La preuve des actes juridiques et des faits juridiques
La preuve des actes juridiques repose sur l’écrit, sauf exceptions (montant inférieur à 1 500 €, commencement de preuve par écrit, pertes, relations commerciales). En revanche, la preuve des faits juridiques est libre, n’imposant aucun formalisme, et admet tous moyens, sauf preuves illicites. Des conventions probatoires peuvent adapter ces règles, offrant aux parties flexibilité et personnalisation dans les modalités de preuve, bien que parfois critiquées.
Tableau des règles et exceptions pour la preuve des actes et faits juridiques
Type de Preuve | Description et Conditions d’Application | Exceptions et Limites |
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Preuve des Actes Juridiques | Requiert un écrit pour actes > 1 500 € ; garantit l’engagement juridique. | Exceptions : actes < 1 500 €, impossibilité matérielle/morale, pertes, relations commerciales. |
Preuve Contre l’Écrit | Preuve contre un écrit par témoins interdite ; preuve par acte parfait nécessaire. | Exceptions : preuve commerciale, impossibilité matérielle/morale, commencement de preuve par écrit. |
Preuve des Faits Juridiques | Libre : tout moyen de preuve accepté (témoignages, présomptions). | Preuves illicites ou portant atteinte aux droits fondamentaux exclues. |
Conventions sur la Preuve | Parties peuvent ajuster les règles (ex. : preuves électroniques) via conventions. | Doivent respecter l’ordre public et garantir protection judiciaire. |
I) La preuve des faits juridiques
Un fait juridique est un événement ou un acte qui survient de manière imprévue ou indépendante de la volonté des parties, créant, modifiant ou éteignant des droits. Contrairement à un acte juridique, il est souvent impossible ou inapproprié de prévoir un écrit pour en attester. En conséquence, la preuve écrite est rarement applicable pour prouver l’existence d’un fait juridique.
Pour cette raison, le législateur a prévu une quasi-liberté dans l’administration de la preuve des faits juridiques, offrant au juge une large marge de manœuvre pour établir sa conviction. Selon l’article 1358 du Code civil (anciennement article 1348), la preuve des faits juridiques est dite libre, ce qui signifie que tous les modes de preuve sont admis : témoignages, présomptions, indices, ou tout autre élément susceptible de convaincre le juge. Ainsi, la rigidité applicable aux actes juridiques ne s’étend pas aux faits juridiques, et aucune hiérarchie des procédés de preuve n’est imposée.
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé / acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
Toutefois, tous les procédés de preuve ne sont pas acceptables dans un cadre juridique. Certaines preuves, comme celles obtenues de manière illicite ou portant atteinte à des droits fondamentaux, peuvent être inadmissibles malgré cette liberté probatoire.
II) La preuve des actes juridiques
Résumé : La preuve des actes juridiques repose sur la fiabilité de l’écrit, bien que des exceptions (montant inférieur à 1 500 €, commencement de preuve par écrit, impossibilité matérielle ou morale, perte d’écrit, opérations commerciales) permettent d’utiliser d’autres moyens de preuve. La preuve contre un acte doit être parfaite. Les conventions sur la preuve offrent une souplesse aux parties pour adapter les règles probatoires selon leurs besoins.
Tableau des principes et exceptions de la preuve des actes juridiques
Thème de la Preuve | Description et Exemples | Limites et Exceptions Notables |
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Preuve de l’Existence d’un Acte | Requiert un écrit pour tout acte > 1 500 €, prouvant un engagement juridique. | Exceptions pour montant < 1 500 €, impossibilité matérielle ou morale, etc. |
Exceptions à la Preuve Parfaite | – Actes < 1 500 €, commencement de preuve par écrit, copies, impossibilité matérielle/morale. | – Dépendent des circonstances de l’affaire (relations familiales, valeurs économiques). |
Preuve Contre l’Écrit | Interdiction de contredire l’écrit via des témoignages pour sa validité. | Accepté si preuve complémentaire ou dans les relations commerciales. |
Conventions sur la Preuve | Les parties peuvent aménager la preuve par contrat (ex. : documents électroniques). | Ne peuvent enfreindre l’ordre public ou affecter la protection judiciaire. |
Preuve des Faits Juridiques | Liberté de preuve (témoignages, présomptions) pour faits imprévus. | Preuves illicites ou atteignant aux droits fondamentaux exclues. |
Il convient ici de distinguer la preuve de l’existence d’un acte juridique (A) et la preuve contre l’écrit qui constate un acte juridique (B).
