LA CONTREFAÇON
Contrefaire c’est exploiter l’œuvre d’autrui sans autorisation. Cela amène le contrefait à opérer des saisies, à intenter un procès en indemnisation et en cessation des actes contrefaisants. Contrefaire est une infraction pénale. Mais comme pour toute infraction la victime a une option : agir au pénal par voie de plainte avec constitution de partie civile ou par voie de citation directe, ou agir au civil. En pratique, les inconvénients d’une action pénale par rapport au choix de l’exercice de l’action en contrefaçon au civil sont tels que, dans la plupart des cas, on ne poursuit au pénal que les contrefacteurs « professionnels », ceux qui font commerce de fabriquer et de commercialiser des faux (faux Vuitton, fausses Rollex etc…). Cependant, avec internet, il semble que la contrefaçon devienne une véritable manne pour des organisations mafieuses, ce qui pourrait conduire à une multiplication des procédures pénales. Selon le journal Le Monde (27 déc 2002, p 13) 5 à 7 % du commerce mondial est contrôlé par des organisations mafieuses. Aujourd’hui c’est même de 10 % dont on parle.
On examinera les textes applicables, puis les avantages et les inconvénients d’agir au pénal et on terminera par les voies de saisine au pénal (si on choisit la voie civile il suffit d’assigner devant la juridiction compétente).
- 1 : L’application des textes relatifs au droit d’auteur : article 331-1 et s CPI :
La loi du 29 octobre 2007, transposant une directive européenne de 2004, a encore renforcé les sanctions et les moyens de lutte contre la contrefaçon. On observera que, comme en droit des brevets, il est prévu de confier le contentieux de la Propriété littéraire et artistique à un nombre restreint de TGI où seront en poste des magistrats spécialisés. On citera ici quelques unes des dispositions permettant de lutter contre la contrefaçon en suivant l’ordre chronologique avant de voir quelques exemples.
- A) Les textes :
- L’article L 331-1-1 et s CPI permet notamment des saisies-conservatoires de comptes bancaires, de biens mobiliers ou immobiliers et l’accès à des données bancaires, alors qu’auparavant seul le droit commun permettait d’y parvenir.
- L’article L 331-1-2 permet l’obtention par le juge, mais seulement au fond et pas dans le cadre d’une mesure conservatoire, l’obtention d’informations qui permettront de remonter les filières (la propriété industrielle sera plus concernée que la PLA).
- L’article L 331-1-3 assouplit les règles d’indemnisation : on prend en compte le manque à gagner du contrefait et le bénéfice fait par le contrefacteur. Mais, sauf à ordonner une expertise par un comptable, mesure qui prend du temps et dont on n’est pas certain qu’elle débouchera sur des éléments d’appréciation fiable, le juge peut aussi fixer de manière forfaitaire les dommages-intérêts ; le système américain des dommages-intérêts punitifs n’a cependant pas été retenu.
- Le juge peut ordonner que les produits contrefaisants soient retirés de la circulation (L 331-1-4), la publication du jugement de condamnation, la confiscation des recettes provenant de la contrefaçon. La contrepartie et la sauvegarde du défendeur consistent pour le juge à ordonner que le demandeur constitue une garantie préalable (ex. la consignation d’une somme d’argent) (L 332-1).
- L’article 335-1 CPI concerne la constatation des infractions par les officiers de police judiciaire
- Les articles 335-2, 3 et 4 CPI répriment l’édition, la fixation, la communication au public, la diffusion, la reproduction et la représentation d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou un droit voisin.
- L’article 335-5 concerne la possibilité de fermer l’établissement ayant servi à commettre l’infraction.
- Les articles 335-6 et 7 concernent les confiscations, le fait de retirer des objets contrefaisants des circuits commerciaux, ou de les détruire. On observera que même si le tribunal n’entre pas en voie de condamnation il peut ordonner la confiscation des marchandises contrefaisantes (Crim 7 mai 2002, D 2002, 2127).
La confiscation des recettes (335-6) procurées par l’infraction est un cas intéressant. Il permet une indemnisation en fonction des recettes générées par la contrefaçon alors que en droit français, à la différence du droit américain, l’indemnisation obéit aux principes du droit civil et ne se mesure qu’en fonction de paramètres appréciés sur la tête de la seule victime : sont pris en compte le gain perdu et la perte qu’elle a subis («on répare tout le préjudice subi, mais que le préjudice »), indépendamment des gains du contrefacteur. Une question non tranchée était de savoir si un tribunal civil pouvait prononcer une confiscation ou si seules les juridictions pénales le peuvent ; le nouveau libellé (cf le mot « la juridiction » sans autre précision) semble faire incliner à une réponse positive.
