L’élaboration de la loi : du projet à l’adoption de la loi

Les différents procédés d’élaboration des lois

En droit français, plusieurs procédés permettent de créer et organiser des lois. Les deux principaux modes sont :

  1. L’adoption d’une loi isolée
    Ce procédé consiste à élaborer et adopter un texte législatif unique, destiné à répondre à un besoin spécifique, à régir une situation particulière, ou à introduire de nouvelles règles dans un domaine précis. La loi isolée est généralement proposée par le gouvernement sous la forme d’un projet de loi ou par des parlementaires sous forme de proposition de loi. Une fois adoptée par les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat), elle est promulguée par le Président de la République, publiée dans le Journal Officiel et entre en vigueur selon les règles légales d’application.

  2. La codification
    La codification regroupe plusieurs règles juridiques dispersées au sein d’un ensemble cohérent et thématique, comme le Code civil, le Code pénal, ou le Code du travail. La codification peut prendre deux formes :

    • Codification à droit constant : Les règles existantes sont simplement regroupées et ordonnées, sans modification de fond.
    • Codification rénovée : Elle inclut des adaptations et révisions de la législation pour moderniser ou clarifier les règles existantes.

    Ce processus vise à améliorer la lisibilité et accessibilité du droit en limitant les risques de contradictions entre les textes.

Les lois en France ne sont pas toutes contraignantes de la même manière et peuvent varier en fonction de leur caractère impératif ou dispositif :

 

I- l’adoption d’un texte de loi isolée

1) La procédure d’adoption d’une loi

L’adoption d’une loi en France relève d’une procédure strictement encadrée et repose principalement sur une initiative parlementaire ou gouvernementale. Selon l’article 24 de la Constitution de 1958, le Parlement, constitué de l’Assemblée nationale (députés) et du Sénat (sénateurs), est chargé de voter la loi. La procédure de création d’une loi commence donc par la rédaction d’un texte, qui peut prendre deux formes principales :

  • Proposition de loi : Texte proposé par un ou plusieurs parlementaires (députés ou sénateurs) sur une question spécifique, en dehors de l’initiative gouvernementale. Cette proposition est ensuite soumise à l’examen des assemblées.

  • Projet de loi : Texte rédigé par le gouvernement, généralement à l’initiative d’un ministre, puis présenté au Parlement. Avant de passer au vote, le projet est discuté au sein de la commission parlementaire compétente et peut être amendé par les députés et sénateurs.

Une fois discuté et adopté par les deux chambres du Parlement, le texte de loi doit encore passer par plusieurs étapes :

  • Promulgation : Une fois le texte voté, le Président de la République le promulgue, c’est-à-dire qu’il atteste officiellement de son adoption en signant le texte. Cela confirme la validité juridique de la loi.

  • Publication : La loi est ensuite publiée dans le Journal Officiel de la République Française (JORF). Cette publication marque la transparence et l’accessibilité de la loi pour le public.

  • Entrée en vigueur : Conformément au principe d’entrée en vigueur (selon l’article 1 du Code civil, révisé par l’ordonnance du 20 février 2004), une loi entre en vigueur le lendemain de sa publication au JORF, sauf si le texte indique une date différente d’application. Dans certaines régions éloignées, elle peut entrer en vigueur dès sa réception par l’administration locale, assurant ainsi que chaque citoyen ait le temps d’en prendre connaissance.

Dès l’entrée en vigueur, la loi devient obligatoire pour tous. En principe, « nul n’est censé ignorer la loi », ce qui implique qu’un individu ne peut pas se justifier en affirmant ne pas connaître une loi applicable.

2) La crise de la loi

Depuis plusieurs décennies, la loi traverse une véritable « crise » dénoncée par de nombreux juristes et institutions, en raison de changements profonds dans la manière dont les lois sont produites, appliquées et perçues. Les caractéristiques traditionnelles de la loi – son caractère général, stable, et accessible – sont peu à peu altérées par plusieurs phénomènes :

  • Prolifération des lois : Le nombre de lois en vigueur augmente constamment, rendant le système législatif complexe et parfois excessivement détaillé. Cette multiplication entraîne une surcharge législative difficile à maîtriser.

  • Spécialisation excessive des textes : Les lois modernes tendent à répondre à des problématiques spécifiques au lieu de poser des principes généraux. En abordant des détails souvent techniques, elles perdent de leur vocation universelle.

  • Instabilité des règles : Les textes de loi sont fréquemment modifiés, parfois à quelques mois d’intervalle. Cette volatilité contribue à une insécurité juridique qui rend difficile la prévisibilité des règles par les citoyens et les professionnels du droit.

