Obligation solidaire : solidarité active et passive

L’obligation solidaire : 

La solidarité est une modalité particulière des obligations plurales qui empêche tantôt la division de la créance (on dira que la solidarité est active), tantôt la solidarité passive. Dans tous les cas, la solidarité ne se présume pas (article 1310).

1.  La solidarité active :

a.  Définition et preuve :

C’est celle qui existe entre créanciers et qui permet d’exiger et de recevoir le paiement de toute la créance. Le paiement fait à l’un des créanciers libère le débiteur à l’égard des autres créanciers (article 1311).

Cette solidarité ne provient jamais de la loi. Elle ne peut résulter que de la stipulation expresse d’un contrat ou éventuellement d’un testament rédigé par le défunt. Ex : contrat de compte-joint qui existe entre les époux. Il y a une confiance réciproque entre eux. La stipulation de la solidarité autorise chacune des époux en tant que créancier à obtenir du banquier la restitution des fonds qui ont été placés sur le compte joint. Il faut donc une confiance mutuelle.

Cette solidarité est peu pratiquée en pratique.

Autrefois, la preuve de la solidarité était soumise à des conditions sévères. Le titre devait donner expressément à l’un des créanciers le droit de demander le paiement total de la créance. La jurisprudence appliquait à la lettre cette exigence (1ère civ. 27 avril 2004).

Le nouvel article 1311 n’a pas reconduit cette exigence. On peut donc considérer que l’obtention de l’intégralité de la créance par l’un des créanciers n’est plus subordonnée à une solidarité active expressément mentionnée.

b.  Effets principaux et secondaires

Concernant les effets principaux de la solidarité active, ils découlent du fait que l’on considère que la créance est indivisible. Chacun des créanciers peut demander le paiement de toute la créance. Le paiement fait à l’un des créanciers libère le débiteur à l’égard de tous les autres créanciers. Le débiteur est en droit de payer le créancier de son choix tant qu’il n’est pas poursuivi par l’un d’eux (article 1311 alinéa 2).

Concernant les effets secondaires, ils reposent sur la théorie de la représentation mutuelle. Les créanciers, dans la mesure où ils sont solidaires, sont censés se représenter mutuellement donc des effets découlent de cette situation. Il y a un intérêt commun entre eux donc ils sont mandataires les uns des autres s’agissant du recouvrement de la créance.

Conséquences de la théorie de la représentation mutuelle :

      Tout acte qui interrompt ou suspend la prescription à l’égard de l’un des créanciers solidaires va profiter aux autres créanciers (article 1312). Ex : assignation du débiteur. Cette solution suppose qu’il existe une solidarité entre les créanciers. Com 28 septembre 2018 : refus d’appliquer la solution car la CC estime que la solidarité active, qui ne peut pas se présumer, n’existait pas.

      La mise en demeure qui est faite au débiteur par l’un des créanciers produit effet à l’égard des autres.

      En cas de procédure collective du débiteur, la déclaration régulière de la créance qui est faite par l’un des créanciers profite aux autres.

Toutefois, la représentation mutuelle ne s’étend pas aux actes ou aux évènements qui entrainent l’extinction sans paiement de la dette (ex : remise de dette). Selon l’article 1350-1, la remise de dette ne concerne que la part du créancier concerné donc le débiteur demeure tenu de la part qui n’a pas été effacée.

c.  Rapports entre créanciers solidaires

Entre les créanciers solidaires, la créance se divise. Une fois que l’un des créanciers a reçu le paiement, il en doit compte aux autres. Il doit leur donner la part qui leur revient. Il a agi dans l’intérêt commun en obtenant la créance donc il faut la répartir ensuite. La répartition se fera proportionnellement, au prorata des droits de chacun des créanciers (soit proportionnellement, soit à parts égales).

Ceux qui n’ont pas reçu leur part bénéficient d’un recours contre le créancier accipiens (celui qui a tout reçu).