A – Preuve de l’existence d’un acte juridique
La preuve de l’existence d’un acte juridique repose sur des principes stricts visant à garantir la fiabilité des transactions et des engagements entre parties. Un acte juridique, étant une manifestation de volonté visant à produire des effets de droit, doit en principe être prouvé par une preuve parfaite, c’est-à-dire par un écrit ou un autre mode de preuve reconnu comme certain et complet par la loi.
L’article 1359 du Code civil impose ainsi que les actes juridiques dont la valeur dépasse un seuil déterminé (actuellement 1 500 €) soient prouvés par un écrit. Cela répond à la nécessité de disposer d’une preuve solide, notamment parce que les parties, au moment de conclure un acte juridique, ont la possibilité de préparer cet écrit. Cependant, cette règle ne concerne que la preuve et non la validité de l’acte lui-même. La forme écrite est exigée ad probationem, et non ad solemnitatem, ce qui signifie que l’écrit est nécessaire pour prouver l’acte, mais l’absence d’écrit n’affecte pas sa validité intrinsèque.
Clarification du terme « acte » :
- L’acte juridique (négotium) renvoie à la manifestation de volonté qui produit un effet juridique.
- L’acte au sens d’écrit (instrumentum) désigne le document écrit qui matérialise l’engagement pris par les parties.
Limites et exceptions à la règle de la preuve parfaite
- Cette obligation de preuve écrite ne concerne pas les tiers à l’acte. Pour eux, cet acte constitue un fait juridique, et ils peuvent donc se prévaloir de tous modes de preuve, y compris les preuves dites imparfaites, comme les témoignages ou présomptions.
- Cependant, le principe de la preuve parfaite souffre de six exceptions. Ces exceptions permettent d’introduire des modes de preuve plus souples, dans certaines circonstances, et d’éviter ainsi les rigidités excessives.
Première exception : les actes d’une valeur inférieure à 1 500 €
- L’obligation de preuve écrite ne s’applique pas lorsque l’acte juridique porte sur une somme égale ou inférieure à 1 500 €, selon le décret du 15 juillet 1980. Bien que cette somme soit censée être révisée périodiquement, elle n’a pas été modifiée depuis lors. Pour les affaires de moindre importance, la preuve peut être apportée par tout moyen, car l’usage n’impose pas nécessairement un écrit pour de telles transactions. L’objectif est d’éviter de freiner les échanges économiques en imposant des formalités trop lourdes pour de petites transactions.
- Problèmes d’évaluation : Lorsque l’objet du litige n’est pas une somme d’argent mais une chose dont il faut évaluer la valeur, il appartient au demandeur de fixer cette évaluation. Toutefois, une fois cette évaluation faite, il en est lié : l’article 1353 interdit en effet à celui qui a formé une demande au-dessus du seuil de 1 500 € de revenir sur cette évaluation pour réduire le montant et ainsi tenter d’échapper à l’exigence d’une preuve écrite.
- Cas des prestations non évaluables en argent : Lorsque l’objet du litige est une prestation indéterminée en valeur (par exemple, un service), la preuve par écrit reste nécessaire quel que soit le montant présumé de la prestation.
Deuxième exception : Le commencement de preuve par écrit
- L’article 1362 du Code civil prévoit une exception à la règle de la preuve parfaite lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit. Selon l’alinéa 2, il s’agit de « tout acte écrit qui émane de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué ». Trois conditions doivent être réunies pour que cet écrit puisse servir de commencement de preuve.
