LE CHAMP D’APPLICATION MATÉRIELLE DU RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE N°44-2001
Le droit judiciaire de l’Union européenne couvre aujourd’hui la matière civile et commerciale, l’instrument principal et originel qui fonde ce droit est la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, connu sous l’appellation , Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement de Bruxelles I.
L’objectif premier de ce règlement est de mettre en place dans l’UE, un espace de coopération judiciaire et de libre circulation des jugements dans tous les domaines (article 61c & 65 du Traité de L’UE).
- GÉNÉRALITÉS SUR LE RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE N° 44-2001 OU LE RÈGLEMENT DE BRUXELLES
— Les institutions communautaires se sont intéressées à la compétence juridictionnelle de manière assez précoce : ainsi, ont-elles adopté la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
— Toutefois, elle a été, pour sa plus grande partie, remplacée par le règlement communautaire N° 44-2001 du 22 décembre 2000 : c’est pourquoi on parle également de « règlement de Bruxelles »
— La volonté présente dans ces 2 textes est d’unifier les règles de compétence entre les différents États-membres de l’Union européenne : en effet, on veut que les solutions aux litiges soient les mêmes, afin d’assurer aux mieux la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux
— Or, cet instrument est souvent assez abstrait, car, comme toute harmonisation, il a dû faire l’objet d’un certain nombre de compromis : par conséquent, le texte soulève un certain nombre de problèmes d’interprétation
— C’est la CJCE qui a la compétence d’interprétation : elle a eu un rôle fondamental dans l’évolution de la Convention de Bruxelles et du règlement de Bruxelles, voire un rôle précurseur, puisque ses solutions ont parfois été reprises dans certaines réformes
— 1er mars 2002 : le règlement communautaire N° 44-2001 rentre en vigueur en et s’applique à toutes les actions intervenues postérieurement à cette date
— Il s’agit d’un véritable texte de référence pour 2 raisons
— 1ère raison : le champ d’application matérielle du règlement est considérable, puisqu’il recouvre la plupart des litiges civils et commerciaux
— 2nde raison : il fonde certaines règles de compétence particulières qui ne sont pas connues en France
- LE CHAMP D’APPLICATION MATÉRIELLE DU RÈGLEMENT
— L’article 1er — 1er du règlement N° 44-2001 précise que le règlement s’applique en matière civile et commerciale
— Cependant, l’article 1er — 2e du règlement N° 44-2001 exclut certaines matières particulières, car on n’a pas réussi à aboutir à un compromis dans celles-ci
- a) La notion de matière civile et commerciale
— Le champ d’application est extrêmement large, puisque l’article 1er — 1er du règlement N° 44-2001 précise que le règlement s’applique en matière civile et commerciale
— Toutefois, l’article 1er — 1er du règlement N° 44-2001 indique également que l’on ne se retrouve pas en matière civile et commerciale face à des questions fiscales, douanières ou administratives : or, quelle est-il vraiment utile de distinguer le droit civil et commercial de ces matières, qui paraissent évidemment éloignées ?
— Pour certains États-membres, où il n’existe pas de droit administratif mais uniquement un droit commun (ex. la Grande-Bretagne), cette précision est tout à fait pertinente
— Pour les autres États-membres, où la distinction est faite en droit interne (ex. la France), cette précision n’est pas inintéressante, puisque les contours du droit civil et commercial peuvent être assez flous
— Or, les contours vont être interprétés par l’autorité compétente à apprécier le règlement, à savoir la CJCE
— 14 octobre 1976 : l’arrêt de principe « LTU CONTRE EUROCONTRÔLE » de la CJCE est le premier arrêt sur la notion de matière civile et commerciale
— La compagnie aérienne LTU se voit réclamer par EUROCONTRÔLE des redevances d’atterrissage ; LUT ne veut pas payer ; EUROCONTRÔLE obtient néanmoins un jugement de condamnation auprès des juridictions belges ; LUT exerce les voies de recours en Belgique ; il considère que le juge belge, qui s’était fondé sur la Convention de Bruxelles, n’était pas compétent, parce qu’en l’occurrence la Convention de Bruxelles était exclue, étant donné que l’on était pas en matière civile ou commerciale ; les juges belges posent une question préjudicielle à la CJCE
— La CJCE donne 2 indications essentielles de raisonnement
— 1ère indication : la notion de matière civile et commerciale est autonome
— 1ère conséquence : il ne faut, pour interpréter la notion civile et commerciale, jamais se référer à un quelconque droit d’un État-membre
— La notion de la Convention de Bruxelles lui est propre : elle forme une sorte de notion communautaire transcendant les droits nationaux des États-membres
— 2nde conséquence : la notion ressort d’une interprétation systémique (càd, une interprétation relative à un système pris dans son ensemble) qui tient compte de 2 éléments
— 1er élément : les objectifs de la Convention de Bruxelles
— 2nd élément : les principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des droits des États-membres
— 2nde indication : on ressort de la matière civile et commerciale à chaque fois qu’une autorité publique, exerçant une prérogative de puissance publique, intervient
