LA DÉTERMINATION DE LA CHARGE DE LA PREUVE
La preuve des droits subjectifs soulèvent une grande question : qui doit prouver ? C’est le problème de la charge de la preuve. Il est capital de savoir lequel des deux adversaires au procès a la charge de la preuve, au moins lorsque rien ne peut être établi ni par l’un, ni par l’autre.
Dans ce cas, celui sur qui pesait la charge de la preuve perdra son procès. C’est sur lui que pèse le risque de la preuve. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler : « l’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de cette preuve » (Soc. 31 janv. 1962, Bull. IV n°105).
-C’est à propos des obligations, dans les articles 1315 à 1369 que le Code civil expose l’essentiel des règles de fond concernant la preuve. La solution n’est pas satisfaisante car la généralisation des solutions posent parfois des difficultés. L’article 1315 du Code civil donne la solution de principe en matière de charge de la preuve (§1) mais la loi apporte des exceptions à ce principe en posant des présomptions légales (§2).
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé et acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
- 1 : LE PRINCIPE
-L’article 1315 du Code civil, pourtant relatif à la preuve des obligations, est considéré comme ayant une portée générale. Il pose, dans deux alinéas, les règles qui permettent de déterminer qui supporte la charge de la preuve:
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
-Suivant l’article 1315 du code civil, il convient de distinguer celui qui réclame et celui qui se prétend libéré :
L’alinéa 1er dispose : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Interprétée en terme généraux, cette règle est la traduction de l’adage : « Actor incumbit probatio ; reus in excipiendio fit actor » Ce qui signifie : « au demandeur incombe la charge de la preuve « . On peut donc ériger en principe général, « La preuve incombe à celui qui avance la réalité d’un fait » (Mazeaud et Chabas). Généralement, la place du « demandeur à la preuve » coïncide avec celle de demandeur à ‘instance : c’est celui qui saisit le juge et qui forme la première prétention et la première affirmation, qui doit agir sur le terrain de la preuve.
L’alinéa 2 ajoute : « réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». Là encore, en généralisant, il apparaît que celui qui se prétend libéré a pour charge d’en rapporter la preuve. Or, il est rare qu’une personne saisisse la Justice pour qu’il soit constaté qu’elle ne doit plus rien. En fait, le plus souvent, c’est lorsqu’elle est assignée en Justice qu’elle va prétendre qu’elle ne doit rien. Elle a dû quelque chose mais elle n’est plus débitrice.
-A travers l’article 1315 du Code civil se dessine ainsi le dialogue entre les parties qui caractérise le procès civil.
-Au cours de ce dialogue, le défendeur peut se contenter de nier les faits allégués par le demandeur et adopter une attitude purement passive . Ainsi si le demandeur veut engager la responsabilité pour faute du défendeur, il lui appartient d’apporter la preuve d’une faute imputable au défendeur. Le défendeur peut demeurer purement passif et l’issue du procès dépendra du succès du demandeur dans l’administration de la preuve. Mais, le plus souvent, le défendeur est actif : il invoque un fait grâce auquel il entend paralyser la demande. Dans notre exemple, le défendeur va tenter de démontrer qu’il n’a pas commis de faute, qu’il a eu une attitude diligente, qu’une autre personne placée dans les mêmes circonstances aurait agit de la même façon.
-De ce fait, le défendeur qui invoque un fait de nature à faire échouer la requête du demandeur, se place lui aussi dans la situation d’un demandeur : il lui appartient d’apporter la preuve du fait qu’il invoque. (Reus in excipiendo fit actor : le défendeur joue le rôle de demandeur chaque fois qu’il invoque une exception). Ainsi, au cours du procès, la charge de la preuve peut peser alternativement sur chacune des parties, au fur et à mesure qu’elles avancent de nouveaux faits qui ont pour effet d’opérer un renversement de la charge de la preuve. L’ordre théorique de la production des preuves n’est donc pas toujours suivi par les parties. Chacune des parties contribue à la recherche de la vérité et le juge lui-même intervient le plus souvent de façon active. La loi a accordé au juge des pouvoirs d’initiative dans le domaine de la preuve : il peut ordonner des expertises destinées à établir la réalité des faits et donc l’éclairer dans son jugement.
-La règle que nous venons de présenter a un aspect trop théorique. Elle ne rend pas non plus compte du fait que le demandeur ne doit pas tout prouver. Il est certains faits qui sont d’une telle évidence, qu’il n’est pas nécessaire d’en apporter la preuve. Ainsi celui qui invoque une situation normale n’a pas à la prouver.