- Un écrit Il ne s’agit pas d’un document prouvant directement l’acte juridique, car sinon il serait suffisant pour établir la preuve parfaite.
- Cet écrit doit constituer seulement un commencement de preuve, c’est-à-dire un élément qui laisse présumer l’existence d’un acte juridique. Cet écrit peut être varié : lettre, note, papier domestique, livre de comptes, projet de contrat, chèque, etc. Tout document, même s’il n’a pas été initialement conçu pour prouver un acte juridique, peut être considéré comme un commencement de preuve. De plus, un écrit comportant un vice de forme, qui l’empêche d’être une preuve parfaite, peut tout de même être utilisé comme commencement de preuve par écrit.
- La jurisprudence a progressivement élargi cette notion. Par exemple, la Cour de cassation a considéré que les déclarations orales d’une partie lors d’une comparution personnelle, consignées par le greffier, pouvaient constituer un commencement de preuve par écrit. Cette jurisprudence a été consacrée par le législateur en 1975, qui a ajouté à l’article 1362 qu’un refus de répondre lors d’une comparution pourrait également être interprété comme un commencement de preuve par écrit. Cette évolution montre une approche extensive de la notion d’écrit, bien qu’elle puisse parfois soulever des questions de cohérence avec l’alinéa 1, qui exige que le commencement de preuve par écrit « existe » déjà au moment du litige.
- Certains juges ont même admis des enregistrements audio (comme des paroles enregistrées sur magnétophone) comme constituant un commencement de preuve par écrit, bien que cette interprétation soit discutée.
- Un écrit émanant de la partie contre laquelle la preuve est produite L’écrit doit émaner de celui contre lequel la preuve est recherchée, ou de son représentant. Cela exclut les écrits provenant de tiers, car cela reviendrait à permettre la preuve par témoignage. Par exemple, un document émanant d’un mandataire peut être admis, mais pas un document émanant de l’avocat de la partie adverse. Cette condition est essentielle pour maintenir la rigueur de la preuve écrite et éviter les dérives de preuves basées uniquement sur des éléments extérieurs.
- Un écrit rendant vraisemblable le fait allégué Le document doit rendre crédible l’existence de l’acte juridique en question. Par exemple, une lettre où un emprunteur demande un délai pour rembourser un prêt ou remercie le prêteur pour un prêt constitue un commencement de preuve par écrit. L’objectif est que le document soutienne de manière logique et plausible l’allégation faite par celui qui cherche à prouver l’acte juridique.
Cependant, il convient de préciser que cet écrit ne suffit pas à prouver l’acte juridique de manière complète. Il ouvre simplement la possibilité d’utiliser des modes de preuve imparfaits, comme les témoignages ou les présomptions. La Cour de cassation rappelle que le juge ne peut se contenter du seul commencement de preuve par écrit : il doit être complété par d’autres éléments, qui ensemble viendront constituer une preuve suffisante de l’acte juridique.
Troisième exception : Les copies
- À l’époque de la rédaction du Code civil, les copies manuelles ne bénéficiaient que d’une faible valeur probante. Le copiste était souvent un particulier, et il n’y avait aucune garantie de conformité avec l’original. Avec le temps, l’évolution des techniques de reproduction (carbone, photocopie, informatique) a nécessité une réforme du système probatoire.
- Cette réforme s’est avérée particulièrement nécessaire dans des secteurs comme la banque. Face à la difficulté de conserver des documents comme les chèques, les banques ont pris l’habitude de les reproduire sur microfilm avant de les détruire. Cela signifiait qu’elles ne pouvaient plus produire que des copies sans l’original. La loi du 12 juillet 1980 est donc intervenue pour réglementer l’usage des copies dans les pratiques juridiques.
