Les sources non écrites du droit objectif

LES SOURCES NON ÉCRITES DU DROIT

Dans le système juridique français, le droit ne provient pas uniquement des textes législatifs et réglementaires. Certaines sources dites non écrites jouent également un rôle crucial dans l’application et l’évolution du droit. Ces sources non écrites comprennent notamment la coutume, l’usage, la jurisprudence et la doctrine.

1. La coutume : La coutume est une pratique ancienne et constante qui acquiert force de droit sans texte écrit. Elle complète ou parfois contredit la loi. Trois types se distinguent :

  • Secundum legem : confirme ou précise la loi.
  • Praeter legem : comble l’absence de loi.
  • Contra legem : contredit la loi, mais influence parfois certaines pratiques locales.

2. L’usage :  L’usage est une pratique professionnelle ou commerciale non contraignante, mais couramment respectée. Il est spécifique à certains secteurs, par exemple les usages d’entreprise (ex. : primes, jours de congé), offrant des avantages qui ne sont pas formalisés.

3. La jurisprudence :  La jurisprudence est l’ensemble des décisions des tribunaux, notamment celles de la Cour de cassation. Elle interprète le droit et comble les lacunes législatives. Bien qu’elle ne crée pas directement de lois, elle influence l’application du droit.

4. La doctrine :  La doctrine regroupe les analyses de juristes et universitaires, qui clarifient et interprètent les lois. Elle n’a pas de valeur contraignante, mais son rôle est essentiel pour guider l’évolution du droit et inspirer des réformes.

SECTION 1 – La Coutume

La coutume est une règle de droit non écrite, qui tire son caractère obligatoire de l’usage constant et de la conviction sociale qu’elle s’impose. Contrairement à la loi, promulguée et édictée par les pouvoirs publics, la coutume résulte de pratiques répétées au sein d’une communauté qui les intègre progressivement comme norme.

1. Définition et caractéristiques de la coutume

La coutume se distingue par son origine informelle et spontanée : elle émane du corps social, sans intervention des institutions législatives. Bien qu’elle constitue une source de droit, elle doit être prouvée et justifiée devant les tribunaux, à la différence de la loi, qui est immédiatement exécutoire et ne nécessite pas de preuve de son existence. On la définit parfois comme « la loi que l’usage a établie et qui s’est conservée sans écrit par une longue tradition ».

Les éléments constitutifs de la coutume

Deux éléments sont nécessaires pour que la coutume acquière force obligatoire :

  • L’élément matériel : Il s’agit de la répétition constante d’une pratique dans le temps et dans l’espace. La coutume n’a pas besoin d’être immémoriale, mais elle doit être suivie de manière continue et stable. L’expression « une fois n’est pas coutume » illustre l’importance de cette répétition.
  • L’élément psychologique : Il réside dans la croyance collective selon laquelle la pratique a une valeur normative et doit être respectée. Autrement dit, il faut que la société soit convaincue que cette pratique est juridiquement contraignante.

Exemples : Dans les relations commerciales, la coutume de solidarité entre débiteurs illustre ce double élément. Chaque débiteur peut être tenu pour l’intégralité de la dette, même si ce n’est pas formellement stipulé, car cette règle est considérée comme acquise dans le commerce. De même, l’usage pour une femme mariée de prendre le nom de son mari est un exemple de coutume praeter legem, c’est-à-dire une coutume qui s’impose en dehors de toute loi explicite.

2. Types de coutume et interaction avec la loi

La coutume peut compléter, interpréter ou même entrer en conflit avec la loi. On distingue trois types principaux de coutumes en fonction de leur rapport avec la législation.

a) La coutume secundum legem : complément de la loi

Cette coutume s’applique lorsque la loi renvoie explicitement aux usages locaux ou professionnels pour définir ou préciser certains points.

  • Exemple en droit civil : L’article 663 du Code civil fait référence aux usages locaux pour déterminer les hauteurs des clôtures entre propriétés privées. Dans certaines régions, des usages fixent la hauteur des haies, des murs ou des clôtures pour respecter l’harmonie locale.
  • Exemple en droit des obligations : Dans les baux commerciaux, les pratiques peuvent déterminer les modalités de paiement, la durée des préavis ou les obligations de réparation.

b) La coutume praeter legem : suppléance de la loi

La coutume praeter legem intervient en l’absence de disposition légale dans un domaine donné. Elle est autonome et s’impose pour combler les vides juridiques.

