LES CARACTÈRES DE LA RÈGLE DE DROIT
L’idée de droit ne peut être dissociée de celle de règle. Mais cette relation entre la règle et le droit ne peut être que le point de départ de la réflexion. Il existe, en effet, bien d’autres ensembles de règles qui ne sont pas juridiques ou ne sont pas considérées comme telles. Il en est ainsi de la règle de jeu, de la règle morale ou encore la règle de politesse.
Pour cerner plus précisément le droit, il convient d’examiner les principaux caractères de la règle de droit, ce qui en constitue l’essence. Or, on constate que la règle de droit est, le plus souvent, obligatoire (I), générale (II), permanente (III) et qu’elle a une finalité sociale (IV). Néanmoins, on aura l’occasion de constater que la réunion de chacun de ces critères de reconnaissance du droit n’est pas toujours suffisante ou, à l’inverse, n’est pas toujours nécessaire, ce qui rend notre démarche bien délicate…
I – LA RÈGLE DE DROIT EST OBLIGATOIRE
-La règle de droit est un commandement : elle a un caractère obligatoire. Si elle était dépourvue de ce caractère, elle ne serait qu’un conseil laissé à la discrétion de chacun et non un ordre. La règle de droit doit être respectée pour pouvoir jouer son rôle d’organisation de la société. S’il n’y avait plus de règle obligatoire, ce serait le règne de l’anarchie.
-La règle de droit ordonne, défend, permet, récompense ou punit. Même lorsque la règle de droit est permissive, elle a un caractère obligatoire parce qu’elle interdit aux autres de porter atteinte à cette liberté (ex. le droit de grève est une règle juridique obligatoire et l’employeur ne peut s’y opposer, l’avortement est, à certaines conditions, un droit et nul ne peut s’opposer à la pratique de ces interventions médicales).
-Le droit est assorti de sanctions. Il a un caractère coercitif, il est sanctionné par l’Etat. C’est cette consécration par l’Etat qui fait la règle de droit. Pour obtenir le respect du droit, des contraintes et des sanctions sont prévues.
Lorsque l’autorité judiciaire constate la violation d’un droit, elle requiert la force publique pour que celle-ci contraigne le contrevenant à respecter le droit. Il est possible d’exiger l’exécution de la règle de droit, au besoin en recourant à un organe de Justice institué par l’Etat (ex. police, gendarmerie, etc…). Néanmoins, heureusement, le plus souvent, la menace du gendarme suffit. La sanction étatique est souvent virtuelle, à l’état de menace.
Statistiquement, le respect volontaire du droit demeure. Ce n’est pas seulement la peur du gendarme qui inspire ce respect volontaire du droit. Ex. : entre époux qui s’aiment, on peut penser que la fidélité ne repose pas sur la peur d’une sanction de l’adultère. De même, ce ne sont pas seulement les sanctions prévues par le Code pénal qui nous empêche de voler ou de tuer.
-Ce caractère obligatoire permet d’opposer la règle de droit aux autres règles. Ainsi, la règle religieuse, la règle morale ou la règle de politesse sont dépourvues de ce caractère obligatoire. Certes, la violation d’une règle religieuse peut donner lieu à des sanctions émanant de Dieu ou de l’Eglise (excommunication) et la violation d’une règle morale ou de politesse peut entraîner la réprobation sociale, le blâme public, l’exclusion, mais l’exécution de ces règles ne peut être pris en charge par l’autorité publique. L’Etat n’est pas à l’origine de la contrainte exercée pour le respect de la règle religieuse ou morale. On perçoit immédiatement qu’une telle proposition n’est valable que pour les Etats laïcs. Car toutes règles morales, religieuse ou autre, a vocation à devenir juridique, indépendamment de son contenu et de sa finalité : il lui suffit d’être rendue obligatoire et sanctionnée par l’Etat. Or, pour les Etats religieux, la distinction entre règle religieuse et règle de droit n’existe plus puisque le droit procède de la religion.