- Prudence législative Cependant, le législateur est resté prudent, craignant les risques de falsification et de truquage. Par conséquent, il n’a pas souhaité accorder une pleine force probante aux copies d’actes sous seing privé, même si elles étaient certifiées conformes à l’original. Avant 1980, ces copies n’avaient aucune valeur probante, mais cette réforme leur a conféré une autonomie probatoire. Néanmoins, les copies ne suffisent toujours pas à prouver l’existence d’un acte juridique à elles seules. La loi reconnaît un certain effet probatoire aux copies sous plusieurs conditions :
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- Disparition de l’original : L’original doit avoir disparu, et cette disparition doit être prouvée par la partie ou le dépositaire.
- Copie fidèle et durable : La copie doit être jugée fidèle et durable. L’article 1379 du Code civil (ancien article 1348) définit ces caractéristiques : « Est réputée durable, toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. » Ce critère vise à prévenir les falsifications. Le microfilm est souvent pris comme exemple de copie durable, mais la photocopie ou même le fax peuvent également être envisagés, bien que la date d’une télécopie puisse être manipulée.
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- Valeur probatoire des copies Même une copie certifiée conforme ne dispose pas de la même force probante qu’un original. La certification d’une copie revient à un témoignage quant à sa conformité, mais elle ne permet pas d’assurer une correspondance parfaite avec l’original. La loi du 12 juillet 1980 a accordé une valeur probatoire aux copies fidèles et durables, mais elle ne les a pas rendues équivalentes à l’original. Ces copies rendent recevables d’autres moyens de preuve, comme des présomptions ou des témoignages, dans un système de preuve légale.
- Commencement de preuve par écrit En vertu de l’article 1362 sur le commencement de preuve par écrit, la Cour de cassation a accepté d’accorder une valeur identique à toutes les sortes de copies, qu’elles soient fidèles et durables ou non. En effet, la Cour a jugé dans un arrêt du 14 février 1995 (J.C.P. 1995-II-22402, note Chartier) qu’une photocopie peut constituer un commencement de preuve par écrit. Cela permet d’introduire des preuves complémentaires comme des témoignages ou des présomptions.
- Reconnaissance des télécopies Dans un arrêt de 1997, la Cour de cassation a franchi une étape supplémentaire en reconnaissant une pleine force probante aux télécopies, à condition que leur intégrité et leur imputabilité soient vérifiées ou non contestées (Com., 2 décembre 1997). Cette décision marque un progrès vers une meilleure reconnaissance des copies, bien que la doctrine reste partagée quant à l’interprétation et à la portée de cet arrêt.
- voici d’autres exemples de décisions où la Cour de cassation a reconnu la valeur probante de nouveaux supports de preuve pour les actes juridiques :
- Reconnaissance des impressions d’emails comme preuve
Dans un arrêt du 30 septembre 2010 (Civ. 1re, 30 septembre 2010, n° 09-68.555), la Cour de cassation a confirmé la valeur probante des emails imprimés pour prouver un acte juridique, à condition qu’ils puissent être associés de manière fiable à leur auteur. Cet arrêt valide les échanges électroniques comme preuve écrite, sous réserve de l’authenticité et de l’imputabilité du document, reconnaissant ainsi les pratiques numériques dans les transactions juridiques. - Reconnaissance des copies numérisées d’actes sous seing privé
Dans un arrêt du 4 avril 2019 (Civ. 2e, 4 avril 2019, n° 18-10.048), la Cour a jugé qu’une copie numérique d’un acte sous seing privé pouvait constituer une preuve suffisante d’un acte juridique, à condition que la copie soit fidèle et durable. La numérisation d’actes écrits s’est ainsi vue reconnue comme ayant une force probante comparable à celle de l’original si elle est effectuée de manière indélébile et fiable, ce qui a eu un impact important pour les entreprises et institutions procédant à la numérisation de leurs archives. - Valeur probante des SMS dans les engagements contractuels
Par un arrêt du 10 février 2015 (Civ. 1re, 10 février 2015, n° 13-21.198), la Cour de cassation a admis qu’un SMS pouvait constituer un commencement de preuve par écrit pour un engagement contractuel. Ce type de message est accepté comme preuve imparfaite, ouvrant la possibilité de compléter cet écrit par d’autres preuves (comme des témoignages ou des présomptions), tant que l’intégrité et la provenance du message peuvent être établies. - Admissibilité des copies de documents bancaires sur microfilm
Dans un arrêt du 8 mars 2005 (Com., 8 mars 2005, n° 03-13.970), la Cour de cassation a reconnu la valeur probante des copies sur microfilm de documents bancaires, notamment dans le cadre de la gestion documentaire des banques. Cette décision confirme que les copies microfilmées peuvent servir de preuve dès lors qu’elles sont durables et fidèles, permettant ainsi aux banques de justifier d’opérations effectuées en l’absence des originaux.