- La réforme de 2006 posait, à l’origine, un problème d’efficacité. A l’inverse de ce qui était prévu dans d’autres pays les sanctions prévues pour le téléchargement illicite étaient minimes ; la pénalité prévue de 38 € par acte illicite était d’autant moins dissuasive que les chances de répression sont minimes, faute de moyens pour contrôler le réseau. L’invalidation de la disposition par le Conseil constitutionnel a ramené le téléchargement illicite au rang d’acte classique de contrefaçon, réprimé au même niveau. Cela ne changera pas grand chose à la répression effective, la vraie question étant celle des moyens de poursuite. Une circulaire ministérielle d’application de la loi est d’ailleurs venu préciser qu’en pratique les Parquets devront distinguer entre les téléchargeurs d’occasion et els autres, en faisant preuve de mansuétude dans leur réquisitions à l’égard des premiers.
- La réforme de la contrefaçon de 2007 a prévu une compétence exclusive au profit des TGI, ce qui écarte les tribunaux de commerce, les TI et les prud’hommes. Mais une mauvaise rédaction fait que la solution n’est pas certaine à ce jour CCE 2008, Alertes, n°34).
- B) Quelques exemples d’application :
Dans une affaire (TGI Epinal, ch corr, 24 oct 2000, CCE 2000, n° 25, obs Caron) relative à l’internet il s’agissait de fichiers musicaux MP3 contrefaisants. Le propriétaire du site qui pilotait les internautes grâce à des hyperliens a été condamné, non comme complice de l’internaute qui numérisait, mais comme auteur principal, sur le fondement de la « mise à disposition » (335-4)[23].
Autre exemple : la mise à disposition de logiciels désactivant les systèmes de protection est une infraction relevant de la contrefaçon (Paris 17 juin 2005, CCE 2006, n°3).
Et encore : le moteur de recherche qui laisse des entreprises proposer en ligne des biens contrefacteurs ne peut être poursuivi pour contrefaçon, mais il commet une faute pour ne pas avoir mis en place un dispositif technique de protection des œuvres : TGI Paris 12 juillet 2006, CCE 2006, n°149.
Toujours plus : les éléments graphiques d’une page web sont protégés par le droit d’auteur : TGI Paris 13 mars 2002, Légipresse 2002.I.89 ; mais si l’exploitant du site ne s’est pas fait transmettre les droits par le créateur il ne pourra attaquer l’imitateur qu’en concurrence déloyale : Aix, ch com, 17 avril 2002, Légipresse 2002.I.89.
On observera qu’il semble admis que la violation du droit moral est punissable sur le terrain des articles 335-1 et s. (Crim 24 sept 1997, G P 1998,2, 529, note Leclerc et Paris 5 oct 1995, RIDA 2, 1996, 303) : « est sanctionnée pénalement toute atteinte portée aux droits d’auteur et en particulier au droit moral », solution réitérée à deux reprises par la chambre criminelle en 2002. Ce fondement vague de l’expression « toute atteinte » est critiquée par MM Lucas (Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, n°785) au nom du principe de la légalité des peines et des délits, qui exige, par protection des libertés, qu’au pénal les incriminations soient libellées de manière suffisamment précises.
C) Cas particulier de la responsabilité du fournisseur de lien hyper texte :
Un lien hyper texte peut engendrer une responsabilité : ainsi le fait de pointer vers un site néo nazi (TGI Paris, réf, 20 mai 2000, Expertises2000, 107). Il peut surtout générer un acte de concurrence déloyale (unfair compétition aux USA ; passing off au Royaume Uni) ou un acte de contrefaçon de marque ou de droit d’auteur, ou de droit sui generis de producteur d’une base de données.
- a) Lien simple : (surface linking)
La radio Europe 2 avait créé sur son site un lien vers un autre site dénigrant son concurrent, la radio NRJ. Elle a été condamnée pour concurrence déloyale : Paris 19 sept 2001, Légipresse 2001.I.137.
Rappel (voir supra) : le lien renvoyant vers un site dont l’adresse contrefaisait une marque dénominative. L’auteur de lien a été condamné pour contrefaçon et n’a pu se prévaloir du fait justificatif que constitue la référence nécessaire à la marque (cf art L 713-6 CPI) : Paris 19 oct 2001, P.A. 9 juillet 2002, p23. Tout dépend, au cas par cas, du contexte, du risque de confusion.
Dans 2 affaires des liens permettaient la reproduction de fichiers musicaux en MP3ont été l’occasion de condamnations pour contrefaçon de droit d’auteur : l’auteur de l’infraction a été condamné au pénal, même pas comme complice de l’auteur de la numérisation, mais comme auteur principal de l’infraction : TGI Epinal 24 oct 2000 Légipresse déc 2000, p 19. Dans une autre affaire de renvoi vers un site permettant du téléchargement illicite le prévenu a été condamné en tant que complice : Aix 10 mars 2004, GP 23-25 janvier 2005, p 41.