2.  La solidarité passive :

a.  Définition, source et preuve

La solidarité passive est une modalité qui vient s’ajouter à une dette unique et qui empêche sa division entre plusieurs débiteurs. Grâce à cette modalité, le créancier va pouvoir exiger de l’un quelconque des débiteurs la totalité de la dette. Le paiement fait par l’un des débiteurs va libérer les autres (article 1313). C’est donc une garantie pour le créancier.

Concernant les sources, la solidarité passive est légale ou conventionnelle (article 1310). Mais elle peut aussi découler d’un usage ou d’une coutume. A partir du moment où il y a un intérêt commun entre les débiteurs et qu’on est en matière commerciale, on estime que la solidarité peut découler de ces circonstances.

La solidarité passive est légale en matière de cession de contrat. Ex : cession d’un bail commercial. Un commerçant locataire cède son bail à un commerçant qui prendra sa suite. L’article 1216-1 prévoit que le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat donc il sera solidairement tenu envers le propriétaire au titre des loyers échus après la cession du bail. Autre exemple en matière de cession de dettes, le débiteur originaire est tenu solidairement au paiement de la dette (article 1237-2). Enfin, en matière de mariage et de PACS, la loi prévoir que toute dette contractée par l’un en vue de l’entretien du ménage ou de l’éducation des enfants oblige l’autre (article 220).

S’agissant de la preuve en matière de solidarité passive, avant la réforme de 2016, elle devait être expressément stipulée. Mais la jurisprudence n’a jamais appliqué cette règle avec rigueur. Même si la mention de solidarité de figure pas dans l’acte, la jurisprudence estimait que la solidarité peut être déduite de la volonté des débiteurs voire de l’économie du contrat.

C’est pourquoi le nouveau texte se contente d’indiquer la solidarité ne se présume pas. Il n’exige plus une mention expresse de la solidarité. Depuis un arrêt de 1920, la jurisprudence décide que la solidarité doit être présumée en matière commerciale.

b.  Effets principaux et secondaires

Dans les rapports du créancier avec les codébiteurs, la solidarité peut produire des effets principaux et des effets secondaires.

Les effets principaux reposent sur deux principes complémentaires :

       Les codébiteurs sont tenus de la même dette

       Chaque codébiteur est lié au créancier par un rapport d’obligations qui lui est propre.

Conséquences concernant le paiement de l’obligation solidaire :

       Le créancier est en droit de réclamer le paiement de toute la dette à l’un quelconque des débiteurs (article 1313).

       Le débiteur ne peut pas opposer le bénéfice de division (exception de division).

       Les poursuites exercées par le créancier contre le débiteur de son choix ne l’empêche pas d’agir contre les autres car il y a pluralité d’obligation

       Le paiement total effectué par l’un des débiteurs libère les autres.

       En cas de non-paiement, les codébiteurs répondent solidairement de l’inexécution, c’est-à-dire qu’ils peuvent tous être condamnés à des Dommages et Intérêts (article 1319).

       L’obligation de l’un des débiteurs eut être assortie d’une condition ou d’un terme, à la différence de l’obligation des autres.

S’agissant de l’opposabilité des exceptions (moyens de défense que l’un des débiteurs pourra faire valoir), le codébiteur poursuivi par l’un des créanciers ne peut opposer que les exceptions communes à tous les codébiteurs et aussi celles qui lui sont personnelles.

Concernant les exceptions communes, il s’agit des exceptions inhérentes à la défense : la nullité, la résolution ou l’exception d’inexécution, le paiement ou la dation en paiement, une novation, la prescription de la dette ou le terme qui n’est pas encore échu.

Concernant les exceptions personnelles au débiteur poursuivi, il s’agit d’une exception qui affecte uniquement le lien d’obligation qui unie ce débiteur au créancier : nullité de son engagement pour incapacité ou vice du consentement, octroi d’un délai de paiement, condition suspensive qui n’est pas encore réalisée, compensation.

L’exception personnelle a pour effet de libérer le débiteur mais la part des autres ne doit pas être alourdie. La loi décide donc que les autres peuvent obtenir une réduction du montant de la dette totale à hauteur de la part du débiteur qui a été libéré. Ex : remise de dette à un codébiteur ou confusion (le créancier hérite du codébiteur défunt).