  • Exemple : Le port du nom de l’époux par la femme mariée relève de cette coutume. Bien que non obligatoire, cette pratique est courante en France, et le Code civil n’impose pas cette règle, mais elle est largement admise par usage.
  • Solidarité commerciale : La solidarité entre commerçants en cas de dette est une autre illustration de coutume praeter legem. Si plusieurs commerçants sont co-débiteurs, le créancier peut réclamer la totalité de la somme à l’un d’eux, même si cela n’est pas explicitement prévu par la loi.

c) La coutume contra legem : en opposition à la loi

La coutume contra legem contredit la loi et pose la question de savoir quelle norme appliquer. Ce choix dépend du caractère de la loi en cause :

  • Si la loi est supplétive : Une coutume contraire peut l’emporter, car la loi n’a pas de caractère impératif et peut être modifiée par les parties.
  • Si la loi est impérative : La coutume est en principe exclue, mais certaines coutumes contra legem perdurent malgré la règle écrite, ce qui peut poser des difficultés en pratique.

Exemples de coutumes contra legem :

  • Les dons manuels : En théorie, l’article 931 du Code civil impose qu’un don soit réalisé par acte notarié. Cependant, les dons manuels, c’est-à-dire les donations effectuées par simple remise de l’objet (bijou, somme d’argent), sont admis par la coutume. Cette pratique est devenue si courante qu’elle est tolérée par les juridictions, bien qu’en contradiction avec la loi.
  • Les intérêts bancaires sur soldes débiteurs : Les banques appliquent couramment un taux d’intérêt pour les découverts sans que les clients aient signé une convention d’intérêts. Ce procédé contrevient aux règles exigeant une stipulation écrite, mais il est admis en raison de l’usage bancaire établi.

3. Le rôle contemporain de la coutume et ses limites

En France, un pays de droit écrit, la coutume joue un rôle secondaire, principalement dans les domaines où la loi reste silencieuse ou dans certains secteurs professionnels et commerciaux. Cependant, elle présente des avantages :

  • Souplesse et adaptation : La coutume permet d’adapter les règles juridiques aux pratiques locales ou professionnelles, apportant flexibilité et pragmatisme.
  • Adhésion sociale : La coutume a l’avantage de représenter une règle issue directement de la société et souvent mieux acceptée que des lois imposées « d’en haut ».

Exemple en droit coutumier : En Bretagne, le droit coutumier concernant l’usage des terres agricoles et des successions a longtemps été respecté en parallèle du droit civil national.

Limites et critiques. 

Cependant, la coutume présente plusieurs inconvénients :

  • Manque de clarté et de prévisibilité : Contrairement à la loi, la coutume n’a pas de texte officiel, ce qui rend son contenu difficile à cerner et peut générer des incertitudes.
  • Preuve nécessaire : Contrairement aux lois, la coutume doit être prouvée devant les tribunaux. Cela peut poser des difficultés en l’absence de documentation suffisante.
  • Rôle décroissant : Avec la multiplication des lois et des réglementations, la coutume a tendance à jouer un rôle de plus en plus marginal.

En définitive, bien que la coutume soit moins présente dans le droit contemporain français, elle continue à jouer un rôle dans certains domaines spécifiques et à coexister avec les lois écrites.

SECTION 2 – La Jurisprudence

1) Définition et rôle de la jurisprudence

La jurisprudence désigne l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux, en particulier celles de la Cour de cassation, qui a une autorité particulière en raison de son rôle de plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Bien que les juges ne créent pas la loi, ils interprètent et appliquent le droit à travers leurs décisions, contribuant ainsi à une adaptation continue des règles juridiques.

