La présomption de paternité du mari
L’article 310-1 du Code civil prévoit désormais que la filiation peut être établie :
- Alinéa 1 « par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété ».
- Alinéa 2 « par jugement ».
A côté de ce que la loi prévoit, s’ajoutent la vérité individuelle (la volonté par l’acte de reconnaissance) et la vérité affective (la possession d’état). Concernant la filiation établie par effet de la loi, deux situations sont visées par cette expression : la présomption de paternité du mari et la désignation du nom de la mère dans l’acte de naissance.
Curieusement bien qu’elle cherche à supprimer la distinction entre Filiation Légitime / Filiation Naturelle, la réforme maintient ce mode d’établissement particulier de la filiation. La présomption « pater is est quem nuptiae demonstrant » continue de jouer son rôle. Explications : mécanisme simple et efficace et aussi le corollaire du devoir de fidélité entre époux.
I) Le contenu de la présomption de paternité :
Pour qu’il y ait établissement de la filiation par ce mécanisme, il faut à la fois :
- Que le lien de filiation soit établi à l’égard de la mère de l’enfant.
- Que l’enfant soit issu du mariage.
Maintien de la filiation indivisible, comme l’était la FL, propre aux couples mariés.
Raisons : le mari semble être le père à cause du devoir de cohabitation et de fidélité ; dans la réalité, c’est le cas dans la majorité des situations.
L’article 312 du Code Civil dispose ainsi que l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari. On combine cette présomption avec celle omni meliore momento et celle relative à la période légale de conception. Cela permet de fixer la date exacte de la conception de l’enfant dans l’intervalle de 300j à 180j à compter de sa naissance selon ce qui paraît le plus conforme à son intérêt (article 311 alinéas 2 du Code Civil).Ces 2 présomptions sont réfragables (article 311 alinéa 3 du Code Civil).
(Exemple : l’enfant qui naîtrait quelques jours après l’expiration du délai légal de 300 jours peut toujours rapporter la preuve que sa grossesse a été tardive. Une fois cette preuve rapportée, la présomption de paternité pourra s’appliquer.)
Intérêt : dès qu’un enfant a sa conception ou sa naissance située pendant le mariage, l’enfant est présumé avoir pour père le mari. Il est du coup dispensé de rapporter la preuve directe de sa conception par le mari de la mère.(Même effet s’il y a annulation du mariage ; les effets du mariage putatif étant systématiquement maintenus à l’égard des enfants issus du mariage : article 202 du Code Civil). Mais cette présomption peut être écartée quand il y a de fortes raisons que l’enfant n’est pas des œuvres du mari.
II) La mise à l’écart de la présomption :
Le nouvel article 313 du code civil, issu de la loi no 2009-61 du 16 janvier 2009, ratifiant l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, énonce désormais les deux cas dans lesquels la présomption de paternité est écartée :
- Lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. Ce cas d’exclusion de la présomption de paternité était visé par l’article 314, issu de l’ordonnance du 4 juillet 2005, avec alors une formulation différente : « la présomption de paternité est écartée lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père et que l’enfant n’a pas de possession d’état à son égard ». Désormais, il faut donc et il suffit que le nom du mari en qualité de père ne soit pas mentionné dans l’acte de naissance de l’enfant pour que la présomption de paternité soit écartée.
- Fondement :sans plus exiger l’absence de possession d’état à l’égard du mari, l’exclusion de la présomption du seul fait de la non indication du mari en qualité de père laisse comprendre que la naissance sera déclarée par la mère qui, volontairement, peut ainsi priver son mari de paternité et l’enfant de filiation paternelle. A priori cela suppose une conviction de la mère quant à la paternité de son enfant à l’égard d’un autre homme, du fait de ses relations avec lui pendant le mariage. La démarche volontaire recouvre par là même un aveu d’adultère, préservant l’établissement par ailleurs de la véritable filiation paternelle. Mais elle peut aussi traduire une volonté de la mère d’écarter la paternité de son mari pour ne pas avoir à en tenir compte par la suite, du fait d’une séparation des époux, déjà avérée, ou à venir. Plus rarement, sans doute, une telle déclaration de naissance émanera du mari lui-même, à moins qu’il ne veuille, ce faisant, formaliser son désaveu de l’enfant.