Une remise de solidarité suppose que le créancier décide de poursuivre l’un des codébiteurs qu’à hauteur de sa part dans la dette.

En cas de confusion, il y a réunion de 2 qualités contradictoires sur la tête d’une même personne. Ex : un enfant prête 10 000 euros à ses deux parents, le père décède et l’enfant hérite de son père. Il y a réunion sur la tête de l’enfant de la qualité de créancier qu’il avait ab initio mais aussi la qualité de débiteur (il est tenu des dettes de son père). L’autre codébiteur est libéré en partie de la dette.

Les effets secondaires : les effets solidaires sont justifiés traditionnellement par l’existence d’une représentation mutuelle entre les codébiteurs solidaires ou par l’unicité de la dette. Cela signifie que certains actes vont produire un effet collectif envers les débiteurs. Le code civil attache cet effet collectif en premier lieu en matière de prescription et à la mise en demeure.

S’agissant de la prescription, tout acte qui interrompt la prescription émanant du créancier va interrompre la rescription à l’égard de l’ensemble des codébiteurs solidaires (article 2245).

La même condition est retenue lorsqu’il y a une reconnaissance de dette, à partir du moment où l’un des codébiteurs reconnait l’existence de la dette on estime que tous les codébiteurs ont reconnu : interruption de la prescription.

S’agissant de la mise en demeure, l’art. 1314 s’applique. La mise en demeure adressée par le créancier

à l’un des débiteurs va faire courir les intérêts de la dette à l’égard des autres codébiteurs. On trouve également en jurisprudence des solutions qui retiennent l’effet collectif :

       Le jugement rendu à l’égard de l’un des codébiteurs : La jurisprudence décide que même si le créancier n’a assigné qu’un seul codébiteur, le jugement qui a été prononcé à son encontre est opposable aux autres. Le jugement d’admission a autorité de chose jugée envers les autres codébiteurs.

       La transaction qui a été conclue entre un codébiteur et le créancier est opposable aux autres. Chacun des codébiteurs peut se prévaloir des transactions intervenues si par exemple elle décide qu’il est mis fin à l’instance en cours. Cela est favorable à l’un d’eux donc opposable aux autres.

       En matière de bail, la jurisprudence décide que le congé (refus de renouvellement du bail) qui est signifié à l’un des colocataires est opposable aux autres si l’engagement des colocataires est un engagement solidaire. Sinon, cette solution ne s’applique pas – 3ème civ. 21 octobre 1992 puis 3ème civ. 19 février 2014. Si le refus de renouvellement n’a été signifié qu’à l’épouse en tant que codébiteur solidaire, colocataire, il sera néanmoins opposable en cas de décès. Même si le congé n’a été notifiée qu’à l’épouse et que le décès de son mari intervient après, le décès sera opposable aux héritiers du couple. Le congé délivré a un effet collectif même s’il n’a pas été notifié à une partie des codébiteurs. On considère que même si le décès du codébiteur solidaire fait disparaitre l’effet principal de la solidarité pour les héritiers, le décès laisse subsister un effet secondaire qui est le congé. Cela est critiqué car les effets secondaires de la solidarité visent à faciliter l’exécution du contrat au profit du créancier. Normalement, la solidarité est une modalité qui va simplifier le recouvrement de la créance pour le créancier alors que dans ce cas, le congé opposable concerne l’extinction du contrat qui va se faire parfois au détriment du locataire ou des colocataires, ces derniers n’étant pas en mesure de faire valoir leurs droits (par exemple, le droit de préemption). 

c.  Rapports entre codébiteurs solidaires

Une fois que la dette a été payée, il est normal que chacun des codébiteurs contribue à hauteur de sa part. Le débiteur qui a payé toute la dette au créancier ou qui a payé un montant supérieur à sa part dispose d’un recours contre les autres mais ce recours se fait dans la limite de leur part respective.