-L’existence d’une sanction serait donc le propre de la règle de droit. Certains ont pu néanmoins dénoncer là une logique un peu réductrice de la notion de droit. De plus, cette analyse serait fondée sur un raisonnement vicié. En effet, pour savoir ce qu’est le droit, c’est-à-dire ce qui doit être sanctionné par l’autorité publique, il conviendrait d’examiner ce qui est effectivement sanctionné par l’autorité publique. Le raisonnement, on le voit, conduit à une véritable tautologie : Doit être sanctionné ce qui est sanctionné. Est du droit, ce qui est du droit.
-D’ailleurs, entre les conduites relevant du non-droit et celles qui dépendent de la sanction de l’autorité publique, il y a des situations intermédiaires, sans doute juridique, mais dans une large mesure à l’abri des sanctions étatiques. Ainsi en est-il en cas d’obligation naturelle, catégorie intermédiaire entre le devoir moral et l’obligation civile, c’est à dire juridiques.
L’obligation civile est un lien de droit, en vertu duquel une personne est tenue, à l’égard d’une autre, d’un fait ou d’une abstention.
L’obligation naturelle, par opposition à l’obligation civile, n’est pas susceptible d’exécution forcée.
-On cite souvent l’exemple de l’obligation alimentaire entre frères et sœurs. Celle-ci, contrairement à l’obligation alimentaire entre parents et enfants, n’existe pas juridiquement. Ce n’est qu’un devoir moral, une obligation naturelle. Mais si elle fait l’objet d’une exécution spontanée, elle devient une obligation juridique et la continuation de son exécution pourra être demandée en justice. (Et il est impossible d’obtenir restitution de ce qui a été versé au motif que cela n’était pas dû juridiquement)
-Une théorie, dite moderne ou subjective, explique le mécanisme de l’obligation naturelle. L’idée est que l’obligation naturelle résulte d’un devoir moral assez fort pour que le débiteur s’en estime tenu mais pas suffisant pour être sanctionné par la loi. Le doyen Ripert y reconnaissait là, « un devoir moral qui monte vers l’obligation civile ». L’obligation naturelle n’est qu’un devoir moral si intensément ressenti par le débiteur, qu’il s’en estime tenu.
En ce sens, elle ressemble au devoir moral. Cependant, si le débiteur de l’obligation naturelle l’exécute volontairement ou seulement reconnaît son existence, en connaissance de cause, il est censé exécuter une obligation reconnue par le droit positif : L’obligation naturelle devient une obligation juridique.
-Si le débiteur d’une obligation naturelle s’engage à l’accomplir, cette promesse est valable et engage civilement son auteur. L’obligation naturelle devient une obligation civile parce qu’en promettant d’exécuter l’obligation naturelle, le débiteur prend un engagement. Il fait donc naître une obligation civile valable, susceptible, cette fois, d’exécution forcée.
II – LA RÈGLE DE DROIT EST GENERALE
-La règle de droit est générale : cela signifie qu’elle a vocation à s’appliquer à toutes les personnes qui forment le corps social. Cela explique qu’elle soit toujours formulée de manière générale et impersonnelle. On rencontre souvent les formules : « Quiconque… » ; « Toute personne… ». La règle concerne chacun et ne vise personne en particulier. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les règles de droit ont vocation à régir toutes les personnes. Parfois la règle de droit s’applique à un groupe de personnes : les salariés, les employeurs, les médecins, les consommateurs, les propriétaires, les conducteurs d’automobiles, les époux.
-La règle est générale parce qu’elle a vocation à s’appliquer à toute personne appartenant à cette catégorie. La règle de droit n’en est pas moins générale parce qu’elle vise une catégorie de personnes sans viser personne en particulier. Même si la règle vise une catégorie à laquelle une seule personne appartient, (ex. Le président de la république française en fonction), elle conserve un caractère général parce qu’elle ne nomme personne en particulier.
-En principe, ce caractère général de la règle de droit est une garantie contre l’arbitraire, contre la discrimination individuelle. Mais le caractère général de la règle de droit ne signifie pas égalité. La règle de droit peut être discriminatoire à l’égard d’un groupe de personnes pour des motifs louables (accorder plus de droits aux personnes âgées, plus de protection aux femmes enceintes, aux enfants ; être plus sévère à l’égard des automobilistes qui créent un risque pour les non-conducteurs) ou des motifs condamnables (race, sexe, religion, convictions politiques, etc…) La généralité de la règle de droit est une protection nécessaire mais insuffisante contre l’arbitraire.