De même le site agrégateur de liens est responsable si lien renvoie sur un site violant la vie privée : TGI Paris réf 26 mars 2008, D 2008, 1051.
- b) Lien profond
deep linking (lien profond). A l’inverse du lien simple (= surface linking) qui renvoie à la 1ère page d’un autre site, le lien profond renvoie à une page plus avancée.
Aff Keljob : il s’agissait d’un procès entre deux sociétés qui pratiquaient du recrutement en ligne. Pour augmenter les offres d’emploi le défendeur avait créé un lien sur les pages internes d’un concurrent. Ainsi les offres d’emploi du site pointeur en étaient elles augmentées. Le demandeur, la société Cadreemploi, soutenait qu’il y avait contrefaçon de la base de données qu’il avait constituée et actes de concurrence déloyale. En 1ère instance (trib com Paris, réf, 26 déc 2000, CCE mars 2001, n°26, obs Caron), il a obtenu gain de cause, mais en appel l’ordonnance a été infirmée (Paris 25 mai 2001 www.droit-technologie.org, obs Verbiest) au motif que le renvoi n’était que ponctuel et que l’internaute savait que l’offre d’emploi émanait d’un tiers lorsque l’internaute choisissait de voir en détail une offre pointée. Au fond (TGI Paris 5 sept 2001) Keljob a été condamné pour extraction et utilisation d’une partie substantielle de la base de données, mais le juge a décidé que les liens profonds n’étaient pas constitutifs de concurrence déloyale.
Dans une autre affaire (aff Stepstone Trib com Nanterre 8 nov 2000 cf site www.legalis.net) l’auteur du lien profond a été absout de toute espèce de responsabilité. La question n’est donc pas tranchée. Il faudra en la matière se garder des généralisations hâtives : ce sera souvent une question d’espèce.
- 2 : Avantages et inconvénients de la voie pénale :
La victime de la contrefaçon a le choix entre la voie pénale ou la voie civile, sachant que le cumul n’est pas possible : electa una via. Si le choix de la voie civile est irrévocable, celui de la voie pénale, par faveur pour le prévenu, est susceptible de rétractation ; il est donc permis d’avoir un remords et d’abandonner les poursuites pénales pour se cantonner aux poursuites civiles.
Les avantages de la voie pénale sont les suivants : la possibilité d’obtenir la condamnation pénale du contrefacteur, en sus des dommages-intérêts auxquels l’exercice de l’action civile donne droit, le fait que c’est la police qui recherchera les éléments de preuve de la contrefaçon, condamnation aux peines accessoires
Mais les inconvénients de la voie pénale sont nombreux : risque de poursuite pour dénonciation calomnieuse ou téméraire (amende), fixation d’une consignation financière (art 88 CPP), nécessité de prouver la mauvaise foi du contrefacteur, exigence qui, en pratique, ne concerne que le complice de l’auteur de l’infraction (voir infra pour plus de détails), impossibilité d’avoir une procédure en interdiction rapide du type référé, lenteur des instructions pénales, recours presque systématique à une expertise, d’où perte de temps et coût financier.
Bref, il est moins risqué et plus rapide de saisir les juridictions civiles. Cela d’autant plus qu’en pratique la contrefaçon n’est pas toujours évidente : il faut reconstituer une chaîne de droits, interpréter un contrat, prouver l’originalité de l’œuvre, savoir s’il n’y a pas des antériorités sur l’œuvre, etc…Compte tenu de ces aléas, la voie pénale n’est à envisager que dans les cas où, de toute évidence, on a affaire à des adversaires de mauvaise foi.
- 3 :Voies de saisine au pénal :
Comment exercer l’action au pénal ? Ici également il faut faire un choix. Pour les affaires frappées du sceau de l’évidence point n’est besoin de déclencher une instruction pénale, car on sait que la nomination d’un juge d’instruction rendra la procédure longue (parfois de plusieurs années). Mais dès que l’on cherche à démanteler un réseau une instruction est indispensable.
- Saisine d’une juridiction d’instruction : plainte avec constitution de partie civile. La plainte déclenche l’action publique : elle prend la forme d’une simple lettre qui n’obéit à aucun formalisme. En pratique il faut un avocat, car lui seul peut avoir accès au dossier d’instruction (art 114 CPP). Lorsque la consignation a été versée, le doyen des juges d’instruction saisi par la plainte va transmettre le dossier au Procureur de la République afin que celui-ci fasse ses réquisitions. Puis le dossier est transmis au président du TGI qui désignera un juge d’instruction ou rendra une ordonnance de refus d’informer.
- Saisine d’une juridiction de jugement : elle se fait par voie de citation directe avec constitution de partie civile (mais il faut dans ce cas connaître d’emblée qui est le contrefacteur pour pouvoir le désigner).