- Reconnaissance des impressions d’emails comme preuve
- La valorisation des copies fidèles et durables semble inévitable, mais la reconnaissance de leur équivalence à l’original demeure un processus en cours d’évolution dans la jurisprudence.
Quatrième exception : L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite
La notion d’impossibilité matérielle ou morale de se constituer une preuve écrite pour certains actes juridiques a été introduite par la loi du 12 juillet 1980, et est désormais régie par l’article 1360 du Code civil. Si l’impossibilité matérielle n’a quasiment jamais trouvé d’application en jurisprudence, c’est l’impossibilité morale qui est fréquemment invoquée, et elle fait l’objet de nombreux développements jurisprudentiels.
L’impossibilité morale est invoquée dans des situations où, en raison de relations personnelles (familiales, affectives, de subordination) ou de certaines pratiques professionnelles, il serait inapproprié ou délicat de demander un écrit. Voici quelques exemples reconnus par la jurisprudence :
- Il est moralement impossible pour un fils d’exiger un reçu de sa mère pour une somme prêtée.
- De même, il est jugé inapproprié pour un frère de demander un écrit à sa sœur, ou encore pour des fiancés de formaliser un accord en raison des liens affectifs ou d’alliance.
- L’impossibilité morale est également admise dans des relations professionnelles, comme celles entre un médecin et son patient, où il serait inhabituel d’établir un écrit pour chaque visite, ou dans les relations entre maître et serviteur.
En ce qui concerne les relations entre amis ou concubins, la question de l’impossibilité morale est plus nuancée. La jurisprudence examine la nature des liens affectifs au cas par cas, sans fournir de solution définitive. La doctrine est également divisée sur ces situations, mais il est reconnu que l’analyse repose sur une appréciation in concreto.
Preuve de l’impossibilité morale :
Celui qui invoque l’impossibilité morale doit en apporter la preuve. Si cette impossibilité est reconnue, la partie concernée peut prouver l’acte juridique par tous moyens, y compris les témoignages, les présomptions ou d’autres preuves dites imparfaites. L’acceptation de cette exception permet ainsi de contourner l’exigence d’un écrit dans des situations où il serait difficile, voire inconcevable, d’en exiger un, tout en maintenant la possibilité de prouver l’existence de l’acte juridique autrement.
Cinquième exception : La perte de l’écrit
L’article 1379 du Code civil, prévoit que si l’écrit servant de preuve a été perdu à la suite d’un cas fortuit ou de force majeure, la preuve pourra être rapportée par tout moyen. Le cas fortuit ou la force majeure se définissent comme un événement imprévisible et irrésistible (exemple : incendie accidentel détruisant l’immeuble où le document était conservé).
Cependant, avant de pouvoir invoquer la perte de l’écrit, il est impératif de prouver son existence antérieure. Cette preuve de l’existence de l’écrit détruit est une condition préalable pour pouvoir utiliser d’autres moyens de preuve tels que les témoignages ou les présomptions. Une fois l’existence antérieure démontrée et la perte due à un cas fortuit établie, la preuve de l’acte juridique peut être apportée par tout autre moyen, y compris des témoignages ou présomptions.
Sixième exception : Les opérations commerciales entre commerçants
Le Code de commerce, et plus précisément l’article L.110-3, consacre la liberté de la preuve dans les relations entre commerçants. Cette disposition prend en compte la réalité des affaires où la rapidité des échanges rend souvent difficile la formalisation des transactions par écrit. Ainsi, la preuve des actes commerciaux peut se faire par tout moyen, y compris des échanges oraux ou par d’autres moyens informels comme les emails.
