L’influence du droit canonique et du droit romain au Moyen-âge

Droit canonique et droit romain : influences de ces droits sur le droit français au Moyen-âge

Vers le XIIème siècle, les textes romains sont redécouverts, les textes canoniques sont compilés selon des principes nouveaux. Droit romain et droit canonique deviennent objet d’études scientifiques et de systématisation, qui en transforment considérablement le sens et la portée, une véritable science du droit émerge, dans les écoles puis les universités. Le droit savant estle droit romain et canonique tel que les hommes du Moyen – Age les ont compris.

 

Section 1. Utilisation royale des droits savants.

Chacun de ces droits (romain et canonique) correspond à un ordre juridique. Dans ces ordres juridiques, il y a des choses communes car droit canonique a copié un certain nombre de structures qui existaient entre les deux. Figure d’un chef (empereur/pape) qui se conçoit comme un monarque, institutions (Sénat/concile), appareil administratif… procédures, concepts de référence. Entre 13ème et 16ème siècle, monarque français va s’imprégner des modèles/schémas/modes de pensée que l’on trouve en droit romain et en droit canonique pour élargir son propre pouvoir pour passer du stade de suzerain au stade de souverain -> argument : pape = à l’Eglise ce que le roi doit être au royaume, idem pour empereur.

  • &1. Utilisation des modèles du droit romain.

Fin Moyen-âge, logique thomiste du droit -> droit & justice = éternels et immuables et qu’il ne saurait être question de les changer. Lorsqu’on lit dans lois romaines que l’empereur dispose d’un pouvoir normatif, chose séduit mais surprend aussi. Grande fascination/admiration pour Rome -> en utilisant fascination et modèle d’un empereur romain législateur, roi de France va construire monarchie absolue.

A) Concept d’imperium.

A l’époque de la République romaine, imperium = terme qui désignait puissance suprême dont disposaient consuls. Concept appliqué à partir de 27 av. JC à l’empereur -> princeps imperator. Imperium = concept qui désigne pouvoir de commandement et pouvoir de coercition.

Concept de potestas découvert également dans droit romain -> patria potestas (puissance paternelle) à l’égard de ses enfants mais l’empereur le détient vis-à-vis du peuple romain aussi.

Concepts inconnus dans monde féodal -> doctrine du ministère royal : « roi = gardien, justicier… ». Roi n’est pas dans pouvoir/puissance mais légistes du roi de France vont réussir un coup astucieux avec complicité du pape -> ils vont affirmer que roi = empereur en son royaume et donc on doit pouvoir lui reconnaître ensemble des prérogatives de puissance reconnues à l’empereur romain.

Autre concept trouvé dans Novelles : « empereur = père commun de tous après Dieu ». Formule va avoir aussi succès retentissant –> notion de paternité royale permet de faire jonction entre roi de bonté mais également roi de coercition. Autre formule : « dieu envoie l’empereur aux hommes comme loi vivante » largement reprise au Moyen-âge notamment dans les ordonnances -> loi = toujours la même mais temps change. Temps immobile de la loi et temps mobile se retrouvent dans le roi en tant que loi vivante. Temps abîme institutions (conception du MA) et roi doit traduire notion éternelle de la loi.

B) La respublica romana.

Jusqu’au 12ème siècle, idée d’Etat n’existe pas vraiment -> concept d’une entité en surplomb des individus n’existe pas. Relations interpersonnelles entre seigneurs et vassaux. Pyramide = conception avec au sommet roi appelé suzerain. Hommage personnel est rendu au roi. Pas de contact juridique avec arrière-vassaux. Concept de couronne utilisé plus tard pour désigner Etat n’existe pas encore -> signifie au Moyen-âge objet symbolique traduisant pouvoir d’un seigneur ou d’un seigneur-roi. Redécouverte du droit romain va conduire à réinventer notion d’Etat qui existait avant comme entité impersonnelle. Respublica romana = chose publique romaine soit abstraction. Dans République romaine, on n’attribue pas pouvoirs à telle ou telle personne mais à des fonctions (magistratures) et ensuite dans un 2nd temps, personnes occupent à titre temporaire ces magistratures. Puissance vient du fait que quelqu’un occupe une fonction qui emporte pouvoir de commandement. Pour ça, succession au trône de France = caractéristique. Il faut attendre 12ème siècle et étude du droit romain pour voir apparaître entité abstraite au-dessus du roi qu’on va appeler « le royaume » ou « la couronne » qu’on va d’ailleurs dénommer « respublica ». Roi = gardien du royaume et non propriétaire -> il lui est défendu d’abuser de son pouvoir ; il n’a pas le droit d’abuser du royaume et de ses droits. Royaume = appelé chose publique car il est la chose de tous et pas seulement du roi. Règles qui gouvernent au comportement du roi ne sont plus ecclésiastiques,… -> roi devient responsable du bon état de son royaume. Il est responsable de la bonne marche, de la bonne santé (status rei publicae). Mot status va être conservé pour désigner entité abstraite d’aujourd’hui « Etat ». Distinction entre droit public et droit privé renaît en France -> au Moyen-âge, on considère que droit privé doit échapper à puissance royale et doit être réglé par membres de la communauté eux-mêmes. Mais droit public qui résout litiges entre individus et couronne/institutions publiques peut être objet de réglementations par le roi car elle touche bon état de la chose publique.

C) Concept de dignitas.

Dignités ne meurent pas -> fonction si elle est publique peut être occupée par tel ou tel mortel mais que la fonction elle-même ne meurt pas. Idée va logiquement être appliquée pour désigner pouvoir royal -> fonction de roi = pas une propriété perso mais une dignité qui donc ne meurt pas. Si c’est une dignité, roi existe par le royaume et non royaume par le roi -> royaume précède titulaire de la dignité de roi. Porte sur la succession pour savoir qui est titulaire du pouvoir légitime. Idée de dignité va permettre de renforcer le lieu d’attache des lois fonda du royaume, lois qui dépendent du concept de royaume et non de la volonté d’un titulaire mortel du pouvoir.