Ex : 3 codébiteurs solidaires A, B et C. A a payé 15 000 euros : il dispose d’un recours en contribution contre B et C chacun pour sa part (5000). A ne pourra réclamer à B et C que la somme de 5 000. Si l’un d’eux est insolvable (B), il aura le droit de réclamer plus à C (5 000 + la moitié de la part de la B qui est insolvable = 7 500).

Par dérogation, la règle de la répartition de la charge entre codébiteurs ne s’applique pas quand la dette est une affaire qui ne concerne que l’un des codébiteurs solidaires. Les autres ne sont pas intéressés à la dette (article 1318).

Dans cette hypothèse, seul le débiteur intéressé à la dette va supporter la charge de la dette. Pas de recours en contribution contre ses coobligés. Si c’est un autre qui a payé la dette, le codébiteur solvens pourra réclamer au codébiteur seul intéressé la totalité de la dette.

Cette situation se rencontre quand la solidarité a été stipulée à titre de garantie exclusive par le créancier.

Le garant apparait comme un codébiteur solidaire adjoint au codébiteur principal.

 

Ex : un gérant se déclare solidairement responsable du paiement des loyers échus ou à échoir s’agissant du bail consenti à la société qu’il dirige. Dans cette hypothèse, on a un codébiteur principal (la société) mais aussi un codébiteur adjoint à la société (son gérant).

Autre exemple : un parent se déclare co-emprunteur d’un prêt consenti à l’un de ses enfants. Le père se déclare codébiteur et n’est que codébiteur adjoint. Si le père a dû rembourser le crédit, il aura la possibilité de demander à son enfant le remboursement de l’intégralité de ce qu’il a payé, tout comme le dirigeant de la société.

d.  Extinction

La solidarité passive prend fin dans trois cas :

       Quand il y a paiement de la dette

       Quand il y a décès d’un codébiteur : le décès d’un codébiteur solidaire produit une division de la part du défunt entre ses héritiers si une clause d’indivisibilité complétant la solidarité n’a pas été stipulée à l’acte. L’intérêt de cette clause est qu’elle prolonge les effets de la solidarité au-delà du décès. En l’absence d’une telle clause, si seulement une clause de solidarité, le décès du codébiteur solidaire va entrainer de plein droit la division de la dette concernant sa part entre les héritiers. Le créancier ne pourra pas réclamer aux héritiers le paiement de l’intégralité de la dette. Mais la solidarité ne cesse pas entre les codébiteurs survivants (3ème civ. 19 février 2014).

       La remise de solidarité : le créancier qui reçoit paiement de l’un des codébiteurs solidaires et qui lui consent une remise de solidarité conserve sa créance contre les autres, déduction faite de la part du débiteur qu’il a déchargé. C’est simplement envers l’un des codébiteurs que la solidarité prend fin mais elle existe toujours à l’égard de ceux qui n’ont pas bénéficié de la remise. Cet article signifie que : 

Ø    Le créancier peut octroyer une remise à un seul des débiteurs à condition que celui-ci ait payé sa part dans la dette. 

Ø    La remise de solidarité a pour effet de libérer définitivement le solvens 

Ø    Les autres codébiteurs demeurent tenus solidairement de la dette mais il va falloir déduire la part du débiteur qui a été déchargé au titre de la solidarité. Si la remise de solidarité a été consentie sans paiement, il faut considérer que : 

§      Le créancier s’interdit simplement de poursuivre le codébiteur bénéficiaire de la remise de solidarité pour le tout. Il ne peut pas lui demander plus que sa part dans la dette. 

§      Les autres codébiteurs demeurent tenus pour le tout car il n’y a pas eu de paiement. 

§      S’agissant la contribution à la dette, en cas d’insolvabilité de l’un des codébiteurs restés solidaires, la part de ce codébiteur insolvable sera répartie entre les autres codébiteurs qui sont restés solidaires, et aussi envers celui qui a bénéficié de la remise de solidarité (article 1317 alinéa 3). La remise de solidarité ne vaut que dans les rapports entre le codébiteur gratifié et le créancier. 

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