  • Illisibilité et complexité croissante : Les lois sont rédigées dans un langage technique, obscur et parfois ambigu, nécessitant souvent une interprétation judiciaire pour en comprendre le sens exact. Ce manque de clarté peut décourager les citoyens de s’informer de leurs droits et obligations.

Ces maux, accentués par le contexte européen, aggravent la perception de la loi comme éloignée des citoyens. Le Conseil d’État, dans son rapport de 1991, a critiqué cette situation en déclarant : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. » Ce sentiment est aggravé par le principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », qui semble de plus en plus utopique, tant la complexité de l’ensemble législatif est devenue difficile à appréhender.

Les répercussions pratiques de cette crise sont notables : l’application des lois devient de plus en plus incertaine. Par exemple, les décrets d’application, nécessaires pour rendre certaines lois opérationnelles, sont souvent publiés avec retard, retardant ainsi l’entrée en vigueur effective des nouvelles dispositions.

3) Solution proposée : La codification

Pour remédier à cette crise, plusieurs auteurs et institutions proposent la codification comme solution. La codification consiste à regrouper les lois par thème dans des codes cohérents et accessibles, tels que le Code civil, le Code pénal, et le Code du travail. Cette méthode permet :

  • Une meilleure organisation des textes : La codification réduit la dispersion des lois et permet de retrouver l’essentiel des règles applicables à un domaine particulier dans un document unique.

  • Une simplification : En éliminant les redondances et en harmonisant les règles, la codification rend le droit plus lisible et accessible.

  • Une stabilité accrue : En regroupant les règles dans des codes, les législateurs peuvent s’attacher à ne les modifier qu’en cas de réelle nécessité, limitant ainsi la prolifération et l’instabilité des textes.

La codification, bien qu’ayant déjà prouvé son efficacité, reste partielle dans certains domaines et nécessite un effort constant d’adaptation pour intégrer les nouvelles lois tout en conservant une cohérence d’ensemble. Elle représente une piste sérieuse pour lutter contre les effets de la « crise de la loi » et pourrait, si elle est renforcée, redonner à la loi son rôle fondamental de régulation sociale, intelligible et stable.

II-la codification

La codification est un processus central dans la structuration et l’organisation du droit. Elle vise à ordonner et rendre plus accessibles les textes juridiques existants, avec une finalité de simplification et de rationalisation. Deux grandes formes de codification se distinguent : la codification réformatrice (ou innovatrice) et la codification de regroupement à droit constant.

1. La codification réformatrice ou innovatrice

La codification réformatrice représente une entreprise d’envergure qui aboutit à la création d’un nouveau corpus de règles cohérentes, souvent en réponse à des bouleversements politiques ou sociaux. Contrairement à une simple mise en ordre, elle modifie en profondeur l’état du droit, réformant les normes en vigueur pour répondre aux nouvelles exigences d’une société en évolution.

Objectifs de la codification réformatrice :

  • Politique : La codification réformatrice est souvent un outil de souveraineté politique, affirmant la puissance de l’État dans la réorganisation juridique. C’est un moyen d’uniformiser et d’affirmer une vision juridique centralisée.

  • Social : En temps de crise ou de transformation sociale, la codification peut servir à établir un « nouvel ordre social » et à clarifier les règles du jeu sociétal. L’exemple historique en est le Code Napoléon de 1804, destiné à instaurer une société fondée sur l’égalité et à marquer une rupture avec l’Ancien Régime.

  • Technique : La dispersion des normes peut être un obstacle à l’accessibilité et à la compréhension du droit. La codification permet de regrouper les textes pour en faciliter la consultation par les citoyens et les juristes.

Les caractéristiques et limites de la codification réformatrice :

Une codification réformatrice traduit un changement profond dans la structure sociale et juridique ; elle est donc censée être exceptionnelle. Cependant, elle doit viser une stabilité durable, bien qu’aucune loi ne puisse être réellement perpétuelle. Portalis, un des rédacteurs du Code Napoléon, soulignait que la stabilité est cruciale pour trois raisons principales :

  • Sociale : « La loi est la source des mœurs », c’est-à-dire qu’elle joue un rôle dans la formation de la culture et des valeurs collectives.

  • Économique : La stabilité juridique est le « palladium de la prospérité », car elle favorise la prévisibilité des relations économiques.

  • Politique : La loi garantit la paix publique ; elle permet de prévenir les troubles en assurant un cadre juridique accepté et respecté.

Méthodes pour garantir la stabilité :

  • Philosophique : Cette approche fonde le droit sur des principes universels ou sur le droit naturel, perçu comme valable pour tous les individus, indépendamment des contextes locaux. Cette philosophie s’oppose à celle du droit positif, où les règles sont créées en fonction de situations spécifiques.

  • Réalisme : Les législateurs cherchent à s’appuyer sur l’expérience passée, limitant les innovations pour éviter des bouleversements législatifs constants.