— Lorsque 2 conditions cumulatives sont donc réunies, on ne se situe plus en matière civile ou commerciale
— 1ère condition : l’intervention d’une autorité publique
— 2nde condition : l’exercice d’une prérogative de puissance publique
— En l’espèce, la question ne relève pas de la matière civile et commerciale, et par conséquent, ne relève pas de la Convention de Bruxelles, puisqu’il y a 2 manifestations de l’intervention d’une autorité publique agissant dans l’exercice de la puissance publique
— 1ère manifestation : l’EUROCONTRÔLE fixe unilatéralement les redevances (sans concertation avec les compagnies aériennes)
— 2nde manifestation : l’utilisation du service d’EUROCONTRÔLE était obligatoire et exclusive
— 14 novembre 2002 : l’arrêt de la CJCE confirme cette jurisprudence constante
— 14 janvier 2004 : l’arrêt de la CJCE confirme que la 1ère condition et 2nde condition sont bien cumulatives
— Un organisme s’occupant de problèmes sociaux verse une aide à un étudiant pour qu’il puisse poursuivre sa formation professionnelle ; cet organisme est une émanation de la collectivité territoriale allemande, à savoir la Land Bavière ; en l’occurrence, l’étudiant en cause était créancier d’aliments à l’égard d’une autre personne ; or, le débiteur d’aliments ne s’acquittait pas de ses obligations ; par conséquent, la collectivité territoriale intente une action récursoire contre le débiteur d’aliments, car celle-ci a dû verser l’aide précisément en raison de l’inexécution des obligations de ce dernier ; le défendeur considère que l’on n’est pas en matière civile ou commerciale, puisque l’organisme public lui réclame l’argent ; les juges posent une question préjudicielle
— La CJCE considère que l’on est en matière civile et commerciale, malgré que le demandeur soit une personne publique, car l’action récursoire exercée est fondée sur le droit commun (et non sur une prérogative de puissance publique)
- b) Les matières exclues
— L’article 1er — 2e du règlement N° 44-2001 énumère les questions exclues
— 1ère exclusion : l’état et la capacité des personnes physiques
— 2e exclusion : les problèmes qui ont trait aux régimes matrimoniaux, testamentaires et de succession
— 3e exclusion : les faillites, les concordats et toutes les procédures analogues (de faillite)
— 4e exclusion : les problèmes liés à la sécurité sociale
— 5e exclusion : les problèmes d’arbitrage
— Comment justifier l’exclusion de ces différents éléments ?
— En ce qui concerne la 1ère exclusion et 2e exclusion, on peut relever 3 justifications
— 1ère justification : les États considéraient, lors de la conclusion de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, qu’il s’agissait de matières sensibles, dont ils ne voulaient pas perdre leur compétence juridictionnelle
— 2e justification : les règles pratiquées dans ces matières étant très différentes d’un État à l’autre, aucun compromis n’aurait été possible
— 3e justification : la construction européenne a été fondée, pendant longtemps, sur des considérations essentiellement économiques (qui ne concernent donc pas ces matières)
— En ce qui concerne la 3e exclusion, la justification se trouve dans une convention internationale spécifique aux questions de faillite qui était déjà en travaux à l’époque
— Or, le règlement communautaire N° 1346-2000 relatif à ces questions de faillite n’est adopté qu’en 2000
— En ce qui concerne la 4e exclusion, la justification se trouve dans la nature trop spécifique de la sécurité sociale : en effet, il s’agit d’un droit hybride que l’on n’arrive pas à classer même en droit interne (que ce soit dans le droit civil ou commercial, ou en dehors de ceux-ci)
— En ce qui concerne la 5e exclusion, on ne voulait pas rajouter une couche à la Convention de New York du 10 juin 1958 relative aux problèmes d’arbitrage, qui était tout à fait satisfaisante, d’autant plus que tous États-membres de l’époque avaient déjà signé cette convention
— Comment définir exactement les différents domaines ?
— En effet, certains domaines sont difficiles à délimiter même en droit interne : ex. le régime matrimonial
— C’est à nouveau la CJCE qui se charge de préciser les contours
— 27 mars 1979 : l’arrêt « DE CAVEL » de la CJCE en est une illustration
— La séparation des époux DE CAVEL s’est très mal passée ; l’épouse avait notamment pris l’initiative de prendre des mesures de sauvegarde préventive de la justice (ex. des mesures de scellées et des saisies sur les biens de l’époux) ; l’époux a contesté la compétence des juridictions qui avaient ordonné les mesures provisoires en cause, car la Convention de Bruxelles n’avait pas vocation à s’appliquer, selon lui, étant donné que l’on était en présence d’un divorce relatif au régime matrimonial et la capacité des personnes ; toutefois, l’épouse considère qu’il faut uniquement tenir compte de la nature des mesures, qui est seulement d’ordre civil ; cependant, le mari considérait que ces mesures étaient seulement accessoires à la procédure de divorce en question ; les juges posent une question préjudicielle
— La CJCE considère, étant donné que ces mesures ont été prises à l’occasion d’un divorce et sont étroitement liées à la liquidation des rapports patrimoniaux des époux, que l’on se trouve nécessairement en dehors du champ d’application de la Convention de Bruxelles : en effet, la règle générale veut que l’accessoire suive le principal