Celui qui se prévaut du fait qu’à minuit, la visibilité était très réduite, n’a pas à prouver ce fait. Par compte s’il veut démontrer qu’en raison d’un éclairage artificiel ou d’un clair de lune, la visibilité était excellente, devra le prouver. La charge de la preuve pèse sur celui des deux adversaires qui veut démontrer un fait contraire à la réalité apparente (Thèse Gény, repris par Mazeaud et Chabas). De nombreux auteurs soutiennent que celui qui doit faire la preuve est celui contre lequel l’apparence existe. Il faudrait donc apprécier, dans chaque cas, où est la situation normale pour attribuer la charge de la preuve. On peut relever, par exemple, qu’a priori, toute personne jouit d’une pleine capacité juridique et qu’il appartiendra donc à celui qui entend démontrer l’incapacité du contractant de la prouver. De même, a priori toutes les situations et tous les actes sont conformes aux prescriptions légales. Il appartiendra à celui qui se prévaut du contraire de le prouver.
-Cependant, si cette idée de l’apparence explique un certain nombre de solutions, elle ne suffit pas toujours pour expliquer toutes les situations. Ainsi, que décider si une personne veut récupérer les deniers qu’elle prétend avoir prêté et que l’autre prétend avoir reçu à titre de donation. Quelle est l’apparence ? Dans de telles situations, il faut revenir à la règle selon laquelle c’est au demandeur, celui qui agit est celui qui a versé l’argent, qu’il appartient d’apporter la preuve du prêt. Un arrêt de la CA de Paris (D. 2000-776, note Vichy-Llado) a rappelé récemment cette solution : « Il appartient à celui qui revendique la chose de rapporter la preuve de l’absence d’un tel don » (donc nécessité de rapporter la preuve du prêt). Si cette preuve est apportée, il appartient au défendeur, celui qui détient les fonds, de démontrer que finalement le prêteur avait ultérieurement renoncé à sa créance, en faisant donation des fonds prêté.
Le Cours complet d’Introduction au droit est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, biens, acteurs de la vie juridique, sources du droit, preuves, responsabilité…)
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- Quelle différence entre magistrat du siège et du parquet ? Les juridictions administratives Les juridictions européennes (CEDH, CJUE et TPIUE) Les principes directeurs de l’instance Présentation des juridictions pénales La cour d’appel : organisation, rôle, formation La Cour de cassation : Rôle, composition et formation Le Conseil constitutionnel : origine, rôle, composition TGI : compétence, composition, organisation Tribunal de Commerce : compétence, organisation, composition Le tribunal de proximité : Compétence, organisation, composition Le Tribunal des conflits : origine, rôle, composition Le tribunal d’instance : compétence, organisation, composition Le tribunal paritaire des baux ruraux
- 2 : LES PRESOMPTIONS LEGALES
-Très souvent, il est extrêmement difficile de prouver le fait même qu’on désire établir. On peut néanmoins relever un certain nombre de circonstances qui rendent très probables l’existence du fait qu’on n’arrive pas à établir.
Pour venir en aide au demandeur, il existe un certain nombre de présomptions. Une présomption, c’est déduire d’un fait connu l’existence d’un fait inconnu. Il y a, selon l’expression de Bartin, » déplacement de la preuve ».
On n’exige plus de demandeur la preuve du fait précis sur lesquels il fonde ses droits, mais un fait voisin, plus facile à prouver, duquel on va en déduire l’existence du fait inconnu.
-L’article 1349 du Code civil énumère deux sortes de présomptions. Cet article dispose, en effet, « Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Les conséquences déduites par la loi sont de présomptions légales. Les conséquences déduites par le magistrat sont des présomptions de l’homme. Les présomptions de l’homme sont des procédés de preuve. On les envisagera plus loin. En revanche, les présomptions légales sont analysées comme des dispenses de preuve. Le plus souvent, il suffira d’établir un fait plus facile à prouver et la loi en déduira l’existence du fait inconnu. Il y a alors un renversement de la charge de la preuve. Ces présomptions s’imposent au juge : il doit obligatoirement appliquer la déduction prévue par la loi. Les présomptions sont simples ou irréfragables.
- a) Les présomptions légales simples
-La présomption simple, dite également présomption relative est celle qui souffre la preuve contraire. Il s’agit donc d’une conséquence que la loi tire d’un fait connu mais qui peut être renversée par la preuve contraire.
