Les éléments intrinsèques de l’infraction

Les éléments intrinsèques de l’infraction

Le droit pénal ne sanctionne pas la simple pensée criminelle : pour qu’une infraction soit constituée, il faut que la personne poursuivie ait extériorisé sa pensée. Cet élément matériel comprend plusieurs éléments que nous allons distinguer :

o les éléments intrinsèques, qui vont caractériser l’infraction proprement dite

o les éléments extrinsèques, qui sont indispensables mais extérieurs à l’objet même de l’infraction

Les éléments extrinsèques constitutifs de l’infraction

Nous étudions ici les éléments intrinsèques : Leur inexistence peut faire obstacle à une poursuite. C’est également la matérialité stricto sensu pour tous les crimes ou délits.

 

Elle englobe la preuve de la réalisation d’un acte frauduleux, qui peut être soit un acte positif caractérisant ce qu’on appelle une infraction de commission, soit un acte négatif, lequel va caractériser une infraction d’omission.

Dans la première hypothèse, la matérialité va résider dans l’acte positif qui consiste à réaliser un acte interdit par la loi. A l’opposé, un comportement passif va caractériser une infraction d’omission : il revient à s’abstenir d’agir, alors que la loi prescrit cette action dans l’intérêt général (par exemple, la non-assistance à personne en danger).

Au début, la plupart des auteurs étaient assez défavorables à l’admission de ces infractions d’omission : on estimait qu’il était normal d’interdire des infractions positives, en revanche, sanctionner des infractions passives apparaissait plus difficile à la doctrine. Mais progressivement, le législateur a incriminé ces comportements négatifs, et cette politique d’incrimination s’est accélérée dans ces 20 dernières années : on a multiplié les délits d’omission dans le Code pénal.

En réalité, démontrer un fait négatif est assez simple : en effet, la jurisprudence considère qu’il suffit d’établir la proposition contraire positive, ce qui permet de rapporter la preuve du délit d’omission.

 

Cass. Crim., 22 novembre 2005 : les faits concernaient l’application de l’article 134-11 du Code pénal, qui réprime le fait pour quiconque a les preuves de l’innocence d’une personne de ne pas les apporter à l’autorité judiciaire. Il s’agissait de Jean-Louis Turquin, qui a été accusé de tuer son fils, alors âgé de 10 ans. Son épouse avait enregistré sa confession contre son gré en échange de relations sexuelles, et il a été condamné à une peine relativement lourde pour le meurtre de son enfant.

Un prisonnier est alors poursuivi sur le fondement de l’article 134-11, au motif qu’il était enfermé avec un détenu qui lui aurait avoué le meurtre du fils Turquin, sans rapporter les faits à l’autorité judiciaire. La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel ayant condamné le prisonnier, au motif que les preuves n’étaient que des ouï-dire.

 

Dans certains arrêts, la Cour de cassation a dû trancher la question suivante : est-ce qu’une omission dans l’action peut être punissable ?

L’escroquerie est le fait de tromper une personne afin de conduire cette personne à vous remettre un bien qu’elle ne vous aurait pas remis s’il n’avait pas été trompé. C’est d onc une infraction de commission, mais en matière d’escroquerie, la jurisprudence a opéré une distinction entre l’abstention pure et simple (non- punissable) et l’abstention dans l’action (pouvant relever du droit pénal).

Dans la première hypothèse (laisser sciemment une personne se tromper), on considère que cet acte ne rentre pas dans le champ de l’escroquerie. L’abstention dans l’action est l’hypothèse suivante : le prévenu va prendre l’initiative d’une action positive, puis omet de mentionner des éléments dont la connaissance aurait dissuadé la victime d’agir.

 

Le droit français ne subordonne pas la condamnation à la découverte du corps du délit : on peut être poursuivi et condamné pour un homicide volontaire alors même qu’on ne retrouve pas le cadavre de la victime. Les juges sont souvent réticents à condamner en l’absence de corps du délit, puisque matériellement on ne sait pas à quel moment ou comment la personne est décédée. On ne peut admettre de condamnation sur des probabilités : il faut des certitudes.

D’autres éléments sont parfois nécessaires à la constitution de l’infraction, il appartient toujours à la partie poursuivant de les apporter. Ainsi la qualité professionnelle de la personne poursuivie peut être un élément constitutif de l’infraction, dès lors il faudra démontrer que la personne poursuivie avait bien cette qualité professionnelle au moment des faits : en droit pénal, on dit que certaines infractions sont imputables à une catégorie particulière d’individus.

