La contrainte, une cause d’irresponsabilité pénale

La contrainte, une cause d’irresponsabilité pénale ou d’atténuation de la responsabilité pénale

La contrainte est prévue et envisagée par l’article 122-2 du Code pénal, selon lequel «n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister».

Classiquement, la doctrine envisage deux types de contrainte : la contrainte morale (« contrainte ») et la contrainte physique (« force »). Dans les deux cas, pour avoir un effet exonératoire sur la responsabilité pénale, il faut qu’elle ait fait perdre à l’agent toute initiative propre.

A/ La contrainte physique

La jurisprudence va prendre en considération la contrainte physique dès lors qu’elle provient d’une force qui s’est exercée matériellement sur l’agent et l’a obligé à faire ce qu’il ne devait pas faire, ou l’a empêché de faire ce qu’il aurait dû faire. C’est la jurisprudence qui a posé toutes les conditions à l’admission de la contrainte physique, et deux types ont été envisagés :

o la contrainte physique externe : elle résulte ici d’une force étrangère à l’agent. Par exemple, l’agissement de la personne poursuivie est consécutif à une force naturelle, ou à l’agissement d’un animal

o la contrainte physique interne : dans cette hypothèse, la personne poursuivie va être victime d’une impulsion interne qui supprime sa liberté. Par exemple, une personne qui prend le train mais dépasse sa gare d’arrivée du fait de son sommeil, et ce malgré sa demande d’être réveillée, sera irresponsable pénalement

Que la contrainte physique soit externe ou interne, pour qu’elle ait un effet exonératoire, il faut qu’elle présente plusieurs caractères. Le législateur, à l’article 122-2, exige que la contrainte présente un caractère irrésistible : cependant, la jurisprudence a ajouté une condition d’imprévisibilité.

En ce qui concerne le caractère insurmontable, il faut démontrer que la personne poursuivie s’est trouvée dans l’impossibilité d’y résister : la Cour de cassation parle d’impossibilité absolue de se conformer à la loi. Ce caractère est apprécié in abstracto par la jurisprudence, ce qui signifie que les juges vont se référer au standard du bon père de famille, diligent et avisé, alors même que la doctrine était plutôt favorable à une appréciation in concreto.

La condition d’imprévisibilité est exigée par la jurisprudence, et a comme conséquence que toute faute antérieure de l’agent permet d’exclure la contrainte : c’est notamment le cas du marin qui ne revient pas à temps sur son navire et est poursuivi pour désertion, alors même que son retard est dû à son état d’ébriété (on va ici considérer qu’il a commis une faute, qui est celle de boire).

  • Cass. Crim., 15 novembre 2005 : un automobiliste est pris d’un malaise au volant de son véhicule. Sa femme parvient à stopper le véhicule en actionnant le frein à main, mais le conducteur a eu une crispation de son pied sur l’accélérateur, et le véhicule est allé percuter d’autres véhicules, causant ainsi la mort de plusieurs personnes.

Le conducteur est poursuivi pour homicide involontaire, et a invoqué qu’il était victime d’une contrainte physique interne. Les juges du fond ont relevé que le prévenu pensait être en bonne santé, et ont donc considéré que ce malaise était «brutal et imprévisible», et qu’en conséquence, il avait agi sous l’emprise d’une contrainte à laquelle il n’avait pu résister.

  • Cass. Crim., 15 novembre 2006 : une femme est enceinte de huit mois, prend son véhicule, fait un malaise, et va se garer sur une place handicapée. Elle est poursuivie pour stationnement gênant, et invoque la contrainte physique interne dont elle a été victime.

La Cour de cassation a considéré qu’il n’y avait pas d’imprévisibilité de cette contrainte physique, qui était due à son état de grossesse.

B/ La contrainte morale

La jurisprudence considère que la contrainte morale résulte d’une force qui va s’opérer sur la volonté de l’individu par la crainte d’un danger. Dans cette hypothèse, la personne poursuivie, même si elle a gardée la faculté de suivre la loi, a été poussée à agir, et sa liberté lui a été ôtée.

Là encore, la doctrine a proposé de distinguer la contrainte morale interne de la contrainte morale externe.

En ce qui concerne la contrainte morale interne, qui trouve sa source dans la personne même de la personne poursuivie, elle n’a aucun effet sur la responsabilité pénale de la personne qui l’invoque : la jurisprudence a depuis longtemps estimé que la contrainte morale interne ne pouvait pas avoir d’effet exonératoire sur la responsabilité pénale.

La contrainte morale externe, pour être exonératoire de responsabilité pénale, doit présenter les mêmes caractères que pour la contrainte physique, à savoir l’imprévisibilité et l’irrésistibilité. Elle doit détruire la liberté de l’individu par la peur d’un péril suffisamment grave pour provoquer de façon irrésistible son action en supprimant sa faculté de décision.

La contrainte morale peut être le résultat d’une suggestion : c’est le cas notamment lorsqu’un tiers menace l’individu poursuivi, qui va alors redouter un danger pour lui-même s’il n’obéit pas. Néanmoins, la Chambre criminelle exige que la menace soit suffisamment grave pour abolir la liberté de l’individu.

Il faut que la menace fasse craindre à la personne poursuivie un péril imminent, et qu’elle soit suffisamment forte pour que celui sui en est l’objet n’ait que deux possibilités : commettre l’infraction ou subir les violences dont il est menacé.

Cette cause d’irresponsabilité pénale n’est pas fréquemment admise par la jurisprudence : quelques arrêts ont été rendus au début du XXe siècle, mais aucune décision intéressante en la matière n’a été rendue dans la dernière décennie. L’appréciation des juges dépend des faits et de l’intention du délinquant : le caractère imprévisible est apprécié de manière plus stricte en matière de contrainte morale, et la personne poursuivie doit apporter la preuve de ce caractère.