenir une hiérarchie stable et opérante exige ainsi un ajustement permanent entre les décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, et de la Cour de cassation, qui doivent interpréter et adapter ce modèle aux exigences du droit international, européen, et des droits fondamentaux.

Notre étude ici porte sur le conflit entre la loi et la Constitution : En résumé, le conflit entre la loi et la Constitution se décompose en plusieurs étapes :

  1. En principe, une loi doit être conforme à la Constitution, ce qui est garanti par le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil constitutionnel avant promulgation.
  2. En pratique, certaines lois peuvent être contraires à la Constitution, soit en raison de leur adoption antérieure à 1958, soit en raison de l’absence de saisine du Conseil constitutionnel.
  3. Les juges administratifs et judiciaires n’effectuent pas de contrôle de constitutionnalité de la loi en application de la séparation des pouvoirs. Toutefois, la QPC permet un contrôle indirect par le Conseil constitutionnel, renforçant ainsi la conformité des lois à la Constitution.

Ainsi, bien que la Constitution prime sur la loi, l’application concrète de cette primauté dépend du fonctionnement effectif des mécanismes de contrôle et de la capacité du Conseil constitutionnel à intervenir à temps pour écarter les lois contraires à la norme constitutionnelle.

Avant d’évoquer le conflit entre la loi et la constitution, nous ferons un topo général sur les conflits hiérarchiques de normes.

 

I – Généralités sur les Conflits hiérarchiques de normes

La hiérarchie des normes est une structure qui organise les règles juridiques en fonction de leur degré d’autorité, permettant de résoudre les conflits entre elles. En France, le droit positif a établi cette hiérarchie au fil des décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation, afin de régir les interactions entre normes constitutionnelles, législatives, internationales et réglementaires.

1) Conflits entre Normes de Différentes Natures

Le premier type de conflit surgit lorsque deux normes de natures différentes s’opposent, par exemple, entre une règle constitutionnelle et une règle législative ou entre une loi nationale et un traité international. Ces conflits relèvent de la question fondamentale de la hiérarchie des normes, qui permet d’établir une priorité entre des règles selon leur source et non leur contenu.

Théorie de Hans Kelsen : Kelsen a formalisé cette hiérarchie sous la forme d’une pyramide normative, plaçant la Constitution au sommet comme norme suprême, suivie des traités internationaux, des lois nationales, et des règlements. Chaque niveau doit respecter celui qui lui est supérieur, assurant la cohérence de l’ordre juridique. Cependant, cette structure est aujourd’hui mise à l’épreuve par le pluralisme des sources supranationales et des droits fondamentaux, qui complexifient l’application de cette hiérarchie.

2) Conflits temporels entre normes de même nature

Le second type de conflit est le conflit temporel entre deux normes de même nature adoptées à des moments différents. Par exemple, les lois de 1975 et 2004 sur le divorce traitent du même sujet mais avec des dispositions pouvant se compléter ou se contredire. Dans ce cas, la question de l’application de la loi dans le temps se pose, déterminée par les principes d’effet immédiat et de non-rétroactivité des lois.

Le principe généralement appliqué est que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations futures et aux effets à venir des situations passées, tandis que la loi ancienne continue de régir les situations déjà réalisées, sauf si le législateur précise une application rétroactive.

3) Conflits de normes dans l’espace : divergence entre autorités étatiques

Enfin, le conflit spatial survient lorsque deux normes de même nature régissant un même sujet de droit émanent de deux autorités étatiques différentes et entrent en opposition. Par exemple, le droit de la famille, appliqué différemment selon les États, peut créer des situations divergentes pour une personne changeant de territoire. En réponse, les règles de droit international privé et les conventions internationales s’efforcent de déterminer quelle loi s’applique à une situation donnée pour éviter des conflits entre États.

La complexification de la hiérarchie des normes en droit positif

Avec le développement des sources supranationales et des droits fondamentaux, le droit français a dû adapter la hiérarchie de Kelsen, qui ne suffit plus à résoudre les conflits actuels. Trois évolutions majeures illustrent cette complexité :

  1. Multiplication des sources supranationales : L’expansion des traités internationaux et européens a introduit des normes qui dominent les lois nationales, mais dont la place par rapport à la Constitution reste sujette à débat. En France, l’article 55 de la Constitution consacre la supériorité des traités sur les lois internes sous condition de réciprocité, sans toutefois préciser leur rang vis-à-vis de la Constitution.

  2. Suprématie du droit européen : Le droit de l’Union européenne (UE) prime sur le droit interne, y compris les lois nationales. Cependant, la question de la relation entre la Constitution française et le droit européen reste délicate. La Cour de justice de l’UE affirme la supériorité du droit communautaire, mais le Conseil constitutionnel français a maintenu que la Constitution demeure la norme suprême sauf en cas de révision expresse.

  3. Apparition des droits fondamentaux : Les droits fondamentaux, inscrits dans des instruments internationaux comme la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et intégrés au droit national, influencent toutes les autres normes. Le Conseil constitutionnel, en élargissant le bloc de constitutionnalité aux droits et libertés énoncés dans le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, a accentué le rôle des droits fondamentaux dans l’ordre juridique.

