Droit franc et mérovingien : Juridictions et procédures judiciaires

Droit franc : juridiction et procédure pénale franque

Les Francs sont un peuple germanique qui a donné son nom à la France, pour l’avoir envahie au Ve siècle. Il s’agit en effet d’un agrégat de peuples germanique qui ont su être réunis par d’abord Clovis puis par la suite de nombreux autres rois Les Mérovingiens sont la dynastie franque qui régna du Ve au VIIIesiècle. Elle a été fondée par Clovis. Son nom vient de Mérovée (le grand-père semi-mythique de Clovis). C’est la première dynastie de France.

  • &1 : Les juridictions sous les mérovingiens

A) Le tribunal du palais

Ce tribunal du palais est aussi appelé le plaid du palais, il est formé par le roi et ses proches conseillers appelés aussi les Grands Officiers. Il connait des affaires qui touchent à la personne du roi, à sa famille, ses prérogatives appelées les droits régaliens, ses compagnons et tous ceux qui bénéficient de sa protection spéciale. Ce tribunal du roi pouvait être saisi par voie d’accusation ou par le roi d’office. C’est ainsi que le roi pouvait agir contre des juges qui n’auraient pas appliqué la loi de manière rigoureuse, juste. Ce n’était pas un appel mais un procès dirigé contre le juge et même contre ses assesseurs qui auraient mal jugé.

B) Le Mallus

C’est la juridiction qui siège dans la circonscription administrative de base, c’est la centaine, c’est une subdivision du comté. Elle siège en plein air, sur une colline. Tous les hommes libres de la centaine ont l’obligation d’assister aux cessions du mallus avec leurs armes. Il semblerait qu’ils participaient au procès par des huées ou des acclamations. En pratique, le rôle de cette assemblée était réduit, le mallus était présidé par un « judex publicus » (en général le centenier ou le viguier). Il était assisté par des assesseurs qui étaient des notables locaux que l’on appelle souvent les prud’hommes. Ces assesseurs étaient en nombre variable et étaient en fait des conseillers juridiques qui représentaient les ethnies locales et qui en connaissaient les coutumes. Ces assesseurs occasionnels seront plus tard remplacés par des juges permanents (que l’on appellera des échevins) notamment avec la renaissance urbaine.

C) Les missi dominici

Ces envoyés du maitre sont des agents itinérants généralisés en 802 par Charlemagne. Ils étaient toujours au nombre de deux : un laïc et un ecclésiastique et il procédait à des tournées d’inspection. Leur mission consiste à mener des enquêtes et à tenir des assises publiques dans les villages où ils étaient chargés de rendre et rétablir la justice en sanctionnant les agents locaux et leurs abus et en punissant parfois directement certains malfaiteurs. C’est à leur retour de tournée qu’ils faisaient un rapport qui pouvait donner lieu à l’adoption d’un capitulaire pour corriger, sanctionner les actes illicites constatés.

En 811, Charlemagne va établir une distinction fondamentale entre deux types d’affaires, opérant ainsi une répartition de compétences entre deux types de juridiction : D’une part, le mallus du comté est désormais compétent pour les affaires criminelles les plus graves, celles que l’on appelle les causes majeures qui sont l’homicide, l’incendie, le vol et le rapt. D’autre part, le mallus de la centaine reste compétent pour les causes ordinaires, mineures c’est-à-dire pour toutes les autres infractions.

  • &2 : La procédure

A) La coexistence de deux procédures

En droit franc, la même procédure est suivie que ce soit en matière civile ou pénale car le procès a toujours un rôle pacificateur. La procédure suivie devant le mallus est à l’origine exclusivement accusatoire. La procédure inquisitoire réapparait véritablement sous Charlemagne.