De la même façon, certaines qualités de la victime vont être prises en considération dans la constitution de l’infraction : c’est le cas notamment s’agissant du délit prévu par l’article 225-13 du Code pénal, qui réprime d’héberger ou de faire travailler une personne dans des conditions contraires à la dignité humaine si la personne est vulnérable.

 

  • b) Le lien de causalité

α)l’existence du lien de causalité

L’existence de certaines infractions va être subordonnée à l’existence d’un lien de causalité entre la faute commise par le prévenu et le dommage causé à la victime : on dit que la causalité est un rapport qui unit la cause à l’effet. En droit pénal, ce lien de causalité va relier un comportement au résultat que la loi prévoit comme élément de l’infraction.

La plupart des crimes et délits vont provoquer un résultat dommageable. Ce résultat sera la conséquence immédiate et directe du comportement répréhensible. Les infractions classiques d’atteinte aux biens ont pour conséquence une appropriation du bien d’autrui : on dit alors que ce sont des infractions matérielles, par opposition aux infractions formelles, pour lesquelles aucun résultat n’est exigé.

On doit souligner que pendant très longtemps, la jurisprudence a privilégié une définition très large de la notion de lien de causalité.

 

Cass. Crim., 8 mars 1995 : un voisin accepte d’aider un particulier à couper du bois, et se fait confier une scie sans protection, avec laquelle il se coupe le bras. Une plainte a été déposée pour blessures involontaires, et la Cour de cassation a considéré que le lien de causalité était caractérisé, même non exclusif.

 

La Cour de cassation a également considéré que plusieurs personnes pouvaient être poursuivies pour homicide involontaire : c’est le cas dans un arrêt de la Chambre criminelle du 23 mars 1994. Il s’agissait ici d’un accident de la circulation qui va concerner plusieurs véhicules : un véhicule léger est percuté par un premier poids lourd, qui va envoyer le véhicule à l’encontre d’un autre poids lourd.

Le deuxième poids lourd n’a été engagé dans l’action qu’en raison de la faute du premier poids lourd, mais la Cour de cassation a considéré que les deux conducteurs de poids lourd étaient coupables d’homicide involontaire : la faute des deux prévenus a contribué, au moins pour partie, au dommage.

La Cour de cassation a jugé que le lien de causalité ne devait pas être immédiat. Il suffit d’établir que la faute initiale ait rendu possible la réalisation du délit, mais il n’est pas nécessaire d’établir qu’elle a matériellement provoqué le dommage. C’est notamment le cas d’une société dont l’employeur ne va pas former les employés au respect des normes de sécurité.

Enfin, la Chambre criminelle a élargi la notion de lien de causalité en retenant qu’un lien de causalité indirect pouvait être rattaché à la faute originelle, et dans ce cas là, la responsabilité pénale de son auteur pourra être engagée. La jurisprudence a consacré ce qu’on appelle la responsabilité en cascade : la faute du prévenu peut ne pas être la cause exclusive, directe et immédiate du dommage. La seule exigence concernait la certitude du lien de causalité.

La Cour de cassation a semblé admettre un lien de causalité éventuel. Les faits étaient les suivants : une victime de 85 ans décède 5 jours après son admission à l’hôpital suite à un accident de la route, du fait d’un choc septique. L’expert a estimé qu’il était possible de rattacher le décès à l’accident, la Cour d’appel en a déduit la certitude du lien de causalité, et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui avait été formé en estimant à son tour que le lien de causalité était certain.

 

β) Le délit de risque causé à autrui

 

L’article 223-1 du Code pénal, qui reprend le délit de risque causé à autrui, suppose pour être constitué que la relation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement ait exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures. C’est le fait par exemple d’être arrêté au volant de sa voiture en état d’ébriété, même s’il n’y a eu aucun accident.

Le ministère public doit prouver le lien de causalité doit exister entre la violation de la règle et l’exposition d’un risque. Le législateur exige « un risque immédiat de mort ou de blessures ». Lors de l’entrée en vigueur du nouveau texte, la doctrine s’est demandé si on pouvait déduire ce lien de causalité de la simple violation de la règle de droit.

A cet égard, la jurisprudence, dans un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 26 octobre 1994 (lendemain de l’entrée en vigueur de la loi), a jugé que la violation si grave et délibérée des limitations de vitesse ne dispense pas le ministère public de prouver qu’il en résulte un risque immédiat de mort ou de blessures.

