Les conditions juridiques des personnes au Moyen-age
Il y a une certaine cohérence à étudier de façon groupée les évolutions institutionnelles de cette période. La guerre de cent ans est le creuset dans lequel se sont forgées les institutions modernes. Ce conflit a imposé au pouvoir politique des modernisations pour accroitre l’efficacité militaire (nouvelle administration et nouvelle fiscalité). France et Angleterre se sont interrogées sur leurs structures respectives.
Le conflit démarre pour des motifs dynastiques entre la France et l’Angleterre. Le conflit va durer du fait des positions territoriales de l’Angleterre en France. L’imbrication de ces 2 pays introduira un doute identitaire permanent.
Ce conflit aura des conséquences sociales sur la noblesse, qui y trouvera un ressourcement dans ses valeurs mais aussi un affaiblissement du fait des pertes humaines suscitées par cette suite de conflits.
Au milieu du 14ème siècle la peste tuera un tiers de la population occidentale. Ceci déstabilisera aussi la société.
La conséquence de ces épreuves,â sera la montée en puissance d’un pouvoir cohérent et puissant, le pouvoir Royal qui poursuivra l’objectif de l’organisation et de la mise en ordre après les troubles.
Ce qui caractérise cette société, à cette époque, ce sont 2 choses :
- la tripartition de la société en 3 ordres (cadre général de l’organisation juridique de la société)
- L’existence d’une multitude de corps, d’organes collectifs, ayant la personnalité juridique. On n’existe juridiquement que si on fait partie de ces corps. C’est donc une société organique. De fait la nation qui est en train de prendre corps est une nation organisée.
§ 1. Une société d’ordres.
La tripartition a une origine fonctionnelle, qui a correspondu à une réalité. Elle évoluera différemment selon chaque ordre.
A. L’appartenance à la noblesse.
Comment se caractérise ce groupe juridique et social.
a) Les catégories de nobles.
On devient noble par la chevalerie, par la filiation à l’origine. C’est toujours le cas, mais désormais la véritable source est la descendance. Vont progressivement apparaitre d’autres moyens de devenir noble. Mais il n’y a pas de différenciation entre ces différentes noblesses, tous les nobles sont égaux entre eux.
1. Les voies de l’anoblissement.
Le premier est celui des charges anoblissantes, ainsi à mesure que le pouvoir se développe il faut des agents qui servent le roi, et ce service de l’état devient une forme de noblesse ; ce sont des officiers qu’on trouvent dans la justice, les finances et d’autres activités ; les offices les plus élevés anoblissent, ainsi devenir magistrat dans une cour souveraine anoblit celui qui y entre, il obtient la noblesse personnelle et si son fils poursuit la même carrière, alors la noblesse deviendra familiale et héréditaire. On cherche l’accès à la noblesse par cette voie, c’est une promotion sociale et juridique intéressante. Cette voie est donc de plus en plus prisée surtout au 17ème et 18ème siècle. C’est la noblesse de robe.
Le second moyen est l’anoblissement par le roi, qui ici agit comme il le veut. A la fin du 18ème siècle on n’anoblira plus comme cela se faisait auparavant.
2. Les restrictions d’accès.
Dans la guerre de cent ans la noblesse a retrouvé une certaine identité, et que cette noblesse soit riche ou pauvre elle refuse l’accès des roturiers à la noblesse qui se faisait par l’acquisition des fiefs. Ainsi au 15ème et 16ème siècle ce n’est plus parce qu’on acquiert un fief qu’on devient noble.
Ainsi la noblesse va devenir étroite en terme démographique.
Au 18ème on l’estime à 1,5% de la population contrairement aux autres pays voisins.
Ainsi peut être que cette noblesse a un problème de racine.
b) Les privilèges.
C’est un statut particulier « privata lex ». En principe on n’y trouve que des avantages, mais il y a aussi des inconvénients.