Principales Hypothèses de Conflits dans la Hiérarchie des Normes

Les conflits hiérarchiques entre normes en France se concentrent principalement sur trois hypothèses :

  1. Conflit entre la loi et la Constitution : Ce type de conflit est résolu par le contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel, qui peut être saisi pour examiner la conformité des lois à la Constitution avant leur promulgation (article 61). Cependant, ce contrôle n’est pas systématique, et des lois anticonstitutionnelles peuvent entrer en vigueur si le Conseil n’est pas saisi.

  2. Conflit entre la loi et un traité international : Selon l’article 55, les traités ratifiés et publiés ont une autorité supérieure aux lois, mais cette primauté est limitée par la condition de réciprocité. Les juridictions françaises (Conseil d’État et Cour de cassation) sont compétentes pour écarter les lois contraires aux traités, assurant ainsi le respect des engagements internationaux de la France.

  3. Conflit entre un traité international et la Constitution : La question de la primauté de la Constitution sur les traités internationaux demeure complexe. En théorie, la Constitution est supérieure aux traités ; cependant, pour les traités européens, le Conseil constitutionnel a admis une exception fondée sur l’article 88-1 de la Constitution, imposant parfois une révision constitutionnelle en cas de conflit avec des engagements européens.

 

II ) Conflit entre la loi et la constitution : contrôle de constitutionnalité en droit interne

En droit français, la Constitution est la norme suprême à laquelle toutes les autres sources de droit, y compris les lois votées par le Parlement, doivent se conformer. Ce principe est garanti par un mécanisme de contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel. Toutefois, l’application de ce contrôle n’est pas automatique et dépend de plusieurs facteurs, ce qui peut mener à des situations où des lois anticonstitutionnelles demeurent en vigueur.

1) Principe de subordination de la Loi à la Constitution

L’article 61 de la Constitution de 1958 prévoit que le Conseil constitutionnel peut être saisi pour contrôler la conformité des lois à la Constitution avant leur promulgation. La saisine peut être effectuée par certaines autorités : le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’une des deux assemblées, ou par un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs. Ce système garantit que les lois promulguées respectent la hiérarchie des normes en ne contredisant pas la Constitution.

En théorie, si une loi est contrôlée et jugée contraire à la Constitution, elle ne peut être promulguée. La subordination de la loi à la Constitution implique donc que la loi ne devrait jamais contredire la Constitution, et en cas de conflit, c’est la Constitution qui doit prévaloir.

2) Élaboration du Bloc de constitutionnalité et élargissement des normes de référence

Au fil des décisions, le Conseil constitutionnel a élargi les normes de référence pour le contrôle de constitutionnalité en intégrant non seulement le texte de la Constitution, mais également des principes fondamentaux et des droits reconnus dans le Préambule de la Constitution de 1946, le Préambule de 1958, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Les décisions du 16 juillet 1971 (liberté d’association) et du 16 janvier 1982 (loi de nationalisation) ont marqué des étapes importantes dans cet élargissement. Dans l’arrêt de 1971, le Conseil a affirmé la liberté d’association comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, en référence au Préambule de 1946, et a jugé une loi incompatible avec ce principe. Cette décision a établi que les lois doivent également être conformes aux principes fondamentaux et droits contenus dans les préambules constitutionnels, constituant ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité.

3) Limites du contrôle de constitutionnalité et conséquences pratiques

Le Conseil constitutionnel ne peut intervenir qu’à la demande des autorités habilitées et uniquement avant la promulgation d’une loi. En conséquence :

  • Toutes les lois promulguées avant la création du Conseil constitutionnel en 1958 ont échappé à son contrôle.

  • Certaines lois, même adoptées après 1958, peuvent ne pas avoir été soumises au Conseil constitutionnel et donc ne pas avoir été contrôlées quant à leur conformité à la Constitution. Ces lois peuvent rester en vigueur malgré une possible contradiction avec la norme constitutionnelle.

Ces limites dans le contrôle ont pour conséquence que des lois potentiellement anticonstitutionnelles continuent à produire des effets. De plus, aucune règle de droit ne permet à un autre organe de déclarer une loi anticonstitutionnelle après sa promulgation, ce qui soulève des questions quant à l’effectivité de la hiérarchie des normes.

4) Réactions juridiques et hostilité des juges au contrôle de constitutionnalité des Lois

Les juridictions françaises, dans leur majorité, ont refusé de réaliser un contrôle de constitutionnalité des lois dans les affaires ordinaires. En vertu du principe de séparation des pouvoirs, le juge administratif et le juge judiciaire se sont montrés réticents à contrôler la conformité d’une loi avec la Constitution et appliquent la loi en vigueur même si elle est anticonstitutionnelle. Cette réticence a pour conséquence que, dans certains cas, une loi peut être appliquée même si elle est contraire à la Constitution.

Pour pallier cette lacune, une réforme a été proposée au début des années 1990, visant à créer un système dans lequel un justiciable pourrait contester la constitutionnalité d’une loi en cours de procès. Cette réforme a abouti à l’instauration en 2008 de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), permettant aux juridictions ordinaires de transmettre au Conseil constitutionnel une question de constitutionnalité soulevée par les parties au cours d’un litige.

 

 

Le cours Introduction au droit français est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, patrimoine, organisation judiciaire, sources du droit, preuves…)

 

 

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