Malgré cela, la plupart des décisions postérieures ont interprété de façon large la notion de lien de causalité. Dans un arrêt de la Chambre criminelle du 11 février 1998, un commandant de bord ayant accueilli trop de passagers par rapport aux places sur les canots de sauvetages : la traversée s’est faite sans aucun problème, mais une plainte a été déposée à l’encontre du capitaine pour mise en danger de la vie d’autrui. La Cour d’appel l’a relaxé en estimant que les conditions météorologiques étant clémentes, le lien de causalité n’était pas caractérisé. La Cour de cassation a au contraire jugé que le risque immédiat était de mort ou de blessures, et que rien n’empêchait un accident hors météo (collision, incendie…), ce qui permettait de caractériser le lien de causalité.

 

  • c) Les apports de la loi du 10 juillet 2000

Cette loi a profondément remanié l’article 121-3 du Code pénal : nous avions auparavant une seule faute non-intentionnelle et un lien de causalité nécessaire, désormais nous avons deux types de faute (faute caractérisée et faute légère), et la certitude du lien de causalité est toujours exigée. En revanche, la théorie de l’équivalence des conditions ne joue que pour la faute lourde caractérisée : elle est exclue pour la faute légère.

Selon cette théorie d’équivalence des conditions, toutes les fautes ayant contribué à la réalisation du dommage sont considérées comme causales, puisque si on retirait une de ces causes, le dommage ne se serait pas produit.

La loi du 10 juillet 2000 a donc remis en cause la jurisprudence antérieure, puisqu’elle différencie l’auteur direct et l’auteur indirect du dommage : lorsque nous sommes confrontés à l’auteur direct, une faute légère suffit à engager sa responsabilité pénale, ce qui n’est pas le cas en présence d’un auteur indirect, où une faute lourde est nécessaire.

 

Cass. Crim., 13 novembre 2002 : il s’agit de l’hypothèse d’une enfant qui vient au monde à la suite d’un accouchement difficile, qui est confié à un médecin pédiatre qui va essentiellement s’occuper des lésions oculaires dont pouvait souffrir l’enfant et non de son hématome, et ne va pas mettre en place une surveillance particulière de cet enfant. L’enfant est décédé peut de temps après des suites de son hématome, et une plainte a été déposé contre le médecin pour homicide involontaire.

La Cour de cassation retient la responsabilité du pédiatre, en considérant que ses actions sont en relation directe avec le décès de l’enfant, qui aurait pu être évité si ce dernier avait été transféré à temps dans un service spécialisé.

 

Cass. Crim., 4 mars 2008 : on a en l’espèce un homme qui tire à la carabine sur l’adjoint d’un maire, qui va mourir des suites de ses blessures. Le problème est que la procédure est classée sans suite car le tireur souffrait de troubles psychologiques qui ont aboli son discernement au moment des faits. Les ayants droit de la victime vont alors porter plainte contre le tireur, mais également contre deux fonctionnaires de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, pour homicide involontaire.

En ce qui concerne le tireur, la Cour d’appel va considérer que sa responsabilité pénale ne peut être utilement invoquée, mais elle va condamner les fonctionnaires. Selon elle, ils ont en effet commis une faute caractérisée dans la mesure où ils savaient que le tireur souffrait de troubles psychiques, et auraient dû demander son internement d’office. Un pourvoi relatif est formé contre cette décision.

La Cour de cassation va censurer l’arrêt d’appel en considérant que la Cour d’appel n’avait pas rapporté la preuve que la saisine d’un psychiatre aurait forcément conduit à l’internement du tireur.

La loi du 10 juillet 2000 n’a donc pas remis en cause la nécessité d’un lien de causalité certain.

 

Cass. Crim., 9 juin 2009 : en l’occurrence, on a des travaux qui se déroulent dans une salle de sport municipale. Or, cette salle n’est pas fermée durant la rénovation, et des employés communaux ont descellé un panneau de 80kg pour pouvoir le déplacer e fonction de l’avancement des travaux. Un enfant en train de consulter le panneau d’affichage à été mortellement blessé, et la société de travaux ainsi que son gérant ont été poursuivis pour homicide involontaire.

Factuellement, les juges du fond relèvent que le gérant savait que le chantier n’était pas fermé et qu’il y avait un passage incessant de personnes se rendant dans une autre salle, et qu’il avait émis des réserves sans prendre aucune mesure. La Cour d’appel a donc condamné le gérant et la société, et un pourvoi a été formé.

La Cour de cassation a estimé que le lien de causalité était établi entre les faits des prévenus et le dommage de la victime.