L’articulation entre les sources nationales en droit administratif
Dans notre système juridique, la hiérarchie des normes est un principe fondamental qui organise et régit le droit français. Ce système est pyramidal et implique que la norme de niveau supérieur s’impose systématiquement à celle de niveau inférieur.
A. Les rapports entre constitution, lois et règlements
La Constitution est théoriquement au sommet de la pyramide et toutes les autres normes doivent lui être conformes. La réalité jurisprudentielle est beaucoup plus nuancée.
Jusqu’à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 20085 la suprématie de la Constitution n’avait qu’une portée limitée.
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Jusqu’au 1er mars 2010, le contrôle de constitutionnalité des lois était enfermé. Il s’agissait d’un contrôle a priori qui ne pouvait être exercé avant la promulgation de la loi par le Président de la République dans un délai de 15 jours maximum.
Ce contrôle est facultatif sauf pour les lois organiques.
De plus le conseil constitutionnel refuse de contrôler les lois référendaires (décision du 6 novembre 1962). Ce contrôle ne peut être exercé qu’à la demande d’un nombre limité de personnes : Président de la République, Premier Ministre, les présidents des deux chambres et 60 députés ou 60 sénateurs.
Ce contrôle est extrêmement encadré.
De très nombreux textes n’étaient pas soumis à un contrôle et le Conseil d’État estimait comme la cour de cassation que la loi promulguée était un acte juridiquement parfait et incontestable. Le juge ordinaire, administratif et judiciaire, a toujours refusé d’exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi promulguée, que ce soit directement ou indirectement. Vedel : « la loi promulguée est un acte juridiquement parfait et incontestable »
Il y a un refus du CE d’exercer à l’occasion d’un litige la constitutionnalité d’une loi que ce soit directement ou indirectement. Ceci a été affirmé très clairement sous la IIIème république dans un arrêt du 6 novembre 1936 « l’arrêt Arrighi ». Rappeler dans un arrêt du 28 octobre 1972, faculté des lettres de Paris. Arrêt du 22 octobre 1979, arrêt UDT. Arrêt du 29 octobre 1989 arrêt Roujanski.
Le Conseil d’État considère toujours que la loi, expression de la volonté générale ne peut être soumise au contrôle du juge administratif.
L’expression la plus remarquable de ce refus de contrôler la constitutionnalité des lois s’exprime à travers la théorie dite de la loi écran. le Conseil d’État a toujours affirmé très clairement qu’il exerçait un contrôle de la constitutionnalité des règlements et plus particulièrement des décrets d’application. Un décret peut être annulé pour non-conformité à la constitution.
Mais là encore la supériorité de la constitution n’a qu’une portée limitée.
A cet égard, il convient de distinguer selon qu’il s’agisse de décrets d’application, de règlements autonomes.
Tout d’abord, en ce qui concerne les décrets d’application, le système de la hiérarchie des normes juridiques devrait logiquement permettre de contester la constitutionnalité d’un règlement d’application.
La constitution étant la norme suprême, tout acte, tout règlement qui lui est contraire est en principe illégale.
Mais on constate que le conseil d’état, lorsqu’il est amené à se prononcer sur la constitutionalité d’un règlement d’application, recherchait dans un 1er temps si ce règlement était strictement conforme ou non à la loi qu’il avait pour objet de préciser.
Le Conseil d’État va rechercher si le décret pris par le 1er ministre est conforme on non.
Si le règlement apparaît comme strictement conforme à la loi c’est-à-dire comme une stricte mesure d’application de la loi, le Conseil d’État va refuser d’exercer un contrôle de la constitutionnalité du décret.
En effet il considère qu’un tel contrôle aboutit à exercer un contrôle de la constitutionnalité de la loi. Cela même si la loi semble contraire à la constitution.
- -Arrêt du 22 octobre 1979, l’arrêt union démocratique du travail.
- -Arrêt du 29 octobre 1989, c’est l’arrêt roujanski.
Si en revanche le règlement d’application est considéré comme contraire à la loi, alors le juge annule le règlement d’application.
Cela signifie que la régularité des décrets d’application est appréciée par rapport à la loi et non par rapport à la constitution.
Ce qui signifie que dans notre juridique purement interne, la loi est toujours la norme de référence. le Conseil d’État a toujours considéré que son office était de veiller à l’application de la loi. Adage selon lequel « le juge administratif est le serviteur de la loi et le censeur du règlement.».
Toutefois il faut préciser 2 choses :
Le conseil d’état interprète toujours les dispositions d’une loi comme n’ayant pas entendu écarter les dispositions de la constitution.
- Arrêt CE 17 février 1950, arrêt Dame Lamotte
- Arrêt CE 19 octobre 1962, arrêt Canal
Le juge administratif considère parfois que l’écran législatif est transparent. Il en va ainsi lorsque la loi sur le fondement de laquelle le règlement a été pris se borne à renvoyer à l’autorité règlementaire le soin d’édicter les règles, sans contenir elle même la moindre règle de fond.