-La règle de droit doit régir des situations et non pas des cas particuliers. Ex. : la loi ne va décider si Jean est l’enfant légitime de M. et Mme Dupont. Mais la loi décide que tous les enfants nés pendant le mariage sont légitimes. Il faudra appliquer la loi à cette situation. En revanche, le juge statue sur des cas particuliers, il rend des décisions et non pas des règles de droit.
-Ce caractère général de la règle de droit permet de la distinguer d’autres normes juridiques. Ainsi, une décision individuelle même émanant de l’Administration ou du Parlement n’est pas une règle de droit (ex. : un permis de conduire, une notification de droits, nue loi qui ordonne les funérailles nationales pour les obsèques d’un homme d’Etat, un ordre de réquisition, une nomination par décret à une fonction publique ou à un titre honorifique etc…). Ce n’est pas règle de droit mais une disposition personnelle. Il en est de même d’un jugement tranchant un litige particulier : il n’édicte pas une règle de droit à vocation générale. Il répond, au contraire, à un problème particulier. Dans ces deux cas, il ne s’agit pas d’une règle de droit mais d’une décision.
III. – LA REGLE DE DROIT EST PERMANENTE
-On dit que la règle de droit est permanente parce qu’elle a une application constante pendant son existence. Elle a vocation à régir l’avenir, à durer un certain temps. Cela ne signifie pas que la règle de droit soit éternelle : elle a un début et une fin. Cependant pendant le temps où elle est en vigueur, elle a toujours vocation à s’appliquer. Un juge ne pourrait pas écarter l’application d’une loi parce qu’elle ne lui paraît pas opportune. Si les conditions prévues par la règle sont réunies, la règle a vocation à s’appliquer. La règle de droit est permanente parce qu’une fois née, la règle de droit s’applique avec constance et de façon uniforme à toutes les situations qu’elle réglemente jusqu’à ce qu’elle soit abrogée par l’autorité compétente (en principe, la même que celle qui l’a fait naître).
Le Cours complet d’Introduction au droit est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, biens, acteurs de la vie juridique, sources du droit, preuves, responsabilité…)
- Cours complet d’Introduction au droit Application de la loi en Alsace-Moselle et Outre-mer Définition et rôle de la doctrine juridique Distinction entre droit interne, droit international et droit européen Droit privé, droit public et droit mixte Entrée en vigueur, abrogation et force obligatoire de la loi La notion de coutume et sa fonction La primauté du droit international dans l’ordre interne La règle de droit est obligatoire, générale, permanente Le juge et la jurisprudence, créateurs de droit? Le principe de non-rétroactivité des lois L’autorité de la chose jugée L’interprétation juridique de la règle de droit par le juge
- Notion de patrimoine : théorie classique et moderne Quelle différence entre droit objectif et droits subjectifs? Quelle différence entre droit, religion, équité et morale? Quelle différence entre la loi et le règlement? Comment distinguer droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux? Détermination de la charge de la preuve : qui doit prouver? La distinction entre droits réels et droits personnels L’action en justice : définition et conditions L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques L’écrit ou preuve littérale, une preuve parfaite Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment) Qu’est ce que l’objet de la preuve?
- Quelle différence entre magistrat du siège et du parquet ? Les juridictions administratives Les juridictions européennes (CEDH, CJUE et TPIUE) Les principes directeurs de l’instance Présentation des juridictions pénales La cour d’appel : organisation, rôle, formation La Cour de cassation : Rôle, composition et formation Le Conseil constitutionnel : origine, rôle, composition TGI : compétence, composition, organisation Tribunal de Commerce : compétence, organisation, composition Le tribunal de proximité : Compétence, organisation, composition Le Tribunal des conflits : origine, rôle, composition Le tribunal d’instance : compétence, organisation, composition Le tribunal paritaire des baux ruraux