D) Utilité publique.

Concept qui permet de déroger aux règles de droit commun/privé lorsque son respect = incompatible avec intérêt de la couronne, bien commun. Il existe donc une logique propre à la chose publique. Traduction institutionnelle des besoins de la communauté politique -> on peut s’e=écarter des règles de droit privé dans intérêt général. Roi ne peut pas porter atteinte au droit de propriété de quelqu’un ; il ne peut pas s’emparer des biens d’un individu et il ne peut pas le taxer, lever des impôts. Grâce à idée d’utilité publique, roi va l’invoquer afin de lever des impôts ou porter atteinte à propriété privée. Justification ? Justification a contrario -> s’il ne le faisait pas, il porterait atteinte au bon état de la chose publique.

E) L’universitas.

Mot en droit romain universitas juris désigne ensemble de droits et d’obligations distincts des éléments qui le composent. Juristes médiévaux retiennent du concept d’universitas idée d’un tout supérieur à ses éléments/composants -> application aux zones urbaines. Universitas permet de penser à possibilité pour entités d’agir en justice. Agissent au sein de l’universitas des gens qui occupent une dignité.

F) Le fiscus.

Trésor impérial = caisse distincte de celle de l’empereur dans laquelle étaient versés les impôts et de cette caisse, on finançait les légions pour construire bâtiments publics et les via romana. Au Moyen-âge, distinction entre patrimoine personnel et patrimoine du Trésor inexistante -> idée d’un patrimoine appartenant à personne morale, ensemble etc.… est développée. Routes, places, forêts domaniales = choses communes qui appartiennent à tous. Distinction entre trésor personnel et Trésor public s’impose extrêmement tard en France – sous règne de Louis XIV, il y a confusion entre fortunes personnelles du roi et des ministres & données publiques. A partir du 13ème siècle, monarchie perdure par Etat comme étant meilleure forme d’Etat possible.

  • &2. Modèles ecclésiastiques.

Sur ensemble de l’Occident, Eglise organisée de manière + performante que la politique depuis Réforme grégorienne du pape Grégoire VII (1079-1087). Avant, Eglise organisée de manière assez largement décentralisée -> chaque communauté chrétienne vivait de manière assez indépendante par rapport au pape et organisation relativement démocratique car évêques et prêtres = élus par leurs fidèles. Mais au Moyen-âge, ce système a été corrompu car église = impliquée dans liens féodaux (propriété…) et il arrivait qu’un évêque devienne vassal d’un seigneur pour une terre ou qu’il reçoive serment d’un vassal -> incohérence avec esprit de pauvreté, de détachement du pouvoir qui est celui de l’Eglise. 2 éléments de corruption à l’intérieur de l’Eglise : dynastie avec des évêques de père en fils -> patrimonialisation des dignités ecclésiastiques mais aussi trafic d’un certain nombre de biens jugés précieux ou sacrés (reliques des saints) et nicolaïsme (mariage ou concubinage des prêtres/membres de l’Eglise) -> rien d’illicite car, à partir du 10ème siècle seulement, Eglise commence à interdire mariage des clercs. Grégoire VII réforme de fond en combles l’Eglise chrétienne, éradique vices et pour se faire, il change organisation politique de l’Eglise -> système décentralisé devient système extrêmement centralisé et pouvoir absolu du pontife sur évêques qui seront désormais nommés par lui/avec son accord pour les contrôler. Mise en place d’un agent de surveillance aux côtés des évêques, le légat, afin que le pape soit sûr que les évêques respectent application des nouvelles règles de l’Eglise. Visage d’organisation rationnelle, hiérarchisée juridiquement et en vérité de monarchie absolue qui n’est pas territoriale mais universelle. Règles de fonctionnement de cette nouvelle Eglise figure dans décret de Grassien -> puiser un certain nombre de modèles.

Droit canonique est un droit qui a été systématisé par décret de Grassien et volonté de mettre de l’ordre dans le droit -> repris par monarchie française au XVème siècle avec mise par écrit des coutumes.

Il y a périodes pendant lesquelles la volonté codificatrice se fait plus pressante. Sur modèle de l’Eglise, monarchie va distinguer législateur et juge car monarchie française a une racine judiciaire car roi rend la justice. Mais il est aussi la lex animata.

Droit canonique va introduire distinction entre décision de la loi et application de la norme dans la monarchie française.

Fonction d’administration -> structure de l’Eglise catholique divisée en diocèses va servir de modèle à monarchie française du fait du découpage différents des seigneuries.

Mécanismes de délibération -> Eglise en a une culture importante au sein des diocèses et dans les lieux de la parole.

Critique de l’Eglise catholique par les protestants -> Eglise trop conservatrice où on ne peut pas s’exprimer.

Section 2. Le droit français face aux droits savants.

Au 17ème siècle, parce qu’avec l’imprimerie, on peut comparer les coutumes, des auteurs rédigent des ouvrages savants à propos du droit coutumier -> droit français devient droit doté d’un certain prestige intellectuel. Louis XIV dans ordonnance de Saint Germain en Laye décide qu’il y aurait un professeur de droit français en plus des autres dans les universités qui enseigne la coutume du ressort territorial de l’université en la comparant avec d’autres et en enseignant les ordonnances royales. De nombreux développements se retrouvent ensuite dans le Code civil de 1804 : Pothier, juriste orléanais, va être à l’origine de plusieurs articles du Code civil encore en vigueur aujourd’hui notamment en matière d’obligations.