Dans ce cas, le conseil d’état sanctionne alors l’inconstitutionnalité des dispositions du règlement.
L’arrêt de principe est celui du Conseil d’État du 17 mai 1991 : l’arrêt quintin. Ce cas est rare.
Aujourd’hui le conseil constitutionnel censure l’incompétence négative du parlement, lorsque celui-ci n’exerce pas sa compétence normative.
La norme de référence est bien la loi, et non la constitution.
Hors quand il s’agit des règlements autonomes, la supériorité de la constitution prend alors toute sa signification. Par définition, la loi ne fait pas écran entre la constitution et le règlement et le juge annule les règlements autonomes qui ne sont pas conforme à notre constitution.
La loi est la source essentielle de la légalité, c’est par rapport à la loi que la régularité des actes est contrôlée. S’est donc développé un contrôle a posteriori, ouvert aux citoyens. Il y a eu plusieurs tentatives (1990,1993) et c’est en 2008 que cela va aboutir.
Instauration d’un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois. Cette réforme est entrée en application que le 1er mars 2010.
Aujourd’hui, il y a 2 mécanismes de contrôle :
Il y a toujours le mécanisme initial, c’est-à-dire le contrôle a priori définit par l’article 61 de la Constitution qui doit être exercé avant la promulgation de la loi. Et c’est un contrôle qui ne peut être exercé qu’à la demande du président, du 1er ministre, des présidents des assemblées, des 60 députés et 60 sénateurs.
Et puis il y a parallèlement un nouveau dispositif, le contrôle a posteriori, qui est défini par le nouvel article 61-1 de notre constitution. Le contrôle est exercé par le conseil constitutionnel. C’est le mécanisme dit de la question prioritaire de constitutionnalité et c’est un mécanisme qui est très proche de celui qui avait été imaginé en 1990 et en 1993.
Ce mécanisme permet à un simple justiciable au cours d’une instance aussi bien devant le juge administratif que devant le juge judiciaire sauf devant la cour d’assise de contester une loi déjà promulguées
Dans ce cas, le conseil constitutionnel ne peut se prononcer que sur renvoi soit du Conseil d’État, soit de la cour de cassation. La loi organique du 10 décembre 2009 précisée par un décret du 16 février 2010 a défini l’architecture du dispositif et les principales règles de procédures applicables.
La QPC ne peut porter que sur une disposition législative portant atteinte aux droits et libertés que la constitution garantis. Cela signifie que seule une disposition législative peut être contestée. Il ne peut donc s’agir que d’un texte adopté par l’autorité détenant le pouvoir législatif. Ce sera un texte voté par la parlement c’est-à-dire une loi organique, une loi ordinaire ou une ordonnance ratifiée par le parlement.
La doctrine dans sa quasi-totalité considère que les lois référendaires ne peuvent faire l’objet d’un tel contrôle. Le conseil constitutionnel refuse d’exercer un contrôle a priori, et donc on suppose qu’il refusera d’exercer un contrôle a posteriori. A contrario, les ordonnances de l’art 38 non ratifiées, les décrets, les arrêtés réglementaires qui sont des actes administratifs ne peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Il faut en outre que la loi porte atteinte aux droits et aux libertés garantis par la constitution. Cette exigence semble limiter considérablement le champ de la QPC. En effet une telle question ne peut être lieu pour n’importe quelle violation de la constitution.
Ces dispositions ont été initialement considérées en outre comme une source de difficultés. En effet cela amène à distinguer entre les droits et libertés garantis par la constitution et les autres. Ces dispositions semblaient indiquer que le juge fasse un tri entre ce qui relevait des droits et libertés et ce qui leur est étranger.
Les premières décisions de renvoi au conseil constitutionnel, qu’il s’agisse de la cour de cassation, du conseil d’état, montrent que les deux plus hautes juridictions ne font pas un tel tri et qu’elles laissent le soin au conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point. Il y a déjà eu 220 renvois au conseil constitutionnel.
La QPC ne peut être invoqué qu’au cours d’une instance. On va évoquer comme moyen le fait qu’une décision prise à l’encontre d’une personne est contraire à la constitution. Ce peut être devant une juridiction relevant du conseil d’état ou de la cour de cassation, en première instance, en appel ou en cassation.
La QPC ne peut jamais être soulevée d’office par le juge.
La règle de l��ultra a et la règle de l’infra a : le juge ne peut pas statuer sur les moyens que l’on a soulevés mais sur tous les moyens que l’on a soulevé alors que le conseil constitutionnel considérait qu’il n’était pas lié par cette règle. C’est le justiciable qui doit soulever la QPC. La juridiction saisie doit se prononcer sans délai sur le bien fondé de la demande et dans l’hypothèse où le justiciable conteste également l’inconventionalité de la loi, la juridiction doit d’abord examiner l’inconstitutionnalité de la loi.