- Effet :au regard d’un acte de naissance n’indiquant pas le nom du mari en qualité de père, l’exclusion de la présomption de paternité est automatique (pour l’application de l’ancien article 313-1 du Code Civil. Elle ne peut plus être le mode d’établissement paternelle de l’enfant à l’égard du mari de la mère. Bien entendu, la filiation maternelle demeure établie en application ordinaire de l’article 311-25 du code civil. La filiation paternelle peut être établie par un tiers. Et le mari lui-même pourra chercher à établir sa paternité par d’autres moyens autorisés.
- Lorsque l’enfant a été conçu dans une période de « séparation légale » des époux, du fait d’une demande en divorce ou en séparation de corps.
Aux termes du nouvel article 313, la présomption de paternité « est encore écartée, en cas de demande de divorce ou en séparation de corps, lorsque l’enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences de divorce, ou des mesures provisoires prises en application de l’article 250-2, soit de l’ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation ».
Séparation légale des époux :
- L’enfant doit apparaître avoir été conçu au cours d’une période de séparation légale des époux, du fait d’une demande en divorce ou en séparation de corps. La période légale de conception de l’enfant (article 311 du Code Civil) se situe dans la période où les époux avaient juridiquement et judiciairement des résidences séparées. L’ordonnance de 2005 a intégré la réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004: selon les cas de divorce, l’enfant doit être né plus de 300 jours après la date :
- 1o de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce, ou des mesures provisoires prises en application de l’article 250-2 (divorce par consentement mutuel : articles 230, 232, et 250 à 250-3 du Code Civil, pour la procédure) ;
- 2o de l’ordonnance de non-conciliation pour les autres cas de divorce ;
- 3o de l’ordonnance de séparation de corps, cette ordonnance statuant sur les modalités de la résidence séparée des époux (article 255 du Code Civil). Par ailleurs et le cas échéant, il est posé la condition que l’enfant soit né moins de 180 jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation des époux, du fait de la reprise de vie commune. De la sorte, quelque soit le cas, la période légale de conception de l’enfant – du 300e au 180e jour avant la naissance (article 311 du Code Civil) – se situe bien dans une période où les époux vivaient séparément et étaient dispensés du devoir de cohabitation inhérent au mariage (article 215 du Code Civil).
- Fondement :dans ce contexte, du fait de l’absence de communauté de vie, la paternité du mari est peu vraisemblable, sinon exclue, même si pour autant, pendant cette même période, l’épouse n’est pas dispensée du devoir de fidélité (article 212 du Code Civil). La référence générale au critère de la vérité biologique quant à l’établissement de la filiation justifie aussi ce cas d’exclusion de la présomption de paternité du mari de la mère.
- Effet :répondant aux conditions objectives et juridiques énoncées, il y a lieu d’en déduire que la présomption de paternité ne s’applique pas : « […] la présomption de paternité est écartée […] » (article 313 du Code Civil). En conséquence, le nom du mari en qualité de père ne doit pas être indiqué dans l’acte de naissance de l’enfant. S’il en était ainsi malgré tout, une action en constatation de l’inapplicabilité de la présomption de paternité pourrait être exercée. Elle aboutirait à la rectification de l’état civil de l’enfant.
Son régime est donc autonome, l’action pouvant être exercée par d’autres personnes que celles ayant qualité pour contester la paternité du mari. Et aussi, du fait de l’inapplicabilité de la présomption de paternité, une autre filiation paternelle peut être établie, par reconnaissance, ou par une action en recherche de paternité. Comme l’enfant n’a pas la possession d’état à l’égard du mari de la mère, le mari ne doit pas être le véritable père de l’enfant). La présomption est écartée de plein droit. Pas nécessaire d’intenter une action en justice.
III) Le rétablissement de la présomption :
La paternité du mari n’est pas toujours invraisemblable même si les circonstances le laissent croire :
- Article 314 du Code Civil nouveau« Néanmoins, la présomption de paternité se trouve rétablie de plein droit si l’enfant à la possession d’état à l’égard du mari et s’il n’a pas une filiation paternelle déjà établie à l’égard d’un tiers » : réalité sociologique et affective.