1. Les charges.
Le principal est le service militaire avec ses risques et cet engagement est quasi automatique. Ceci est vrai jusqu’à la révolution. Au fil du temps les roturiers pourront aussi accéder à des postes d’officiers, notamment dans l’infanterie, dans le génie et dans la marine (officiers bleus opposés aux rouges de la noblesse). Certains tenteront de fuir ou d’éviter ce service, on se demandera s’il faut créer des écoles militaires de formation.
La seconde concerne le travail. Le noble n’a pas le droit de travailler. Mais une ordonnance de 1701 leur permet le commerce de gros et un autre de 1629 les autorise à pratiquer le commerce maritime. Ils peuvent donc avoir des activités économiques et financières. Ceci est apparu car les nobles trouvaient insupportable de voir les roturiers s’enrichir alors qu’eux s’appauvrissaient.
Cependant, le noble appauvrit qui se mettrait à manipuler l’argent ou à prendre la charrue, s’exposerait à lé dérogeance de son statut.
2. Les avantages
C’est pouvoir avoir le privilège d’accès à la haute fonction publique, à la préséance, à la primauté.
Le noble ne paye pas d’impôt du fait du versement de l’impôt du sang. C’est l’impôt le plus courant qu’est la taille que le noble ne paye pas.
Quand Louis XIV met en place la capitation et le dixième (qui deviendra le vingtième). Tout le monde paiera la capitation, selon le niveau social (même le dauphin paye la capitation).
Les nobles payent aussi le dixième (sorte d’impôt sur le revenu).
La taille deviendra minoritaire. Ainsi, dire que les nobles ne payent pas d’impôt est faux, de plus ils payent aussi tous les impôts indirects comme tout le monde.
B. L’appartenance au clergé.
a) Les catégories de clercs.
Le clergé est un groupe juridique facile à définir, le contour est un peu plus précis que celui de la noblesse. En nombre cela représente à peu près 2% de la population.
Sociologiquement le clergé est très diversifié, une partie est riche et l’autre pauvre.
1. Réguliers et séculiers.
Les situations juridiques sont ici très différentes. Le séculier dépend de l’évêque, le régulier d’un abbé et au-delà d’un ordre qui peut dépasser les frontières, ainsi les jésuites ont-ils une dimension internationale.
La tendance de l’époque est favorable au clergé séculier et défavorable au clergé régulier, qui entre dans une sorte de décadence. La crise s’installe dans plusieurs des groupes réguliers.
Le clergé séculier affirme sa puissance, ceci étant une conséquence du concile de Trente (milieu du 16ème, réforme de l’église face à la réforme protestante, qui passait par une réformation du clergé séculier). C’est une montée en puissance au plan de l’organisation et de la formation, c’est l’époque où apparaissent les séminaires. Il affirme sa présence comme cadre de l’administration, de l’organisation sociale, il suffit ainsi de souligner sa puissance en matière d’enseignement, dans la création des collèges (le seul clergé régulier encore en bonne santé concerne les ordres enseignants). Son rôle dominant est aussi celui de la tenue des registres (civils : naissances, mariages et décès)
2. Le critère bénéficial.
Le bénéfice ecclésiastique est un bien matériel ou immatériel mis à disposition du clerc pour qu’il puisse accomplir sa fonction. Plus la fonction est importante, plus le bénéfice est important, à l’inverse pour des fonctions mineures le bénéfice peut-être inexistant et alors le clerc ne vivra que des dons qu’on lui fera.
A un certain stade le bénéfice peut être un véritable enjeu de pouvoir et de société.
b) Les privilèges.
1. Les charges.
La charge principale est la conformité de vie avec l’état clérical. C’est un empêchement lié à l’état de vie qui peut être sanctionné.
Cette obligation est encore plus forte dans le cas du clergé régulier, et lorsqu’il y a transgression alors cela apparaitra d’autant plus grave (vœux de pauvreté et de chasteté).
Pour corriger les errements sera mis en place dans la deuxième moitié du 18ème, la commission du régulier, pour réformer les ordres religieux.
Cela va jusqu’à l’interdiction de pratiquer des activités profanes.