Pour éviter un encombrement du conseil constitutionnel et des manœuvres dilatoires un doit filtre a été mis en place. Le conseil constitutionnel ne peut être saisi que sur renvoi du conseil d’état ou de la cour de cassation. Les juridictions du fond ne peuvent saisir directement le conseil constitutionnel. De plus les 2 cours suprêmes n’ont aucune obligation de transmettre la QPC lorsqu’elles ont été saisies par les juridictions du fond.
La juridiction saisie ne doit transmettre la QPC que si 3 conditions sont remplies :
- – Il faut que la loi contestée soit applicable à l’affaire ou constitue le fondement de la poursuite. La solution du litige doit dépendre de l’examen de la QPC
- – La loi contestée ne doit pas déjà avoir été déclarée conforme à la constitution par le conseil constitutionnel sauf changement de circonstances aux vues desquelles il s’était prononcé. Ex de changement de circonstances : question de la garde à vue. La loi apparait désormais inconstitutionnelle.
- – La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.
Si les conditions sont remplies, la juridiction doit transmettre la question soit au conseil d‘état soit à la cour de cassation par une décision qui n’est pas susceptible d’aucun recours et sursoir à statuer.
Conseil d’état et cour de cassation ont 3 mois pour vérifier que la question a été posée selon la procédure prévue et qu’elle remplie les 3 conditions pour la renvoyer au conseil constitutionnel.
Le conseil constitutionnel doit se prononcer dans les 3 mois.
L’article 62 prévoit que la reconnaissance de l’inconstitutionnalité de la loi sur le fondement de l’article 61-1 implique l’abrogation de la loi.
La décision n’a pas d’effet rétroactif, elle ne joue que pour l’avenir. Pour éviter les inconvénients résultant de l’annulation d’une loi déjà promulguée et donc appliquée, le même article 62 précise que le conseil constitutionnel peut décider que l’abrogation prendra effet à une date ultérieure à sa décision et qu’il peut même déterminer les conditions et les limites « dans lesquelles les effets que la disposition législative a produit sont susceptibles d’être remis en cause ». Le conseil constitutionnel peut donc moduler les effets de sa décision pour éviter des atteintes excessives à l’insécurité juridique.
La déclaration d’inconstitutionnalité a un effet général. La disposition qui est censurée disparait complètement pour l’avenir.
Dans ses 1ères décisions, le conseil constitutionnel a apporté un certain nombre de précisions :
- – Décision dite cristallisation des pensions
- – Décision du 30 juillet 2010 sur le régime de droit commun de la garde à vue : le conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du CPP relatives à la garde à vue étaient contraires à la constitution. Mais pour autant et pour des raisons d’ordre public a considéré que l’abrogation des dispositions du CPP ne prendraient effet que le 1er juillet 2011 et qu’il appartenait au parlement d’ici là de modifier le CPP de façon à remédier à l’inconstitutionnalité. Le conseil constitutionnel impose la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue.
3 idées principales :
- – Le conseil constitutionnel considère que la déclaration d’inconstitutionnalité doit avant tout bénéficier au requérant, au justiciable à l’origine de la question, et à tous ceux qui avaient un contentieux en cours.
- – Le conseil constitutionnel estime qu’il ne peut pas se substituer au parlement.
- – Le conseil constitutionnel est soucieux d’éviter un vide juridique. A la recherche de solution transitoire dans l’attente de l’adoption d’un nouveau texte susceptible de remédier à l’inconstitutionnalité constatée.
La QPC est un mécanisme profondément original. Il n’y a aucun équivalent en droit comparé. La doctrine s’est emparée du sujet.
Avec cette révision constitutionnelle on va vers l’aboutissement d’un processus engagé en 1989 avec l’arrêt Nicolo. Pour la 1ère fois le Conseil d’État s’est affirmé comme juge de la loi. Mais juge de la conformité de la loi par rapport au traité. Il y avait une contradiction en ce sens que le juge écartait une loi contraire à un traité mais appliquait une loi contraire à la constitution.
La réforme de 2008 va probablement être l’occasion pour le conseil d’état de s’ériger en juge de la constitutionnalité des lois. Dans la pratique le Conseil d’État va être amené à juger la constitutionnalité des lois. Mais jusqu’à présent le Conseil d’État a fait preuve d’une prudence anormale. Il considère qu’il ne peut saisir le conseil constitutionnel que si la violation de la constitution est flagrante.
B. Les rapports entre lois, principes généraux du droits et règlements
Les règlements doivent être conformes aux principes généraux du droit. Il faut différencier les règlements autonomes et les règlements d’application.
Pour les règlements autonomes, ils doivent être conformes aux principes généraux du droit. Cela a été énoncé très tôt par le conseil d’état, arrêt 26 juin 1959, syndicat des ingénieurs conseil.
Les règlements d’application, en principe doivent être conformes aux principes généraux du droit. Mais le Conseil d’État considère que le législateur peut écarter l’application d’un principe général du droit.
Si un règlement d’application est conforme à une loi mais contraire à un principe général du droit, le règlement est néanmoins considéré comme légal.
Dans les années 1970, le professeur Chaput a développé une thèse expliquant que les principes généraux du droit avaient une valeur supra décrétale mais infra législative.