Rôle
La jurisprudence joue un rôle fondamental dans l’interprétation et l’application des règles de droit, ainsi que dans leur adaptation aux évolutions de la société. Par le biais de leurs décisions, les juges :

  • Interprètent le droit : Lorsqu’ils appliquent des lois et règlements, les juges analysent et clarifient les textes en fonction des situations concrètes. Cela facilite l’application des règles juridiques et contribue à les rendre compréhensibles pour tous.
  • Adaptent le droit aux évolutions sociales : En répondant aux nouveaux défis sociaux, économiques et technologiques, les décisions judiciaires reflètent les changements de la société. Par exemple :
    • Responsabilité des faits des choses : Les juges ont développé des règles facilitant l’indemnisation des victimes de dommages causés par des objets (ex. : un pot de fleurs qui tombe d’une fenêtre), sans qu’il soit nécessaire de prouver une faute.
    • Responsabilité des parents et des employeurs : La jurisprudence a étendu la responsabilité des parents pour les actes de leurs enfants, et des employeurs pour les actions de leurs salariés.
    • Évolution du traitement des personnes handicapées : En 1991, la jurisprudence a reconnu des cas d’indemnisation en dehors des situations strictement prévues par le Code civil.

En outre, les juges de première instance et d’appel, bien que libres de juger les affaires selon leur propre interprétation, prennent souvent en considération les décisions de la Cour de cassation. Celle-ci, par ses arrêts de cassation, peut en effet annuler les décisions des juridictions inférieures pour mauvaise application du droit.

2) La jurisprudence, source de droit

Dire que la jurisprudence est une source de droit signifie que les décisions judiciaires, en particulier celles de la Cour de cassation, contribuent à la définition des règles de droit. Cela semble paradoxal, puisque la mission première du juge est d’appliquer la loi et non de la créer, mais la jurisprudence comble les lacunes laissées par le législateur.

Obligation de statuer et création de droit L’article 4 du Code civil oblige le juge à statuer même en l’absence de loi ou de coutume applicable. Dans ces cas, le juge crée une règle jurisprudentielle pour résoudre le litige. Par exemple :

  • En droit international privé, la jurisprudence a établi des règles spécifiques en matière de conflits de lois et de compétence.
  • En responsabilité civile, de nombreuses règles sont issues de la jurisprudence, comme celles relatives à la responsabilité délictuelle.

Rôle de la Cour de cassation La Cour de cassation est essentielle dans la formation de la jurisprudence. Juge du droit, elle se prononce uniquement sur la bonne application du droit par les juges du fond (premier et second degré) et assure ainsi une uniformité de l’interprétation juridique. Elle rend deux types d’arrêts :

  • Arrêt de rejet : La Cour confirme la décision de la juridiction inférieure, estimant qu’elle a bien appliqué le droit.
  • Arrêt de cassation : La Cour annule la décision inférieure, considérant que la règle de droit a été mal appliquée ou que la décision manque de fondement légal.

Par ses décisions, la Cour de cassation peut imposer une interprétation du droit aux juridictions inférieures. Celles-ci peuvent parfois résister et décider de ne pas suivre la position de la Cour de cassation, mais cela expose leur décision à un risque d’annulation par la Cour, voire à une révision par l’assemblée plénière.

Cas d’évolution jurisprudentielle et limites La jurisprudence évolue en fonction des besoins de la société, mais la loi peut intervenir pour renverser une règle jurisprudentielle. Ci-dessous, quelques arrêts marquants des dernières années en France, qui ont soit inspiré des modifications législatives, soit été annulés par des lois en réaction aux décisions rendues :

1. L’arrêt Perruche (2000) – Responsabilité médicale et préjudice de naissance

  • Contexte : Dans cet arrêt historique, la Cour de cassation a reconnu à un enfant handicapé le droit d’être indemnisé pour le préjudice subi du fait de sa naissance, en raison d’une erreur de diagnostic prénatal. Cette décision permettait aux parents de réclamer une indemnisation pour l’enfant, car l’erreur médicale avait empêché la mère d’exercer son choix d’interrompre la grossesse.
  • Conséquence législative : La loi du 4 mars 2002, dite « loi anti-Perruche », a été adoptée pour contrer cet arrêt en disposant que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait de sa naissance » et en limitant ainsi les possibilités d’indemnisation pour des préjudices de ce type​     Dalloz Actualité     Revue générale du droit