Lorsque l’acte est mixte, c’est-à-dire conclu entre un commerçant et un non-commerçant (par exemple, un particulier), le régime de la preuve diffère. Le commerçant peut toujours prouver par tout moyen, tandis que le non-commerçant est soumis à l’obligation de fournir une preuve parfaite, comme un écrit. Cela signifie que, dans un litige, le non-commerçant devra prouver la transaction par des moyens formels, tandis que le commerçant pourra apporter des preuves moins rigides (comme des témoignages ou des indices).
En outre, la loi impose un écrit pour certains contrats commerciaux spécifiques. Par exemple, les statuts de sociétés (article 1835 du Code civil) ou les contrats d’assurance doivent obligatoirement être formalisés par écrit.
B – Preuve contre l’écrit qui constate l’acte juridique
Lorsqu’un acte juridique est constaté par écrit, ou que sa preuve a été apportée par un commencement de preuve par écrit complété par un autre mode de preuve, peut-on encore apporter une preuve contre ou au-delà de son contenu ? L’article 1359 du Code civil, anciennement 1341, précise qu’aucune preuve testimoniale ne peut être admise « contre ou outre » le contenu de l’acte. Cela signifie qu’il est interdit de prouver par témoins ce qui aurait été dit ou convenu avant, pendant ou après l’acte, même si cela concerne une somme ou une valeur inférieure à 1500 euros.
Ainsi, celui qui souhaite démontrer que l’écrit est incomplet, inexact ou qu’il a été modifié postérieurement, devra recourir à des modes de preuve parfaits, tels qu’un écrit supplémentaire, et ne pourra se contenter de témoignages.
Toutefois, plusieurs exceptions viennent atténuer cette règle. Si la première exception (la preuve par témoins pour un montant inférieur à 1500 euros) est clairement exclue, la jurisprudence a progressivement admis d’autres exceptions, notamment dans les relations commerciales, en cas d’impossibilité de se constituer un écrit, ou lorsque l’on dispose d’un commencement de preuve par écrit. Ces assouplissements permettent, dans certaines circonstances, d’apporter une preuve contre un écrit déjà existant.
C. Les conventions sur la preuve
La jurisprudence reconnaît le caractère d’ordre privé des règles de preuve. Cela signifie que les parties peuvent adapter ces règles en fonction de leurs besoins contractuels. Par exemple, la Cour de cassation a reconnu, dans deux arrêts du 8 novembre 1989, que les parties peuvent accorder une valeur probatoire à un document sans signature, résultant d’une transaction électronique comme l’utilisation d’une carte bancaire avec un code confidentiel (Com. 8 nov. 1989, D. 1990-369 ; J.C.P. 1990-II-21576).
Le Code civil, réformé par la loi sur la preuve électronique, a confirmé cette solution avec l’article 1368 (anciennement 1316-2), qui dispose que les règles sur la preuve peuvent faire l’objet de conventions spécifiques entre les parties. Dès lors, les règles de preuve ne sont plus d’ordre public dans les relations entre particuliers ou entreprises, et les parties peuvent y déroger. Toutefois, ces conventions probatoires ne doivent pas affecter l’organisation judiciaire ni les prérogatives des officiers publics.
Cette possibilité de déroger aux règles légales de preuve est largement utilisée en pratique. Par exemple, les parties peuvent prévoir que certains documents seront prouvés par tous moyens, y compris des preuves imparfaites, comme les témoignages ou présomptions, au lieu d’un écrit formel. Cette flexibilité soulève néanmoins des critiques, notamment lorsqu’elle pourrait priver une partie plus faible de la protection que garantit une preuve littérale. En effet, dans les relations d’affaires ou de consommation, la liberté d’aménager la preuve pourrait désavantager les parties en position de faiblesse, en les forçant à accepter des conditions de preuve fixées par la partie la plus puissante.