  • Le système accusatoire initial

Chez les Francs, pour qu’un procès soit ouvert, un acte d’accusation de la victime ou de sa famille qui précise le nom du coupable est obligatoire. En effet, les peuples germaniques pratiquaient plus facilement la vengeance privée (la faida) ou bien renoncer à se venger en échange d’une composition pécuniaire. La rédaction de la loi salique, sous Clovis, a sans doute eu pour but de rendre le paiement des compositions obligatoire (afin d’éviter la violence). Mais dans les mentalités germaniques, la voie des armes était la plus honorable. Grégoire de Tours rapporte cette formule : « Si je ne venge pas mes parents tués, on ne m’appellera plus homme, mais une faible femme ». La voie de l’indemnisation (composition pécuniaire) n’impliquait pas de pacte judiciaire, les parties ennemies pouvaient s’entendre dans le cadre d’un pacte de paix (ou pacte de concorde). La voie judiciaire était l’ultime recours. Charlemagne a tenté lui aussi de mettre fin à l’enchainement des violences, c’est-à-dire aux guerres privées dans un capitulaire de 802 en interdisant toute violence après un homicide et en imposant l’acceptation de la composition convenable à payer sans retard.

  • Le développement de la procédure inquisitoire

A l’origine, ce système inquisitoire n’est utilisé que devant le tribunal du palais (du roi) puis il a été étendu aux crimes les plus graves et donc aux juges publics. Cette évolution se serait produit en 801 lorsque Charlemagne a édicté un capitulaire applicable à Barcelone qu’il vient de conquérir. Il prévoit que nul homme ne peut être contraint par un juge ou comte si ce n’est dans le cas d’un homicide, du rapt ou d’un incendie. A contrario, cela signifie que le juge public peut, pour ses trois causes majeures, recourir à la procédure inquisitoire. C’est à cette même époque que Charlemagne généralise les missi dominici qui disposaient de l’inquisitio c’est-à-dire du pouvoir de mener des enquêtes et donc de juger certains malfaiteurs et agents publics. Cette procédure reste très mal connue car elle était exceptionnelle et peu formaliste.

B) Le déroulement du procès accusatoire

  • L’introduction du procès

Il débute par l’ajournement qui est l’acte par lequel l’accusateur informe son adversaire qu’il l’attend à une session déterminée du mallus pour régler leurs différends. A l’époque mérovingienne, c’est une citation directe faite personnellement en présence de témoins en prononçant une formule rituelle. On la désigne par le mot « ad mallatio ». A partir du 9ème siècle, c’est le président du mallus qui organisera l’ajournement sur demande de l’accusateur. Le jour du procès, les deux parties doivent être physiquement présentes. Aucune représentation n’est autorisée. En cas d’absence, l’accusé était condamné à une amende et ajourné à la prochaine session. Et au bout de trois absences, il était condamné par défaut. Lorsque les deux parties étaient présentes l’accusateur exposait sa requête et demandait au juge de juger selon la loi et l’accusé répondait par une formule symétrique pour avouer ou nier l’infraction. Et en cas d’opposition, le juge demandait à l’accusé de prouver son innocence. C’est une présomption de culpabilité qui pèse sur lui.

  • Les modes de preuves

En droit franc, il existe deux catégories de preuve : certaines sont des preuves rationnelles comme l’écrit, le témoignage, l’aveu et d’autres sont des preuves irrationnelles qui sont de nature religieuse puisqu’elles en appellent au jugement divin et elles sont de deux sortes à savoir le serment et l’ordalie.

  • Les serments

Prêter serment consiste tout simplement à prendre dieu comme témoin de la véracité de ses allégations, de la justesse de sa cause. Prêter un faux serment expose son auteur à la damnation éternelle voire une punition divine immédiate. Les chroniques franques relatent de nombreux cas de parjures foudroyés sur place. De plus, les lois Barbares établissent des peines d’amende pour sanctionner les parjures, peines que Charlemagne a aggravé en prescrivant l’amputation de la main droite pour les parjures et les faux témoins car c’est la main qu’ils avaient posé sur les objets sains en prêtant serment.