2. Les avantages.
Les clercs ont en général un privilège de juridiction, mais il se réduira progressivement durant toute cette période, notamment en matière criminelle.
C’est aussi un privilège d’exemption militaire, sachant que les roturiers ne sont pas exemptés des charges militaires.
Le clerc ne paye pas non plus d’impôts. Il y a une distinction à établir cependant. Le clergé français bénéficie d’une organisation sous la forme d’un corps moral global, cette personnalité morale est celle de l’église en France, appelée église Gallicane. La noblesse n’a pas d’organisation nationale, le clergé si et elle existe pour des raisons fiscales depuis François 1er. Les clercs avaient alors refusé de payer l’impôt, et on a considéré qu’ils participaient déjà aux charges de l’état de par leur service (Hôpitaux, enseignements, …), sorte de don gratuit.
Tous les cinq ans le clergé se réunira au sein d’une assemblée générale du clergé, véritable exécutif élu, où on discute de problèmes matériels, de questions fiscales, religieuses et sociales.
L’existence de cette organisation et du don gratuit du clergé justifie que le clergé ne paie pas d’impôt. Mais cela est régulièrement rediscuté entre les représentants du clergé et le roi.
La situation du tiers état est particulière, elle regroupe tellement de personnes et de situations différentes que cela est complexe.
§ 2. Une société de corps.
Le corps est le terme qui définit l’existence d’une personnalité morale et civile. Tout individu aura une existence juridique à travers ce corps. Il existe une grande variété de corps. Pour synthétiser il faut réduire l’approche à une existence territoriale d’une part et fonctionnelle d’autre part.
A. L’aspect territorial.
La France au cours de cette période offre un paysage complexe. Les entités administratives et géographiques sont très diverses. On distingue la province de la commune.
a) Au niveau provincial.
1. L’identité provinciale.
2 éclairages et 2 réponses.
La première relève du droit privé, ainsi une province est un territoire dans lequel on pratique le même droit. Le droit permet de tracer les traits les plus marqués d’une société. On distingue ainsi la France coutumière du Nord et la France de droit écrit du Midi. Le roi a voulu protéger les coutumes en les corrigeant et en les rédigeant, elles se trouvent ainsi au 17ème et au 18ème siècle dans de véritables codes, mais on trouve une cinquantaine de situations juridiques.
L’identité majeure de la province est ainsi le droit, sa coutume. Les provinces française sont souvent plus fortes qu’ailleurs de par leur identité.
La seconde est marquée par des critères, des découpages administratifs, mais ce n’est qu’un aspect secondaire de l’identité des provinces.
2. L’appartenance provinciale
Certaines provinces bénéficient de droits avantageux, de protections particulières. Au moyen-âge existait partout des représentations (de la noblesse, du clergé, du tiers état). A l’occasion on procédait à l’élection de représentant pour défendre tel ou tel point de vue.
Ces organisations représentatives ont reculé au 17ème siècle sous l’action du pouvoir royal. Elles étaient trop encombrantes car trop actives, ou gênantes car mal organisées, on les laissera donc mourir naturellement. Ces états provinciaux vont donc disparaitre.
A la fin du 17ème siècle, seulement 1 tiers du royaume se trouvera ainsi en situation de pays d’état, de représentation, de forte identité provinciale, comme la Bretagne, la Provence.
Il y a donc les provinces à forte identité et celles à faible identité. Celles à forte identité représentent ainsi une véritable identité provinciale, avec des protections juridiques réelles.
Là où il n’y a pas de représentation des 3 ordres, la représentation est prise en charge par un parlement qui est très indépendant. Ces parlements développeront aussi une forte identité provinciale.
Cet entrelacs de privilèges provinciaux est le meilleur rempart contre un pouvoir qui voudrait détruire les libertés.
b) Au niveau communal
C’est le niveau de regroupement de base des populations, qui se fait dans un village, une ville ou un bourg.
Juridiquement, l’ancien droit public distingue 2 situations, les communautés d’habitants et les villes et bourgs murés.