Le caractère abstrait et général de la loi permet aux règles de droit de s’appliquer dans divers contextes futurs, reconnaissant que les législateurs ne peuvent prévoir toutes les évolutions. Dans cette perspective, le rôle du législateur est de formuler des principes fondamentaux, tandis que le juge est chargé d’adapter l’application de ces règles aux cas particuliers.

2. La codification de regroupement ou à droit constant

Cette forme de codification est plus administrative et pratique, consistant simplement à rassembler les textes existants pour en faciliter l’accès et la consultation sans en modifier le contenu. Elle vise à rationaliser la structure juridique en regroupant des règles de même nature dans un code, sans introduire de nouvelles normes ni changer l’interprétation des règles en vigueur.

Types et objectifs :

  • Codification par compilation : Il s’agit de regrouper les textes pour des raisons de commodité sans en modifier la substance, permettant ainsi une meilleure accessibilité pour les praticiens et les citoyens. Le Code de la Consommation, par exemple, rassemble les règles sur la protection des consommateurs en un document unique.

  • Codification administrative : Cette méthode réunit les textes en fonction de leurs matières respectives et apporte une certaine logique dans leur organisation. Elle est qualifiée d’ »administrative » car, en France, la codification par ordonnance permet d’alléger la charge du Parlement, notamment en matière de réforme technique ou de mise à jour des textes. Ce procédé a été institutionnalisé en 1948, avec la création de la Commission Supérieure de Codification, chargée de rassembler les textes législatifs et réglementaires dans des domaines variés comme le droit du travail ou la santé publique. En 1989, cette commission a été renforcée pour élargir le travail de codification.

Avantages et limites de la codification de regroupement :

L’avantage principal de ce type de codification est la centralisation de normes parfois éparpillées, facilitant ainsi la compréhension et l’utilisation de la loi. Cependant, l’absence de réformes en profondeur entraîne souvent un manque de cohérence dans le contenu des règles regroupées.

En somme, la codification, qu’elle soit réformatrice ou de regroupement, répond à des besoins différents dans l’ordonnancement du droit : l’une crée un nouvel état juridique, répondant à des évolutions sociales et politiques, tandis que l’autre optimise l’accessibilité des textes sans altérer l’ordre juridique établi.

III. Le classement des lois

Le classement des lois s’effectue selon deux critères principaux : l’autorité et l’objet de la loi. Ces catégories permettent de distinguer les différents types de lois et leur portée respective.

Classement des lois en fonction de l’autorité

Le classement par autorité s’intéresse au degré d’impérativité de la loi. Certaines lois sont dites impératives, car elles s’imposent sans possibilité d’exception, tandis que d’autres sont supplétives, ce qui signifie qu’elles peuvent être écartées par un commun accord des parties.

  • Les lois impératives sont celles auxquelles il est impossible de déroger, car elles répondent à des impératifs d’ordre public. Elles s’imposent dans des domaines essentiels comme le droit pénal, le droit de la famille, ou les règles de protection des consommateurs.

  • Les lois supplétives ou dispositives sont, en revanche, applicables seulement si les parties n’ont pas convenu d’autres règles entre elles. Ce type de loi est courant en droit des contrats, où les dispositions légales s’appliquent seulement si les contractants n’ont pas prévu des règles différentes.

Classement des lois en fonction de l’objet

Les lois votées par le Parlement peuvent avoir différents objets, répartis en quatre catégories principales :

  • La loi organique : La loi organique a pour objet de préciser ou compléter les dispositions de la Constitution. Sa particularité réside dans sa capacité à entraîner des modifications constitutionnelles. En raison de son importance, son processus d’adoption est rigoureux et suit les dispositions de l’article 46 de la Constitution.
  • La loi ordinaire : Cette catégorie de loi a pour but d’établir ou de modifier une règle de droit dans un domaine spécifique. Elle est encadrée par l’article 36 de la Constitution.
  • La loi abrogative : L’objectif de la loi abrogative est de supprimer une loi existante, sans pour autant introduire de nouvelles règles de droit. Elle se distingue des autres lois par sa nature purement abrogative, étant toujours une loi ordinaire.
  • La loi interprétative : Destinée à clarifier le sens d’une loi antérieure, la loi interprétative intervient lorsque le législateur souhaite lever une ambiguïté sur une règle de droit existante. Selon la Cour de cassation, deux caractéristiques définissent la loi interprétative : elle doit apporter une clarification sans introduire d’éléments nouveaux. Dans les arrêts soc. du 13 mai 1985 et com. du 2 octobre 2001, la Cour souligne qu’elle vise uniquement à dissiper une controverse sur une loi ancienne sans innovation.

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