Ce peut être la volonté de pardon, de faire comme s’il s’agissait du sien ou c’est peut-être aussi le sien. Le comportement du mari tend à faire penser qu’il s’agit de son enfant, du coup, le droit en tire les conséquences et rétablit de plein droit la présomption de paternité du mari.
Conditions cumulatives :
Aux termes du nouvel article 314 du code civil, « si elle a été écartée en application de l’article 313, la présomption de paternité se trouve rétablie de plein droit si l’enfant a la possession d’état à l’égard du mari et s’il n’a pas une filiation paternelle déjà établie à l’égard d’un tiers ». Par cette nouvelle formulation, les conditions requises pour le rétablissement de la présomption de paternité sont exigées pour l’un et l’autre cas d’exclusion, acte de naissance de l’enfant sans indication du nom du mari en qualité de père, l’enfant conçu au cours d’une période de « séparation légale » des époux.
Application :
Elle sera sans doute assez exceptionnelle. La possession d’état à l’égard du mari suppose que malgré tout il se soit comporté comme le père de l’enfant, qu’il le considère comme étant le sien, nécessitant une réconciliation des époux, et une reprise effective de la vie commune. La seconde condition n’en est pas moins exigeante : que l’enfant n’ait pas été reconnu par un tiers, rappelant l’admission générale de la reconnaissance volontaire, y compris prénatale (article 316 du Code Civil) par l’ordonnance du 4 juillet 2005.
La présomption de paternité peut être rétablie :
- Par le biais d’une action en justice (article 315 du Code Civil) quand la paternité du mari correspond à la réalité biologique = preuve que le mari est bien le père. Article 329 du Code Civil : chacun des époux peut demander en justice, pendant la minorité de l’enfant le rétablissement de la présomption de paternité en prouvant que le mari est le père. Il faut une action, pas de plein droit ; l’enfant le peut aussi mais dans les 10 ans qui suivent sa majorité.
Preuve de la paternité biologique du mari à rapporter, par tous moyens (article 310-3 alinéas 2 du Code Civil). Cette preuve biologique était déjà admise précédemment par la JURISPRUDENCE afin de rétablir la présomption de paternité du mari : Arrêtde la première chambre civile le 29 mai 2001.(C’est la vérité biologique qui rétablira le jeu de la présomption du mari, laquelle demeure alors au fond le mode d’établissement de la filiation mis en œuvre).
- Par le biais d’une reconnaissance par le mari : la loi no2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance du 4 juillet 2005 ajoute à l’article 315 du code civil« le mari a également la possibilité de reconnaître l’enfant dans les conditions prévues aux articles 316 et 320 ».
Si au départ, l’article 315 comportait une seule disposition, qui demeure, pour envisager le rétablissement des effets de la présomption de paternité en justice dans les conditions prévues par l’article 329 (preuve de la paternité du mari, désormais il y a lieu d’admettre que ce rétablissement peut aussi résulter de la reconnaissance de l’enfant par le mari, sous réserve bien entendu que par ailleurs une autre filiation paternelle ne soit pas établie (article 320 du Code Civil). Dans ces conditions, un tel rétablissement n’est donc plus nécessairement judiciaire. Il pourrait s’y trouver un moyen pour le mari de prévenir l’un ou l’autre cas d’exclusion de la présomption de paternité. Pour ce faire, la reconnaissance prénatale sera spécialement appropriée. Évidemment, elle suppose une volonté du mari.
La loi de 2009 permet au père, plutôt que d’engager une action en justice, de reconnaître l’enfant dans les conditions fixées par l’article 316 du Code Civil. Une reconnaissance, comme elle est ouverte de façon générale, pourrait venir suppléer à une présomption de paternité du mari qui aurait été écartée dans les circonstances précédemment décrites. On peut penser qu’une reconnaissance pourrait se substituer à une action en rétablissement de la présomption de paternité du mari, car le droit nouveau ne paraît pas exclure qu’une reconnaissance soit souscrite par un homme marié à l’égard d’un enfant issu de son couple.