Dans les villes et bourgs murés il y a des privilèges, mais pas dans les communautés.
1. Les « villes et bourgs murés »
Elles remontent au moyen-âge et c’est là que s’est consolidé le privilège. Elles conserveront leurs privilèges, sous forme de charte, jusqu’à la fin de l’ancien régime. Habiter ici offre des situations protectrices très fortes. On y bénéficie de privilèges collectifs.
2. Les communautés d’habitants.
Il n’y a pas ici de personnalité juridique. Pour agir il faut l’approbation du seigneur. Ces communautés s’organisent et ont un dialogue avec le seigneur qui a besoin des habitants et à intérêt à dialoguer, à supprimer de droits féodaux contre de l’argent, et même à aider les habitants à emprunter pour acheter des droits.
Petit à petit les communautés vont acquérir une personnalité juridique, notamment au début du 17ème siècle. Elles vont pouvoir prendre des décisions sans devoir passer par l’unanimité. Elles vont lentement sortir de leur minorité juridique. Petit à petit on va pouvoir parler désormais de communes.
C’est une France rurale dans laquelle s’affirment les communautés d’habitants face au seigneur, dont le pouvoir seigneurial recule grâce notamment au rôle du pouvoir royal.
B. L’aspect fonctionnel.
On peut procéder à une distinction à propos de la fonction exercée, entre les fonctions politique et professionnelle
a) Les représentations politiques.
Existe-t-il des représentations politiques qui mettent en lumière cette société de corps ?
On pense évidemment aux états généraux qui finalement sont la réunion de l’ensemble des conditions juridiques du royaume et ils ont une fonction politique. En dessous existe-t-il des représentations politiques fonctionnelles ?
1. Noblesses.
Pour les noblesses, il n’y a pas de représentation globale de la noblesse, qui ne forme pas un corps au niveau national, le roi a tout fait pour que cela n’arrive pas, car autrement le pouvoir royal n’aurait pas tenu.
Par contre on peut parler de noblesse provençale ou Bretonne, car au niveau des provinces il existe de telles représentations, mais elles sont fragiles et épisodiques, le roi ne les a pas laissé exister de façon permanente.
2. Clergé.
Lee clergé a bien ici une existence politique générale, qui forme l’organisation de l’église en France et qui protège les libertés de l’église gallicane (parfois à la limite du schisme d’avec la papauté).
b) Les représentations professionnelles.
On distingue les fonctions publiques des activités professionnelles proprement dites.
1. Les fonctions publiques.
Les fonctions publiques, que ce soit celles du roi ou des provinces ou des communautés, sont exercées par des officiers qui ont, depuis, Louis XI, gagné l’inamovibilité. Ces officiers sont ainsi puissants. Ceux des parlements sont des officiers nommés par le roi.
L’inamovibilité va être accentuée par l’introduction du principe de vénalité, les charges vont pouvoir être transmises héréditairement.
Les officiers sont organisés en compagnies, très solidaires. Les compagnies, qui bénéficient de la personnalité morale.
Les officiers sont enracinés dans un lieu et ils s’identifient à ce lieu, d’où leur capacité à défendre l’identité de ce lieu (ville ou province).
2. Les métiers jurés et le commerce
Les métiers jurés s’organisent au moyen-âge dans le cadre d’un cloisonnement professionnel. Ils détiennent des privilèges, des prérogatives juridiques de droit public. Le métier organise une profession, l’emploi, la production. Chaque métier à une justice interne. C’est une caractéristique de la ville que d’avoir des métiers organisés.
Dans ce cadre, la concurrence est donc réglementé, on n’est pas dans la liberté de l’activité. Cela va dans le sens de la stabilité et de la protection qui pourra constituer un frein au développement.
Le commerce non plus n’est pas libre. Ceux qui font du commerce le font dans des groupements organisés. Mais cela est moins net que pour les métiers jurés. Une partie du commerce est organisée par l’état lui-même qui autorise à créer telle ou telle activité. Les manufactures sont créées sur la base d’une charte.