2. L’arrêt Baby Loup (2013-2014) – Neutralité dans le secteur privé

  • Contexte : Cet arrêt porte sur le licenciement d’une employée d’une crèche privée portant le voile islamique, en contradiction avec le règlement intérieur de l’entreprise. La Cour de cassation a soutenu le droit de l’employeur à imposer la neutralité dans certains cas, même dans le secteur privé.
  • Conséquence législative : Bien que cet arrêt n’ait pas été annulé par une loi, il a fortement inspiré les débats sur la neutralité religieuse au sein du secteur privé. En parallèle, la législation sur la laïcité dans les entreprises privées a continué à évoluer​     Village Justice

4. Le droit à l’oubli numérique (2020) – Vie privée et protection des données

  • Contexte : La Cour de justice de l’Union européenne a consolidé le droit à l’oubli numérique, demandant aux moteurs de recherche de retirer certains liens associés à des informations obsolètes ou sensibles, mais en équilibrant ce droit avec la liberté d’information.
  • Conséquence législative : En France, cette jurisprudence a inspiré l’actualisation des règles sur la protection des données, en cohérence avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’UE, bien que ce droit à l’oubli n’ait pas été spécifiquement contredit par la loi française Doyen Avocat

5. L’affaire Lambert (2014-2019) – Droit de mourir et fin de vie

    • Contexte : Dans cette affaire très médiatisée, les tribunaux français, y compris le Conseil d’État, ont statué sur l’arrêt des traitements d’un patient en état végétatif, déclenchant un large débat sur le droit de mourir et la fin de vie en France.
    • Conséquence législative : Cet arrêt a précipité la révision de la loi Léonetti, aboutissant à la loi Claeys-Léonetti de 2016, qui clarifie le droit de ne pas subir d’obstination déraisonnable et autorise la sédation profonde et continue pour les patients en fin de vie​.

 

En conclusion, bien que son rôle principal soit d’appliquer le droit, elle contribue à l’adaptation et à la précision des règles juridiques et comble les lacunes laissées par le législateur. Elle demeure cependant subordonnée aux lois votées par le Parlement, qui peut en dernier recours modifier les règles jurisprudentielles.

SECTION 3 – La doctrine

La doctrine regroupe l’ensemble des travaux des juristes, qu’ils soient théoriciens (universitaires, chercheurs) ou praticiens (avocats, magistrats, etc.). Ces professionnels du droit produisent des écrits (livres, articles, thèses) qui analysent, commentent et critiquent les règles juridiques, les textes législatifs et la jurisprudence. La doctrine peut parfois être divisée en plusieurs courants de pensée, selon les interprétations et orientations des juristes.

Rôle :

  • Bâtisseur du droit : La doctrine a un rôle de synthèse et d’explication du droit. Elle contribue à rendre le droit plus accessible en vulgarisant et clarifiant des notions complexes. Les travaux doctrinaux permettent une meilleure compréhension des règles juridiques pour les étudiants, les praticiens et les citoyens.
  • Interprétation du droit : La doctrine aide à interpréter les textes législatifs et les décisions de justice (jurisprudence). Ce rôle est particulièrement important car les lois peuvent parfois être ambiguës ou nécessiter une interprétation pour les adapter aux situations concrètes. En ce sens, la doctrine sert souvent de guide pour les juges et les avocats.
  • Critique du droit : La doctrine a aussi un rôle critique. Elle peut remettre en question l’opportunité ou la pertinence des textes législatifs, ainsi que certaines décisions jurisprudentielles. Cette critique contribue à l’évolution du droit en mettant en lumière les imperfections, les lacunes ou les incohérences du système juridique.

SECTION 4 – L’USAGE

L’usage se définit comme une pratique habituelle adoptée dans une entreprise, conférant aux salariés un avantage supplémentaire par rapport à ce qui est prévu par la loi, la convention collective ou le contrat de travail. Il s’agit d’un bénéfice acquis que l’employeur a accordé aux employés de manière répétée et constante, et qui est considéré comme étant intégré aux relations de travail.

Caractéristiques :

  • Un usage doit répondre à trois critères pour être reconnu juridiquement :
    • Constance : Il doit être suivi de manière régulière et répétée.
    • Fixité : Il doit être défini de façon claire et stable.
    • Généralité : Il doit concerner l’ensemble ou une catégorie spécifique de salariés dans l’entreprise.

Les usages peuvent donc conférer des droits aux salariés, même s’ils ne sont pas formalisés par un texte, et peuvent être remis en cause uniquement sous certaines conditions, notamment par un dénoncement formel de l’employeur

 

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