Il existe deux types de serment : le serment ordinaire qui est prêté par les témoins qui sont requis par l’accusé, l’accusateur ou le judex et le serment purgatoire qui est prêté par l’accusé (et seulement par lui) pour se disculper. Pour ce serment, il se fait assister par des cojureurs que l’on appelle parfois les fidéjusseurs qui sont choisis parmi les parents et amis et qui, par serment, se portent garants de la sincérité, bonne foi de l’accusé. Mais ce ne sont pas des témoins. Le nombre de ces cojureurs est variable selon la gravité des affaires voire selon les lois applicables. Par exemple, la loi Salique en prévoit 12 ou 25. Cependant, en pratique, dans des affaires d’une exceptionnelle importance, ces seuils pouvaient être largement dépassés. Ainsi, Grégoire de Tours rapporte l’exemple du procès de la Reine Frédégonde, soupçonnée d’adultère par son mari le roi Chilpéric. Elle est venue se disculper par serment en présence de 300 cojureurs choisis parmi l’aristocratie du Royaume et les évêques. Cependant, quel que soit le nombre de cojureurs ou de témoins, un serment pouvait être combattu par un autre serment. Et le juge se trouvait donc en présence de preuves contraires d’égale valeur. Il fallait alors recourir au jugement de Dieu proprement dit c’est-à-dire l’ordalie.

  • Les ordalies

C’est un mode de preuve irrationnel dont on trouve des exemples dans les civilisations anciennes (la Bible, certaines coutumes africaines). Les ordalies sont des épreuves physiques subies par les parties au procès, elles sont destinées à manifester de manière incontestable leur pureté ou impureté grâce à l’intervention divine. Il existe deux catégories d’ordalies : certaines sont unilatérales → elles sont infligées à l’accusé seulement ; d’autres sont bilatérales → elles opposent les deux parties (ou leur champion). La plupart des ordalies mettent en œuvre des éléments purificateurs comme l’eau ou le feu qui doivent révéler si « le patient » a menti ou pas lorsqu’il a prêté serment. C’est un test de pureté qui s’est développé à partir du 8ème siècle, partiellement sous le contrôle de l’église, du fait de la multiplication des parjures. Avant de subir l’épreuve, « le patient » était dévêtu puis habillé de vêtements religieux. L’épreuve se déroulait à l’issue d’une messe où les instruments utilisés étaient bénis.

Il existe 6 types d’ordalies que l’on peut recenser avec dans un premier temps les ordalies unilatérales :

→ L’ordalie de l’eau bouillante : elle consistait à plonger la main du patient dans un chaudron d’eau portée à ébullition pour en retirer une pierre ou un anneau. Sa main était ensuite enfermée dans un sac en cuir par les juges puis ouvert trois jours après. Si la main avait un bel aspect et était en voie de guérison, il était déclaré pur ; mais si la main avait mauvais aspect et était infectée, le patient était déclaré impur et donc parjure.

→ S’en rapproche l’ordalie du fer rouge : Elle consistait à tenir dans sa main un morceau de fer rougi au feu et de poursuivre ainsi comme pour l’ordalie de l’eau bouillante.

→ L’ordalie de l’eau froide : Elle consistait à immerger le patient avec les genoux et les bras repliés et liés contre la poitrine dans un lac, une rivière qui avait été bénie. Si le corps du patient était accueilli par cette eau, il était pur alors que s’il était rejeté par ce corps pur, s’il flottait c’est qu’il était impur.

→ L’ordalie du pain et du fromage : Elle consistait à faire manger du pain et du fromage béni par un prêtre. Si le patient ne pouvait rien avaler ou s’il était malade, il était déclaré impur. S’il finit son repas tranquillement, il est considéré comme pur.

Il existe deux autres ordalies qui sont des ordalies bilatérales :

→ La première est l’ordalie de la croix qui s’est développée notamment sous Charlemagne. Elle mettait en présence les deux parties qui étaient débout, l’une en face de l’autre avec les bras tendus horizontalement, le parjure était celui qui « baissait les bras ». Elle a été interdite par Louis Le Pieux en 819 car elle était contraire au respect dû à la passion du Christ.

→ La dernière est le duel judiciaire qui consiste en un combat singulier entre les deux parties au procès. C’est à la fois un mode de preuve et une sanction car le vaincu est normalement tué. L‘église a toujours refusé de cautionner ce mode de preuve et elle l’a même interdit à plusieurs reprises, établissant que le combattant tué serait considéré comme un suicidé et le vainqueur serait considéré comme un meurtrier. Cependant, le duel fut le mode de preuve par excellence jusqu’au 12ème, 13ème siècle.

Ces modes de preuves irrationnels permettaient d’arriver à une solution. Dès lors, il suffisait au juge de prononcer une sanction