Il est donc possible de démontrer que la conséquence que la loi tirait du fait connu n’existe pas en l’espèce. On peut apporter la preuve contraire. Il faut noter qu’en principe, c’est-à-dire à défaut de disposition contraire, les présomptions légales sont simples.
-La loi a édicté un certain nombre de présomptions simples qui se caractérisent par la vraisemblance de la conséquence déduite. Ainsi, la loi présume que la personne qui a l’apparence d’être titulaire de certains droits, en est véritablement titulaire. En effet, la possession d’un bien fait présumer la propriété ou n’importe quel droit réel.
- b) Les présomptions légales irréfragables
-Les présomptions dites irréfragables ou absolues sont des présomptions légales contre lesquelles la preuve contraire n’est pas possible. Il n’est pas permis de démontrer l’inexistence de la conséquence déduite par le législateur du fait connu. Le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation. Le bénéficiaire d’une présomption irréfragable est donc dispensé de faire la preuve de la circonstance dont il se prévaut pour bénéficier d’un droit.
L’article 1352 alinéa 1er du Code civil énonce cette caractéristique : « La présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe ». Son adversaire ne peut pas démontrer l’inexistence de cette circonstance.
-Les présomptions irréfragables sont des règles de fond qui modifient la situation juridique d’une personne : elles ne s’appliqueraient qu’aux faits futurs. Les présomptions irréfragables sont énumérées limitativement par la loi. Une disposition expresse est nécessaire.
-L’article 1352 du Code civil précise que les présomptions irréfragables existent dans deux séries d’espèces :
« Nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption,
elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, … ».
-Le législateur, en vertu de présomptions irréfragables, annule certains actes. Ainsi l’article 911 du Code civil présume que qu’une donation faite au proche parent d’un incapable de recevoir est, en réalité, destinée à cette personne même. La loi présume, de façon irréfragable, la fraude. C’est une présomption d’interposition de personnes. Ainsi une donation faite par un patient à l’épouse ou à un enfant de son médecin sera réputée faite au médecin, frappée d’une incapacité spéciale de recevoir à titre gratuit, en vertu de l’article 909 (à lire).
-Une autre présomption d’interposition de personne est prévue à l’article 1100 du Code civil (à lire) qui prévoit
que le testament ou la donation en faveur des enfants du conjoint issus d’un précédent mariage est présumée être, en réalité faite au conjoint. Il s’agit alors d’une donation déguisée entre époux qui est, à ce titre, nulle de nullité absolue en vertu de l’article 1099 (à lire). La loi présume aussi la fraude lorsqu’elle prévoit que les conventions passées entre le tuteur et le pupille sont nulles, en vertu de l’article 472 alinéa 2 du Code civil (à lire). Il y a une présomption irréfragable de fraude dont il n’est permis de prouver l’inexistence.
-Le législateur, en vertu de présomptions irréfragables, dénie certaines actions en justice. La loi va alors accorder au défendeur une exception qui va lui permettre d’écarter l’action de son adversaire. Ainsi, l’article 1282 présume que le paiement a été effectué lorsque le créancier a remis le titre de créance au débiteur. Le créancier ne peut plus agir. De même, l’article 222 présume que l’époux qui se présente pour accomplir un acte juridique sur un meuble qu’il détient individuellement, a le pouvoir pour accomplir cet acte. Cette présomption irréfragable est une grande protection pour les tiers qui sont ainsi dispenser de rechercher si le détenteur a effectivement le pouvoir d’accomplir seul des actes juridiques sur le meuble qu’il détient.
-Une autre présomption irréfragable, d’une grande importance pratique, est prévue par l’article 1351 du Code
civil. Cette présomption irréfragable est liée à la décision de justice. Il est nécessaire, en effet, que ce qui a été définitivement jugé ne puisse être remis en cause. Sans cette présomption, il n’existerait aucune sécurité juridique et il n’y aurait aucune fin au procès. Les nécessités de l’administration judiciaire impliquent l’existence d’une règle absolue qui consacre l’autorité absolue des décisions de justice. Il existe donc une présomption irréfragable d’autorité de la chose jugée qui tient pour vrai ce qui a été définitivement été jugé. On ne peut dès lors remettre en cause une décision définitive, même en apportant la preuve contraire, tel l’aveu ou le serment. Nous reviendrons sur les conditions d’application de cette présomption lorsque nous envisagerons l’action en justice.